Dans son rapport annuel diffusé la semaine dernière, Human Rights Watch a omis de commenter l’audition « à domicile » de Ariel Henry dans le contexte de l’enquête sur l’assassinat de Jovenel Moïse. Cette omission s’explique par le caractère présumé simulé de l’audition de ce « témoin », largement perçue comme une parodie aux yeux de l’opinion publique. haïtienne

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, le Premier ministre Henry, qui n’a jamais reçu l’aval du Parlement et, par conséquent, ne dispose pas d’un mandat constitutionnel, gouverne par décret. Le Parlement est dysfonctionnel depuis 2019, lorsque le président Moïse a refusé d’organiser des élections législatives. Depuis janvier 2023, le pays n’a eu aucun nouveau responsable élu au niveau national.

En juin 2023, Ariel Henry et des dirigeants politiques et civiques haïtiens se sont réunis à la Jamaïque, sous l’égide du Groupe de personnalités éminentes de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), constitué de trois anciens Premiers ministres de la région, afin de rechercher une solution politique à la crise. Mais ils n’ont pas réussi à trouver un consensus. Certains partis politiques et des organisations de la société civile ont signé la Déclaration conjointe de Kingston, appelant à la formation en Haïti d’un gouvernement d’unité nationale. Neuf importantes organisations haïtiennes de défense des droits humains et une organisation de la diaspora haïtienne aux États-Unis ont appelé la communauté internationale à cesser de soutenir les éléments qui sont à l’origine de la crise en Haïti et d’appuyer plutôt la mise sur pied d’un gouvernement de transition, « dirigé par des technocrates qui s’engageraient à ne pas participer à de futures élections et qui s’efforceraient … d’organiser des élections libres, équitables et crédibles ».

Un système de justice pénale dysfonctionnel

Le fonctionnement du système judiciaire haïtien est entravé par l’insécurité, la corruption, les grèves et les ingérences politiques. Les bandes criminelles se sont emparées de certains palais de justice, notamment du Tribunal de paix à Cité Soleil en juillet 2020 et du Palais de justice de Port-au-Prince, le principal complexe judiciaire du pays, en juillet 2022. Il semble qu’elles ont volé ou détruit des pièces de dossiers et des archives qu’il pourrait être impossible de récupérer, car les tribunaux haïtiens ne disposent pas de copies numérisées de leurs dossiers. Ces tribunaux n’ont pas été réinstallés ailleurs.

Aucun progrès n’avait été effectué, jusqu’à octobre, dans les enquêtes sur les massacres commis à La Saline en 2018, à Bel Air en 2019, à la Plaine du Cul-de-Sac et à Cité Soleil en 2022 et à Carrefour-Feuilles en 2023.

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), l’organe de supervision du système judiciaire, a refusé de certifier 28 juges et procureurs en janvier et 12 autres en juin, invoquant des abus d’autorité, des références invalides et des remises en liberté illégales de détenus, entre autres raisons. Il n’existe pas de mécanisme permettant de faire appel des décisions du CSPJ.

En février 2023, le Premier ministre Henry a nommé huit juges à la Cour de Cassation, la Cour suprême d’Haïti, afin de lui permettre de fonctionner après une période de plus d’un an lors de laquelle elle n’avait pas assez de magistrats pour atteindre un nécessaire quorum. Les organisations de la société civile ont argué qu’en la matière, Ariel Henry n’avait pas respecté la procédure constitutionnelle applicable pour ces nominations.

À fin septembre, les prisons d’Haïti contenaient plus de trois fois leur capacité de détenus. La plupart de ces 11 784 détenus — dont 84 % étaient en détention préventive en l’attente d’un procès — vivaient dans des conditions inhumaines, privés d’accès à une nourriture adéquate, à de l’eau ou à des soins médicaux. De janvier à fin septembre, 128 détenus sont morts, pour la plupart de maladies liées à la malnutrition.

De nouveaux codes de procédure pénale et criminelle, prévoyant des solutions alternatives à la détention préventive avant procès, doivent entrer en vigueur en juin 2024.

L’enquête sur l’assassinat du président Moïse

Le président Moïse a été assassiné le 7 juillet 2021. Au mois de mai 2023, 45 personnes étaient en détention préventive en Haïti dans l’attente d’un procès dans cette affaire, dont 18 anciens officiers de l’armée colombienne, dont les familles se sont plaintes du fait qu’ils ne disposaient pas d’une assistance juridique et étaient maltraités et détenus dans des conditions inhumaines. En octobre, la police a arrêté un important suspect.

Des procureurs américains affirment que les conspirateurs avaient initialement prévu d’enlever Moïse mais avaient ensuite décidé de le tuer, espérant obtenir des contrats du gouvernement sous son successeur. Des juges américains ont condamné un homme d’affaires ayant la double nationalité haïtienne et chilienne et un ancien colonel de l’armée colombienne à la prison à perpétuité pour leurs rôles dans l’assassinat. Un ancien sénateur haïtien a plaidé coupable ; l’annonce de sa peine était prévue pour le 19 décembre. Neuf autres accusés attendent d’être jugés aux États-Unis.

Les violences perpétrées par les bandes criminelles

Les agences de l’ONU estiment que plus de 300 bandes criminelles contrôlaient 80 % de la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, au mois de septembre. Beaucoup d’entre elles sont réputées avoir des liens avec des membres des élites politiques et économiques, ainsi qu’avec des membres de la police.

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) a recensé les meurtres de 3 156 personnes — dont 36 agents de police — et 1 284 enlèvements perpétrés par ces groupes de janvier à fin septembre 2023.

Les bandes criminelles ont continué de recourir aux violences sexuelles pour terroriser la population et affirmer leur contrôle. Médecins Sans Frontières (MSF) a affirmé avoir porté secours à 1 005 victimes de violences sexuelles dans ses hôpitaux à Port-au-Prince entre janvier et mai 2023, soit près du double du nombre enregistré pour la même période de 2022.

Human Rights Watch a documenté des abus commis par les gangs criminels dans quatre communes de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, notamment les meurtres de 67 personnes — dont 11 enfants et 12 femmes — et les viols de 23 femmes et filles. Des victimes ont relaté à Human Rights Watch comment elles avaient été capturées dans la rue et traînées à l’écart, violées collectivement et obligées de regarder pendant que des personnes étaient tuées à coups de machette et par balles.

Le HCDH a documenté des dizaines d’agressions sexuelles perpétrées contre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) par des membres de gangs entre janvier et juin 2022. Des victimes de sexe féminin ont affirmé que les bandes criminelles leur avaient fait subir des « viols correctifs », afin de les « soigner ».

Le gouvernement haïtien a failli à sa responsabilité de protéger la population contre les violences criminelles, qui ont été exacerbées par un flot continu d’armes et de munitions vers Haïti, essentiellement en provenance de l’État américain de Floride.

Souvent en collusion avec la police, le mouvement de justice populaire expéditive Bwa Kale est réputé avoir tué plus de 420 personnes soupçonnées d’être membres de gangs criminels entre janvier et fin septembre, selon le HCDH. Human Rights Watch a vérifié des éléments factuels affichés sur les réseaux sociaux et sur les sites de médias d’information confirmant quatre attaques en mars et avril, dont trois ont eu lieu à proximité immédiate de commissariats de police.

En représailles, les bandes criminelles ont formé leur propre mouvement, Zam Pale. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a mis en garde en juillet contre le fait que les mouvements Bwa Kale et Zam Kale ont « déclenché un nouveau cycle alarmant de violences » qui pourrait mener à de nouveaux recrutements d’enfants.

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