« L’école à La Gonâve », plus de 110 ans d’histoire

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Par Idson Saint-Fleur

Mardi 4 octobre 2022 ((rezonodwes.com))–

Le 21 mai 1888, une loi promulguée par le président Salomon vise à contrôler l’établissement humain à La Gonâve. A partir de ce moment des gens de la Grande-Terre plantent leurs pénates progressivement, et par vagues plus importantes, sur l’île, sur une terre qu’ils peuvent s’approprier avec une fantaisiste liberté. La Gonâve fait partie du domaine privé de l’Etat, en tant que tel chacun y va de son appétit de disposer de sa propre portion de terre.

Certains s’établissent tout seuls ; d’autres débarquent avec leurs familles et quelques proches. En dépit du fait qu’ils évoluent dans un environnement fondamentalement agraire et halieutique, quelques parents estiment nécessaire d’introduire leurs enfants aux notions de lecture et d’écriture (Fòk timoun yo konn siyen non yo !). La satisfaction de ce besoin aboutit à la création des premières écoles( ?) de La Gonâve. Elles fonctionnent suivant un cycle de tâtonnement, deux ou trois jours par semaine.

Les écoles naissent puis disparaissent en quelques mois ou après deux ou trois ans de service. La conviction de nombre de parents se révèle par la suite molle ; l’intérêt des enfants est peu significatif ; l’engagement de certains maîtres se relâche aux premières difficultés survenues. En plus de tout cela, les autorités de la Grande-Terre, à l’exception de l’exploitation des forêts et de la mise en culture des terres, affichent peu de considération aux besoins scolaires du « Quartier de La Gonâve ».

En 1911, Le Bulletin religieux, organe de communication officiel de l’Eglisecatholique d’Haïti, signale l’existence de deux embryons scolaires à La Gonâve. En effet, un instituteur s’occupe de quelques enfants à l’Anse-à-Galets. Un autre en fait pareil à Pointe-à-Raquettes. S’agit-il d’écoles formelles ou de maîtres qui donnent des leçons particulières à des mômes ? Ces détails n’émergent pas. S’agit-il d’écoles à la charge de l’Education nationale ou issues d’initiative privée ? Les documents sont muets sur ce point.

En 1912, Luc Dorsinville, directeur de la « Société agricole et industrielle de l’île de La Gonâve », fonde à Pointe-à-Raquettes une école primaire libre de garçons, autrement dit une école privée. Placée sous la direction d’Emmanuel Désir Alexandre, elle démarre avec un effectif de 18 élèves. Cependant, les mauvaises conditions socio-économiques d’existence des paysans ne favorisent nullement son épanouissement. Après trois années de service, l’école est abandonnée. Peu de parents sont en mesure de payer un écolage mensuel fixé à cinquante centimes par enfant.

En 1913, à la suite  de  la signature de la Convention sur les écoles rurales, entre l’Etat haïtien et l’Eglise catholique, l’archidiocèse de Port-au-Prince ouvre une petite école presbytérale à Pointe-à-Raquettes, la plus grande bourgade de La Gonâve. Mais l’œuvre n’est pas durable.

En 1923, on retrouve à l’Anse-à-Galets une école presbytérale, attachée à la chapelle Saint-Isidore dépendante de la paroisse Saint-Pierre de l’Arcahaie. Cette petite école – ancêtre de l’école Sainte-Bernadette – ne parvient pourtant pas à fonctionner dans la régularité. Dans la foulée, Pierre Pyrrhus Agnant, maire de l’Arcahaie, commune englobant également l’île de La Gonâve, s’occupe de trois autres écoles évoluant dans une grande précarité.

En 1927, le père Allain Euzen, premier curé de l’île, recense cinq écoles reparties de la façon suivante:

  • Anse-à-Galets : une école nationale mixte, une école communale;
  • Pointe-à-Raquettes : une école nationale mixte;
  • Etroits : une école nationale de garçons et une école presbytérale de filles.

Parallèlement, pour diverses raisons, d’autres initiatives scolaires précédentes ont dû s’arrêter net. On en veut pour preuve la fermeture de l’école presbytérale de l’Anse-à-Galets et de trois autres écoles subventionnées par le séquestre durant la décennie 1920. Le séquestre étant un fonctionnaire civil nommé par le gouvernement avec pour mandat d’administrer la « Société agricole et industrielle de l’île de La Gonâve » en préservant les intérêts de l’Etat et ceux des actionnaires. (Cf., SAINT-FLEUR, Idson ; Des éléments pour une histoire de La Gonâve. Une double chronique des exploitations agro-pastorales et forestières  (XVIIIe, XIXe et XXe siècles) et de recherches pétrolières (XXe siècle),  Média-Texte, Port-au-Prince, 2020, Pp. 170-174)

Le réseau décoles baptistes

Au début du XXe siècle, entre 1908-1915, des paysans venus des montagnes du Sud-Est se rendent à La Gonâve à la recherche de terres cultivables. Quelques-uns d’entre eux, étant de confession chrétienne d’obédience protestante – membres de l’Eglise baptiste de Jacmel dirigée par l’estimable pasteur Nossirehl Lhérisson -, organisent sous le leadership de Sainvilus Sainvil la station de Mare-Sucrin. Pour des raisons de proximité géographique, l’œuvre évangélique naissante passe, avec l’accord du pasteur Lhérisson, sous l’administration de l’Eglise baptiste de Saint-Marc. Dans le courant de l’année 1921, une petite école est annexée à la station à l’initiative du pasteur Georges Archibald.

