Lecture globale de la crise haïtienne actuelle : Analyse et Propositions

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Mercredi 2 octobre 2019 ((rezonodwes.com))– Haïti traverse des périodes de crises à répétition durant les trente (30)  dernières années. La crise qu’elle confronte aujourd’hui se révèle sans précédent en raison d’un ensemble de convulsions socioéconomiques et politiques, qui n’ont pas été prises en charge par les autorités étatiques.

L’Etat haïtien ne parvient pas à implémenter des politiques publiques en vue d’anticiper les situations prévisibles de crises et de corriger celles qui sont subvenues. En conséquence, tous les indicateurs socioéconomiques sont en rouge. Selon le dernier rapport de la Banque Mondiale en date du 4 avril 2019, 70% de la population tombent dans la pauvreté, 7 millions d’haïtiens sont frappés par l’insécurité alimentaire. Le dernier rapport de Transparence International en 2018 a relaté qu’Haïti a atteint le sommet de l’échelle de corruption généralisée. La crise actuelle est politique, sociale, et économique.

Les trois pouvoirs par lesquels s’exprime la souveraineté nationale sont en crise. L’exécutif, ayant à sa tête le président Jovenel Moise qui symbolise aux yeux de la population la corruption personnalisée et le promoteur du système d’inégalité socioéconomique ;  reste sourd aux différentes revendications en faveur du procès petrocaribe, et de la lutte contre la corruption. Le clientélisme, les scandales de prévarication, de népotisme, de conflits d’intérêt sont les dérives les plus probantes à travers les organes de l’exécutif. Au-delà des dérives citées ci-avant, il y a des irrégularités majeures et d’autres gabegies accusées par l’exécutif dont on note celles-là :

  • L’élaboration d’un budget national qui ne représente pas l’élargissement de l’assiette fiscale mais plutôt qui asphyxie la masse et la classe moyenne en augmentant des taxes et des cotisations sur les services publics sollicités en grande partie par ces deux classes sociales. Parallèlement, l’Etat ne met pas des mécanismes en place visant à combattre la contrebande au niveau des frontières entre la République Dominicaine, à réduire les franchises douanières, à renégocier les contrats réputés surfacturés entre l’Etat et des firmes privées. En lieu et place d’application des mesures justes, les taxes sont imposées aux plus pauvres. Ceci aggrave la situation socioéconomique de la masse et décapitalise la classe moyenne déjà en privation de prêts à leurs projets d’entreprise ;
  • L’allocation de 50 millions de dollars à un projet improvisé «  karavann Chanjman » selon un article du quotidien Le Nouvelliste. Ce projet ne touche en rien la production agricole mais plutôt la construction et le réaménagement des tronçons de route qui ne sont pas nécessaires à la circulation des biens et services. Donc, il n’y a pas de création réelle de richesse et d’importation de devises en vue d’échapper à la dépréciation de la gourde. Il faut noter que ce fonds n’a pas été budgétisé ; ce qui nous permet de comprendre que les dépenses ont été faites sans contrôle.
  • La dépréciation de la gourde par rapport au dollar, soit 95 gourdes pour 1 dollar, en raison de la baisse inexorable de la production locale et l’augmentation du niveau d’importation.

Il y aussi, selon une entrevue accordée au leader politique Moise Jean Charles à la télé Pacific, l’utilisation à outrance du fonds de réserve de la Banque centrale (BRH) jusqu’à l’atteinte de son niveau plancher recommandé par le FMI. Il y a également le comportant anticipateur des agents économiques comme les banques commerciales et les entreprises d’importation face à la montée du dollar, c’est-à-dire ces agents gardent les dollars en conserve. Ceci conduit de plus en plus à la rareté du dollar et la hausse vertigineuse des prix des biens et services. Ainsi, le pays plonge dans une inflation à deux chiffres (19,2%). De ce fait, le pouvoir d’achat de la population diminue, elle se sent plus que jamais asphyxier par le chômage, la promiscuité, la misère ; par conséquent se révolte contre les fausses promesses de Jovenel Moise.

