par Mathias L. DEVERT
Vendredi 29 juillet 2022 ((rezonodwes.com))–
Le Droit International Public désigne l’ensemble des règles de droit qui régissent les relations entre sujets de Droit International, principalement les États et les Organisations Internationales. Il se décompose en trois parties: il s’agit du Droit (un système juridique organisé) ,applicable sur la scène internationale ,principalement à des personnes publiques (1).Ces principales sources sont : les conventions internationales ,la coutume internationale ,les principes généraux reconnus par les nations civilisées, la jurisprudence et la doctrine.
Sa fonction première consiste à établir l’ordre . En ce sens, il régit les relations entre États ,simplifie la coopération internationale et la rend prévisible du fait des règles contraignantes qu’il établit. L’une de ses missions prioritaires est d’assurer la paix et la stabilité au niveau international(2).
Son évolution est le produit d’une dialectique constante entre deux modèles : un modèle relationnel ,répondant à la vision traditionnelle de la société internationale composée d’États souverains et un modèle institutionnel ,calqué sur le Droit étatique centralisé et doté d’institutions apte à mettre en œuvre un pouvoir de contrainte(3)
Toutefois, il y a une ambigüité dans l’appréhension du caractère du droit international .Certains spécialistes ,diplomates ou encore politiques se mettent du coté du courant théorique qui soutient que le droit international est un type de droit relativiste soumis aux caprices des États .Tandis que pour d’autres le droit international est loin d’être soumis aux caprices des États car ces derniers sont amenés à respecter les règles établies au niveau international .
Face à cette situation de flou ou encore d’incertitude autour de la portée du droit international qui ne parvient pas à faire l’unanimité auprès des observateurs internationaux en raison de nombreux cas de violations des règles établies par les États et de la persistance de l’unilatéralisme dans les relations internationales, on est parvenu à se demander : Peut-on considérer le droit international comme étant contraignant?
Si oui ,en quoi serait-il contraignant? Ne présente-il pas de limites dans son application ?
A-Caractère contraignant du Droit International
Dans les relations internationales, les États ne respectent pas toujours de plein gré les règles de Droit International établies pour maintenir l’ordre au niveau international. Pour les faire respecter ,il faut recourir à des institutions qui peuvent rendre des décisions au nom de la communauté des États comme c’est le cas de l’ONU , des tribunaux internationaux ou encore d’autres institutions internationales universelles ou régionales liant les États.
C’est de ce cadre que le droit international puise son caractère contraignant ,obligeant les États à respecter leur engagement et à observer certaines normes jugées obligatoires au niveau international.
1-l’ONU et le maintien de l’ordre international
L’ONU ayant vu le jour en 1945, devrait avoir pour tache de prévenir les conflits afin d’empêcher à l’humanité de connaitre à nouveau une expérience belliqueuse comme celle de la seconde guerre mondiale qui a dévasté une très grande partie du monde .Pour cause , le premier et principal objectif des Nations Unies est de maintenir la paix et la sécurité internationales(4)
Ainsi, pour parvenir à la paix et la sécurité internationales ,l’ONU peut mettre en place divers mécanismes prévus dans sa charte constitutive. Cette dernière parvient à se faire reconnaitre par les États et imposer une autorité au niveau internationale au point ,qu’à tort ou à raison ,certains la qualifient d’institution supranationale.
Dotée d’une cour internationale de justice ,l’ONU est supposée garantir un droit pour tous. Pour parvenir à ses fin, lorsque les États violent les principes du Droit international, ,elle peut avoir recours à différents mécanismes:
a) Mesures n’impliquant pas la force
Ces mesures sont applicables aux États ayant enfreint des règles au niveau international même contre leur volonté .De telles actions puisent leur origine ou encore leur légalité à travers la charte qui prévaut:
«Le conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions ,et peut inviter les membres des nations unies à appliquer ces mesures .Celles ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires ,maritimes ,aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et d’autres moyens de communication ainsi que la rupture des moyens diplomatiques»(5)
Lorsqu’un État fait face à une situation pareille, sa situation socio économique se dégradera et se trouvera dans l’obligation de coopérer dans l’atteinte des objectifs des nations unies .