C’est avec le pasteur Boaz Alexander Harris que l’œuvre évangélique de La Gonâve va effectivement prendre son essor à partir de 1923. Cet Afro-américain, originaire de la Guyane anglaise, multiplie la création des stations auxquelles sont attachées progressivement de petites écoles. Croyant que l’éducation et l’évangélisation sont indissociables, en l’espace de deux ans et demi, il ouvre six écoles à La Gonâve. Les stations secondaires gravitent autour de deux stations centrales : Mare-Sucrin et Gros-Mangles qui disposent chacune d’une école ayant un effectif plus grand avec des activités parascolaires plus diversifiées. Par exemple, l’établissement scolaire de Mare-Sucrin, la première école baptiste de La Gonâve (ouverte en 1923), dispose d’un espace de recréation et d’exercice physique, également d’un jardin scolaire où les enfants sont initiés aux pratiques agricoles.

Cependant, étant donné que ces écoles dépendent totalement de donations de chrétiens américains, toute suspension de ces subventions entraine automatiquement la suspension de leurs activités. Tel est le cas de l’école baptiste de Gros-Mangles contrainte de fermer ses portes durant quelques années pour ne les rouvrir en 1940 grâce au support financier du Dr. C. L. Aiken, président de la « Afro-American Convention of  New Jersey ». L’effectif de réouverture de 85 enfants est rapidement passé à 200 enfants. Le succès est pareil  pour l’école Bethléem baptiste de Pointe-à-Raquettes, ouverte en 1941 sous la houlette du maître Joseph Laurore.

Cette tendance à adjoindre des écoles aux églises baptistes s’est systématiquement poursuivie avant que la tendance ne se renverse étonnamment durant l’administration du pasteur Reynold Jean-Baptiste (1962-2002).

L’action éducative des autres cultes

Les autres cultes adoptent la même stratégie : église et école. L’Eglise wesleyenne établie à La Gonâve en 1952 dispose pour l’instant d’un réseau de 13 écoles ; l’Eglise Du Nazaréen dispose de 21 écoles et de 9 centres de développement d’enfants ; l’Eglise adventiste du 7e Jour en compte 3 écoles; l’Eglise de Dieu en compte deux ; l’Eglise épiscopale en compte 11 dont l’école Sainte-Croix de Nouvelle-Cité ouverte en 1925, l’année de fondation des deux premières chapelles épiscopales à La Gonâve (l’école épiscopale de Trou-Lully fondée également en 1925 a été fermée). Quant à l’Eglise catholique, elle a en charge 10  écoles établies dans 5 des 6 paroisses dont l’école presbytérale de Gros-Mangles fondée en 1946 et le Complexe éducatif Sainte-Bernadette, ci-devant Ecole Sainte-Bernadette ou « Kay Léona », fondé en 1964.

Le réseau décoles publiques

Durant la première décennie du XXe siècle, l’Etat tente d’apporter une réponse à la demande scolaire de La Gonâve avec la création d’une école de garçons à l’Anse-à-Galets. A cause de la mauvaise attitude de son directeur ayant un trop fort penchant pour l’alcool, le ministre Tertulien Marcelin Guilbaud décide, en 1911, de sa fermeture.

Mais quelques années plus tard l’initiative publique est confortée avec la création de trois écoles nationales situées respectivement à l’Anse-à-Galets, aux Etroits et à Pointe-à-Raquettes. Donc, autant que faire se veut, le pouvoir central soutient timidement l’œuvre d’instruction dans la contrée. D’une manière très lente, un réseau d’écoles primaires (fondamentales) publiques s’est constitué. Présentement, il réunit 31 établissements scolaires distribués à travers les six sections communales de l’Anse-à-Galets et les cinq sections communales de Pointe-à-Raquettes. Dans la foulée, le lycée national de l’Anse-à-Galets ouvre ses portes en novembre 1987. Par la suite, les lycées de Pointe-à-Raquettes, de Grande-Source et Gros-Mangles inaugurent leurs cours respectivement en 1991, 1993 et 2007.

Suivant le recensement scolaire réalisé par le ministère de l’Education nationale dans le courant de l’année académique 2015-2016, la population scolaire  de La Gonâve est de l’ordre de 50 360 enfants et jeunes. 87,73% d’entre eux fréquentent des écoles privées dont 62,56% sont établies dans la commune de l’Anse-à-Galets. Cette population scolaire est très jeune, car 72,46% se retrouvent en classes fondamentales. Mais, plus globalement la jeunesse des habitants de l’île ne dément pas la tendance nationale. Pour une population estimée en 2015 par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI) à 87 077 habitants, près de de la moitié – soit 49,62% -, est âgée de moins de 18 ans.