  • La reconduction pendant trois (3) ans d’un budget national avec un déficit  budgétaire cumulé de 40 milliards de gourdes. Le pire est que la reconduction de ce budget ne prend pas en compte la hausse continue du taux d’inflation passant de 14,1% en 2018 à 19,2% en 2019. Et, il faut noter la ventilation de ce budget n’accorde pas de priorité aux domaines sociaux.
  • L’inapplication des politiques publiques visant à apporter à court et à moyen terme des solutions aux problèmes sociaux notamment au niveau de la masse défavorisée ;

Depuis après le vote de censure du Premier Ministre Jean Henry Céant  le 18 mars 2019, le pays n’arrive pas à se doter d’un gouvernement légal et légitime. Une première tentative de ratification a été avortée avec le Premier Ministre Jean Michel Lapin en raison de différentes contestations sur son caractère laxiste à pouvoir mener le pays et gérer les éventuelles crises. Une deuxième tentative de ratification du gouvernement de Fritz William Michel a été avortée en raison de son implication dans différents cas de corruption tels que : délit d’initié, trafic d’influence, et surfacturation de sa firme agricole dans la vente de cabris à l’Etat Haïtien.

Il faut noter que le président Jovenel Moise a banalisé les efforts déployés par l’ancien PM Céant qui voulait ramener à la table de négociation les différents représentants des forces vives de la nation. Malgré la présence de personnalités importantes et de chefs de partis à la rencontre tenue au centre de Convention de la BRH tels que : Victor Benoit, Eric Jean Baptiste, Clarens Renois, Paul Bernard Craan, Rony Desroches etc… ; le président a déclaré insatisfait et a traité d’échec le processus de dialogue initié par son premier ministre.

Le président Jovenel Moise est indexé dans différents rapports sur la corruption, notamment celui de la Cour des Comptes sur la dilapidation du fond petrocaribe. Il y a aussi des charges qui ont été retenues contre la première dame à propos du gaspillage d’environ 27 millions de dollars en complicité avec une firme d’impression de cartes d’identification nationale appelée Dermalog.

Il faut mentionner que des rapports de la DCPJ et de l’ONU ont fait état d’implication des hauts dignitaires de l’Etat et proches du pouvoir impliqués dans des dossiers de massacres à La Saline, grand-Ravine, Carrefour-Feuilles, et de l’intrusion des mercenaires sur le sol haïtien.

Parmi les points importants de la crise actuelle, il y a un qui est plus que majeur : Les élections qui devraient avoir lieu en octobre 2019 ne pourront certainement pas avoir lieu. Ces élections devraient renouveler les personnels de l’Etat tels que : les deux tiers  du Sénat, la chambre des députés, les conseils municipaux…en raison du blocage de la machine électorale, dont la loi électorale par les deux pouvoirs concernés (Exécutif et législatif), en particulier le président de la république qui, selon l’article 136 de la constitution de 1987 amendée, devrait assurer la bonne marche des institutions étatiques.

A cet effet, le chaos politique s’annonce à partir de Janvier 2020. Donc, les vides institutionnels seront énormes et difficiles à combler en raison du fait que le président n’a plus de légitimité populaire. Il ne pourra pas diriger par décret puisqu’il est contesté par les forces vives de la nation. En outre, aucune provision constitutionnelle ne lui permet de prolonger les mandats des élus dont leurs mandats arriveront à termes. En effet, l’incertitude face au devenir du pays est de rigueur.

En effet, la crise haïtienne est systémique et institutionnelle. Il n’y a pas que l’exécutif qui soit un élément de la crise. Il y aussi le législatif qui est mis en marge des aspirations légitimes de la population et se retrouve décrié par la présence à la chambre basse comme au Sénat  des mandataires véreux qui se sont compromis dans des scandales de pots-de-vin et de trafic d’influence. A côté des reproches faites aux pouvoirs exécutif et législatif, il a y aussi le pouvoir judiciaire qui est tombé en décomposition avec des juges corrompus (le président Jovenel l’a affirmé) et à compétence douteuse. Les Commissaires de gouvernement sont toujours au service des membres du pouvoir en place.

