Gorbatchev est-il vraiment responsable de l’effondrement de l’URSS?

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Une analyse sur la carrière politique de Mikhaïl Gorbatchev.

MIKHAïL GORBATCHEV EST-IL VRAIMENT RESPONSABLE DE L’EFFONDREMENT DE L’URSS?

Dimanche 4 septembre 2022 ((rezonodwes.com))–

Par Ducasse Alcin

Le décès de Mikhaïl Gorbatchev cette semaine relance un débat antagoniste vieux de plusieurs décennies : est-il celui qui a démantelé l’URSS ? Selon que vous serez pro-occidental ou de tendance de gauche, le profil du dernier leader de l’Union soviétique sera soit admiré soit terni.

Ceux qui l’adulent le font en raison de la vision et du pragmatisme dont il a fait montre, à une époque où il ne s’en était fallu que de peu pour que le monde ne sombre dans le chaos. Pour eux, on lui doit une fière chandelle pour avoir épargné l’humanité de ce qui aurait pu déboucher sur une crise catastrophique s’il était allé à contre-courant des événements ayant conduit à la fin de la guerre froide.

Parallèlement on retrouve le deuxième groupe qui le taxe de traître, arguant qu’il détenait le pouvoir de stopper le cours des événements mais choisit de ne rien faire. Pour ces gens, la naissance du monde quasi unipolaire qui est le nôtre aujourd’hui est éloquemment imputable à Mikhaïl Gorbatchev.

Au lieu de nous plonger dans une polémique pour ou contre, nous allons plutôt essayer d’apporter un élément de réponse sur ces pommes de discorde, à savoir : peut-on imputer la désagrégation du communisme à Gorbatchev?

Avant que Gorbatchev fût nommé secrétaire général du parti communiste, le 11 mars 1985, l’Union soviétique était dirigée par ce qu’on pourrait appeler la gérontocratie. De Staline à Chernenco, une panoplie de septuagénaires étaient aux commandes de l’URSS. Ainsi donc, le peuple accueillit l’arrivée du dernier leader soviétique au pouvoir, à l’âge de 50 ans, comme une bouffée d’oxygène. Son ascension était porteuse d’espoir pour la jeunesse qui n’en avait que marre de vivre dans un État où sa liberté se trouvait restreinte.

Moins d’un an après son entrée en fonction, un ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères soviétiques du nom d’Arkady Shevtchenco fit cette prédiction :  » L’URSS est à la croisée des chemins. Si on ne trouve pas les moyens de résoudre les problèmes économiques et les tensions sociales, à court terme, l’érosion de son système économique va se poursuivre inexorablement, mettant en danger sa survie même ».

Gorbatchev comprit cette problématique, ainsi décida-t-il de procéder à une transition de rupture vis-à-vis de la politique de ses prédécesseurs.
En effet, sa première décision a été de mettre fin à la doctrine de Brejnev qui, tout en octroyant une certaine lattitude aux États satellites de L’URSS, limitait leur souveraineté. Selon Brejnev, pour défendre la cohésion de l’ensemble des membres du bloc socialiste, les autres États pourraient se réserver le droit d’intervenir militairement au cas où les choses n’allaient dans le bon sens.

À la place de cette politique de main de fer, Gorbatchev proposa la « Glasnost »; ce qui, en français, se traduit par transparence—une philosophie politique pour laquelle il militait depuis 1971.

La « glasnost » devait se caractériser par une approche franche des problèmes soviétiques. Le but était d’ouvrir la société et de donner une plus grande liberté d’expression aux citoyens et à la presse. En définitive, elle allait déboucher sur une critique ouverte du gouvernement et de certaines de ses actions. Désormais, les citoyens soviétiques avaient leur mot à dire dans tous les débats cruciaux touchant à leur vie.

Puis, s’en est suivie la perestroïka.
Dans un essai publié en 1982, alors qu’il n’était même pas encore en fonction, Gorbatchev mentionna la nécessité d’une restructuration de « l’approche psychologique de l’agriculture ». Selon sa vision, la perestroïka, jumelée à philosophie de la glasnost, devait amorcer cette transition de rupture.

Dès qu’il tint les rênes du pouvoir, Gorbatchev acquit la ferme conviction qu’il fallait dynamiser l’économie. Il savait la tâche difficile, peut-être même impossible sans des réformes politiques importantes.

La mise en œuvre de la glasnost et la perestroïka signifie-t-elle que Gorbatchev avait en tête le démantèlement du communisme ? Voici ce que répond l’encyclopédie britannique :  » Son but était de déclencher une révolution contrôlée d’en haut. Il n’avait pas pour projet d’affaiblir le système soviétique mais de le rendre plus efficace »

Ces politiques avaient pour but de desserrer l’étreinte de l’État. Évidemment, ces changements ne plaisaient pas à tout le monde. Certains États, même s’ils voyaient le bien-fondé de ces réformes économiques, se montraient réticents quant à l’impact politique qu’elles pourraient avoir. Ils craignaient qu’elles ne débouchent sur des turbulences politiques incontrôlables. Et c’est là tout le nœud gordien : comment proposer des réformes politiques sans secouer les socles sur lesquels se repose le système ?