D’inoubliables pédagogues

Face à une demande accrue, l’offre scolaire publique demeure toujours faible. Les églises catholique, épiscopale, adventiste et protestante font de leur mieux pour faciliter l’accès de plus en plus d’enfants à l’éducation. Avant le développement du service scolaire marchand, la majorité des enfants sont accueillis dans les petites écoles annexées aux églises. Sans ce secours religieux, plusieurs générations de Gonâviens n’auraient aucunement l’opportunité d’apprendre à lire et à écrire. Aucunement ! Sans ses phalanges d’instituteurs et d’institutrices, de générations différentes mais d’égal dévouement dont certains consacrent la moitié de leur vie à cette cause noble. En vrac, partiellement et sans partialité, on peut citer : Emmanuel Désir Alexandre, Boisrond Saint-Preux, Necker Pierre, Gesner Fenestor, Willy Charlier, Elfils Michel,  Samuel Black, Tarius St.-Arr, Sylvia St.-Vil (devenue dame Willy Charlier), Francius François, Mompoint Célestin,Josué Sainvil, Elmiram Saint-Louis, Propser Narcisse, Joseph Laurore, Michel Laurore, Joël Laurore, Ida Erasme, Iléry Desvallons, Mme Edner Joseph (née Lorette Dessaint), Reymy Ervilus, Jacqueline Bazile, Holly Jean-Philippe, Vilhomme Charles, Archeby François, Elysée François, Bély Léger, Mme Reynold Jean-Baptiste (née Lucienne Toussaint), Daniel Sudre, Dolis Joseph, Emmanuel Antoine, Obrane Lindor, Eric Antoine, Robert Jules, Moragène Jean-Louis, Deschamps Sauveur, Walter Souverain, Sauveur Loriston, Elistone Valmé, Victor Jean, Julio Province, Henri Mathieu, Philippe Mathieu, Acorey Lamérique, Wendel Henri, Jordany Fanor, Mme Jordany Fanor (née Etienna Dambreville), Hubert Angervil, Rodolphe Lafontant, Wasener Souverain, Yvon Souverain, Remon Valmon, Dolis Garius, Pradel Bijoux, Edith Bijoux, Ivana Dimanche, Louis Pierre-Louis, Andrée Souffrant, Arty François, Marcéus Macéna, Lorida Jean-François, Mme Roger Verret (née Germaine Normil), Marcel César, Wilner Jean-Baptiste, Hébert François, Willy Guérilus, Hubert Angervil, , Altès François, Larousse Altidor, Yves Simon, Lefils Pierre, Leveillé Fortuné, Mme Molière Angervil (née Sounia Dorsinvil), Reynold Edmond, Eloge Polynice, Jaccia Louissaint, Norézile Antoine, Arsène Denisca, Beaumanois Joseph,  Reymy Joseph, Mezilia Charles, Gilbert Sémé, Fernand Dubois, Elie Antoine Pierre, Mme Elie Antoine Pierre (née Marie Mathilde Marcelo), Jean-Claude Bois et allii.  

Au tournant des années 2000, les initiatives privées viennent amplifier l’offre scolaire. Le service marchand gagne en ampleur. Il est principalement concentré dans la ville de l’Anse-à-Galets et animé par de jeunes universitaires Gonâviens faisant le choix de revenir au bercail.

  La Gonâve gagne presque la bataille pour la massification de l’éducation. Mais comme le montrent les derniers résultats aux examens d’Etat de 9e année fondamentale et du baccalauréat unique, il reste beaucoup à faire pour mettre un minimum de qualité dans ce qui se fait réellement dans les salles de classes. On est plus de 110 ans après les premières initiatives visant à introduire les primo Gonâviens à la « civilisation lisante » !  

P.S : Liste des 31 écoles fondamentales publiques de La Gonâve : école nationale de Petite-Anse I (Boucan-Lamarre), école nationale de Petite-Anse II (Fond-Laurore), école nationale de Platon-Balai (Morne Picmy), école nationale Notre-Dame de Lourdes (Port Picmy), école nationale de Palma, école nationale de Bas-Lumière (Palma), école nationale de Mare-Sucrin, école nationale de Nan-Café, école nationale de Bois-Brûlé, école nationale de Lotoré, école nationale de Pointe-à-Raquettes, école nationale de La Palmiste, école nationale de Petit-Palmiste, école nationale des Abricots, école nationale de Nan-Saint-Marc, école nationale de Trou-Louis, école nationale de Grand-Vide, école nationale de Petit-Fonds, école nationale de Pointe-des-Lataniers, école nationale de La Source, école nationale de Gros-Mangles, école nationale de Plaine-Cornette, école nationale de Trou-Louisjeune, école nationale de Tamarin, école nationale de Grand-Lagon, école nationale des Etroits, école nationale de Petite-Source, école nationale Dorcius André (Anse-à-Galets), école nationale de Dent-Griyen, école nationale de l’Anse-à-Galets et l’école nationale Gaspard Fléo (Anse-à-Galets). 

Idson Saint-Fleur
Petite-Source (Zèb-Ginen), La Gonâve
saintfleuri14@yahoo.fr

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