Ce sont, entres autres, des précédents  qui ont amené la population à se méfier davantage du pouvoir en place, et à extérioriser leur ras-le-bol face à la mauvaise gestion de l’Etat par les autorités en particulier le président Jovenel Moise. D’où les manifestations de rues de la population en foule demandant le chambardement de ce système politique porteur d’inégalités socioéconomiques à commencer par la démission sans condition du président Jovenel Moise.

Il faut noter à l’encre forte que les rapports soumis par les différentes missions diplomatiques étrangères à leurs pouvoirs centraux ne reflètent pas les réalités de misères et de violations systématiques des droits de l’Homme qui sévissent en Haïti.

En effet, les valeurs démocratiques de ces Etats en particulier les Etats Unis d’ Amérique devraient leur motiver à se pencher sur le cas d’Haïti.

En guise de propositions nous citons :

  • Les élus encore en fonction, particulièrement le président de la République Jovenel Moise, doivent écourter leurs mandats au cours de toutes négociations, s’il y en aura.

 Car, la majorité des forces vives de la société (l’association des maires, les associations religieuses, les associations d’artistes, les mouvements petrochallenger, des partis politiques, et d’autres organisations de la société civile) ont  exigé la démission sans conditions du président contesté Jovenel Moise;

  • L’opposition institutionnelle largement large, en commun accord aux autres secteurs de la vie nationale dont les organisations religieuses, les organisations universitaires, les mouvements petrochallengers, les autres entités de la société civile ; doivent mettre sur pied une commission de passation du pouvoir provisoire;

Ce pouvoir provisoire doit avoir à sa tête un juge de la cour de Cassation. Ce juge doit être impartial, transparent, désintéressé, et non partisan du régime en place. Il doit être choisi après délibération de ladite commission tout en respectant scrupuleusement les critères  de choix. Ce pouvoir doit être inclusif et reflète la configuration mosaïque de la société haïtienne. Le premier ministre doit être choisi également par délibération de la commission après consultation de tous les secteurs de la vie nationale. Les ministères ne devraient pas dépasser 15 en terme de nombre.

  • Ce pouvoir provisoire doit avoir un mandat qui ne dépasse pas trois (3) ans. Il aura pour mission de redresser la situation catastrophique de l’économie tout en appliquant des politiques publiques à court et à moyen termes, lesquelles visent à apporter des apaisements sociaux dans les zones défavorisées les plus touchées par la misère. Il doit mettre en place les mécanismes visant à lancer la production nationale à moyen terme. Il doit mettre en branle les machines de réforme institutionnelle tout en révisant les privilèges accordés aux ministres, directeurs généraux, et autres dignitaires de l’Etat Ainsi, Il doit relancer la machine électorale puis organiser les élections définitives. Il doit mettre en place les dispositifs permettant la réalisation du procès petrocaribe ainsi que le combat contre la corruption et la contrebande au niveau des frontières haitiano-dominicaines. Il doit organiser la conférence nationale de dialogue. Il doit se pencher sur la nécessité d’une réforme constitutionnelle par le biais d’ un processus transparent et plus rationnel que celui récemment entamé par un groupe minoritaire à la chambre des députés. Il doit nommer des représentants de trois (3) membres au niveau de chaque conseil municipal jusqu’à l’organisation des élections.
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La sincérité de ce pouvoir provisoire doit aller au bout afin d’empêcher l’accaparement des principales sources de revenus de l’Etat par le secteur privé clientéliste à travers les franchises et grâce de taxes, tel a été le cas après le départ du régime lavalassien en 2004.

Moise GARCON

Buder BRILLANT

Plan d’Action Citoyenne (PAC)

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