Toujours est-il que Gorbatchev se montra là encore flexible en proposant aux États frères d’implémenter ces réformes comme bon leur semble. Il en a profité pour les avertir qu’il fallait veiller à ne pas toucher au rôle dominant du parti communiste. Dans la foulée, dans une tentative pour mettre fin à l’humiliation que subissait l’armée russe en Afghanistan, il décida de faire le retrait de ses troupes en 1989, prouvant par-là qu’il est un homme de paix.

Mais on sait tous que les réformes proposées par Gorbatchev servirent, sans le vouloir, de tremplin pour asséner le coup de Trafalgar au système communiste. Les Soviétiques n’étaient pas seulement affamés de liberté économique mais aussi de liberté politique.

Le premier caillou de révolte a été lancé par un hebdomadaire hongrois qui, pour la première fois, s’en est pris violemment aux dogmes du communisme. L’effet papillon était inévitable.

En effet, un gigantesque syndicat polonais appelé Solidarité s’est mêlé de la partie. Regroupant plus dix millions d’adhérents, ce mouvement réclamait plus de liberté et de réformes politiques. Entre autres exigences, ils réclamaient même le suffrage universel direct lors des élections législatives. Redoutant l’intervention de l’armée soviétique, la Pologne décida de le dissoudre en 1986. Mais, il allait reprendre vie quelques années plus tard, en 1989. Le premier président polonais post-soviétique, Lech Walesa est un produit archétype de ce mouvement syndical.

L’effervescence a retenti dans des contrées aussi lointaines que le Kazakhstan où il y eut un important soulèvement populaire. Ainsi (tel un château de cartes) les graines de rébellion allaient germer pays après pays. La Lituanie, la Lettonie et quelques autres pays balkaniques joignirent aussi leurs voix pour réclamer le retrait de leur pays de l’Union soviétique.

Le coup le plus significatif vint de la réunification des deux Allemagnes en 1990, laquelle réunification s’est déroulée sous les yeux hagards de Gorbatchev. Alors que ses généraux le pressurèrent pour avoir son feu vert afin réprimer les protestataires, Gorbatchev ordonna aux chars blindés et aux officiers de ne pas quitter leurs baraques.

C’est dans un tel contexte que le leader du Kremlin goûta à la prison en 1991, quand certains officiers, mécontents de la tournure des événements, prirent la tête d’un putsch pour le renverser et tenter un acte désespéré afin de rétablir le communisme moribond. Mais le peuple russe, prenant goût à ces changements inattendus, firent échec à ce coup d’état qui ne dura que deux jours.

Au moment où nous rédigeons cet article, nous venons tout juste d’apprendre que l’actuel président russe Vladimir Poutine a boudé les obsèques de Mikhaïl Gorbatchev par son absence. Ce qui montre qu’au-delà de tous les témoignages laudatifs qu’aient pu susciter son départ, il reste et demeure une personnalite ambivalente. Alors que pour certains, il est perçu comme l’un des hommes les plus influents de l’époque contemporaine, pour d’autres en revanche, (comme c’est le cas de Poutine) il est perçu comme un timoré qui n’a pas offert de résistance face à l’effondrement du système.

Toutefois, même si la perestroïka est le principal catalyseur ayant engendré ces perturbations politiques des années 90, peut-on sciemment le rendre responsable de la chute du communisme? Avait-il d’autre choix que de laisser les événements suivre leur cours? Pouvait-il recourir à la répression comme certains suggèrent? Oui, mais s’il cédait à la propension de mâter les insurgés, il encourait le risque de faire traîner son nom aux gémonies.

Les événements se sont déroulés avec une telle brusquerie qu’il lui était impossible de prédire la révolution qui s’en suivrait.

L’union soviétique fut victime de son propre poids. La multiplicité des nations qui la composaient, sans parler des disparités économiques patentes parmi ses États membres constituaient une bombe à retardement, attendant le moindre déclic pour exploser. Il faut aussi tenir compte d’autres paramètres. Car, en même temps que l’URSS voyait un essor dans son programme d’armement, parallèlement, la paupérisation de sa population battait son plein. Comment donc, dans de telles conditions, faire écran aux desiderata de population en ce qui a trait au bien-être matériel et à la paix?

Comment empêcher l’effondrement du rideau de fer—dont le symbole était le mur de Berlin—-quand, de l’autre côté de la frontière les Allemands de l’Est constataient l’opulence dans laquelle baignaient leurs frères de l’Ouest? La volonté du peuple est comme une rivière en crue. Rien ne peut l’arrêter dans sa quête de changement.

On dira ce qu’on dira, mais il demeure patent que Gorbatchev ne pouvait pas faire grand-chose pour empêcher la démantèlement de l’URSS. Sa sagacité lui insufflait le flair nécessaire pour voir un désastre avant qu’il ne soit pointé à l’horizon. Il comprit que mâter les mouvements de rébellion était pour lui une mission suicidaire. Il a certainement tiré leçon de ce qui est arrivé à Nicolae Ceausescu qui a subi une mort ignoble en 1989 pour s’être montré entêté lorsqu’il résistait à la volonté de son peuple qui n’en avait que faire de lui.

Ainsi donc, en dépit des erreurs qu’il a pu commettre, on se souviendra toujours du nom de Mikhaïl Gorbatchev pour son pragmatisme et sa militance pour un monde débarrassé de l’arme atomique. En témoigne le traité sur le contrôle des armes nucléaires signé avec Reagan en 1987. Quoi que disent ses détracteurs, il sera toujours connu comme quelqu’un qui a changé le cours de l’histoire sous un angle positif.

Ducasse Alcin

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