»Minerai noir », le célèbre poème de l’écrivain haïtien René Dépestre sur la traite négrière

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Poète, romancier et essayiste, né à Jacmel, Haïti, en 1926, René Dépestre a reçu entre autres, le Prix Renaudot, le Prix du roman de la Société des gens de lettres, le Prix Robert Ganzo de poésie et le Prix du roman de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Dans ce texte, il raconte avec profondeur et génie les causes de la traite négrière transatlantique.

Lundi 12 septembre 2022 ((rezonodwes.com))–

“Quand la sueur de l’Indien se trouva brusquement tarie par le soleil.

Quand la frénésie de l’or draina au marché la dernière goutte de sang indien

De sorte qu’il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d’or

On se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique

Pour assurer la relève du désespoir

Alors commença la ruée vers l’inépuisable

Trésorerie de la chair noire

Alors commença la bousculade échevelée

Vers le rayonnant midi du corps noir

Et toute la terre retentit du vacarme des pioches

Dans l’épaisseur du minerai noir

Et tout juste si des chimistes ne pensèrent

Au moyen d’obtenir quelque alliage précieux

Avec le métal noir tout juste si des dames ne

Rêvèrent d’une batterie de cuisine

En nègre du Sénégal d’un service à thé

En massif négrillon des Antilles

Tout juste si quelque curé

Ne promit à sa paroisse

Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir

Ou encore si un brave Père Noël ne songea

Pour sa visite annuelle

A des petits soldats de plomb noir

Ou si quelque vaillant capitaine

Ne tailla son épée dans l’ébène minéral

Toute la terre retentit de la secousse des foreuses

Dans les entrailles de ma race

Dans le gisement musculaire de l’homme noir

Voilà de nombreux siècles que dure l’extraction

Des merveilles de cette race

Ô couches métalliques de mon peuple

Minerai inépuisable de rosée humaine

Combien de pirates ont exploré de leurs armes

Les profondeurs obscures de ta chair

Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin

A travers la riche végétation des clartés de ton corps

Jonchant tes années de tiges mortes.”

Minerai noir, extrait du recueil de poèmes éponyme, par René Depestre, 1956.

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