Plusieurs pays où les droits humains sont violés constamment ou encore n’ayant pas respecté leur engament au niveau international ont subi ces types de sanctions .
b) Mesures de natures militaires
l’organisation peut se trouver dans l’obligation de prendre des mesures de nature militaires au cas où les États qui violent les règles ne mettent fin à leur pratique . Ces mesures sont de nature coercitive et interviennent une fois des démarches liées aux sanctions diplomatiques ou économiques ont été entreprises sans pouvoir apporter une solution au problème. Dans ce cas l’organisation peut mettre sur pied une force armée d’intervention pour empêcher à un État de mettre en péril la paix et la sécurité internationales. Ainsi, la charte dispose:
«Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’Article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies.»(6)
Dans ce cas le droit international assigné à une fonction de maintien de l’ordre international trouve dans le conseil de sécurité un véritable gendarme pouvant faire respecter des règles obligatoires par les États membres . Les actions de l’assemblée générale et du conseil de sécurité rendent le droit international contraignant pour les États dans la poursuite leur engagement .
Cas de l’intervention onusienne contre l’IRAK au Koweït
La communauté internationale a fait face à une situation illicite ,lorsque l’Iraq a décidé de s’emparer du Koweït . l’ambition d’annexion du Koweït par l’Iraq a toujours été à l’ordre du jour des autorités iraquiennes .Voulant étendre leur influence et avoir accès à des zones essentielles ,Saddam Hussein a décidé de s’emparer du Koweït soit le 2 aout 1990.
De là le principe de l’égalité souveraine des Etats et celui de l’autodétermination ont été violés par l’Iraq et également l’article 2.4 de la charte traitant le cas d’agression qui dispose : les États s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies (8).
Face à une telle situation, la communauté internationale se réfère à la charte de l’ONU qui stipule : Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales(9).
Sur cette base des mesures ont été prises :
1) Mesures économiques
Pour forcer les iraquiens à laisser le territoire du Koweït ,le conseil de sécurité prône le boycottage commercial ,financier et militaire de l’Irak . Ainsi la résolution 661 du 6 aout 1990 dispose : Le Conseil décide que tous les États empêcheront« L’importation sur leur territoire de tous produits de base et de toutes marchandises en provenance de l’Irak ou du Koweït ;La vente ou la fourniture par leurs nationaux ou depuis leur territoire de tous produits de base ou de toutes marchandises, y compris des armes ou tout autre matériel militaire, mais non compris les fournitures à usage strictement médical et, dans des cas où des considérations humanitaires le justifient, les produits alimentaires à toute personne physique ou morale se trouvant en Irak ou au Koweït(11) ..
Malgré ces sanctions économiques ,l’Irak a maintenu sa positon .Donc le conseil est dans l’obligation d’amplifier les mesures et d’utiliser les moyens jugés nécessaires pouvant rétablir l’ordre et la paix .
2) opération militaire armée
Apres l’échec de près d’une dizaine de résolution et l’appel de mécanismes de soft power de la charte pour forcer l’Iraq à obtempérer et permettre au Koweït de recouvrer sa souveraineté ,le conseil de sécurité a pris des mesures impliquant l’utilisation de la force armée.
Ainsi ,la résolution 678 du 29 novembre 1990 a été adoptée et fait mention: Le conseil de sécurité autorise les Etats membres qui coopèrent avec le gouvernent du Koweït ,si au 15 janvier 1991 l’Iraq n’a pas pleinement applique les résolutions sus mentionnés , à user de tous les moyens nécessaires pour faire respecter et appliquer la résolution 660(1990) et toutes les résolutions pertinentes adoptées ultérieurement et pour rétablir la paix et la sécurité internationales.
Après avoir usé de tous les moyens prévus par la charte pour forcer l’Iraq à respecter les principes du droit international ,le conseil a autorisé implicitement aux Etats d’intervenir par la force ( 12). Telle opération a permis au Koweït de recouvrer sa souveraineté .
B-Limites du Droit International
Le droit international présente des manquements dans son application. Dans bien des cas ,les États préfèrent recourir à l’unilatéralisme pour sortir de l’ordre international. De nombreuses règles internationales ont été violées par les grandes puissances notamment des membres du conseil de sécurité qui devraient être des modèles pour les autres États.
Le nationalisme(chauvinisme) des gouvernements les empêche parfois à respecter les normes internationales ,ils préfèrent mettre en avant les intérêts de leur nation dans différents domaines : le nucléaire ,l’environnement ,le commerce …
1- Le recours à la souveraineté absolue
Traditionnellement, la souveraineté de l’Etat a été perçue comme sacrée au niveau des Relations Internationales. Une telle conception a été en grande partie soutenue par la théorie réaliste qui met l’Etat au centre des Relations Internationales. Cette dernière met emphase sur l’autonomie de l’État et la puissance du souverain dans ses rapports avec ses pairs, dans la mesure où elle a été inspirée par Machiavel et Jean Bodin.
Jean Bodin se positionne parmi les premiers auteurs ayant proposé une première définition moderne de la souveraineté qui est entendue comme pouvoir suprême, source de tous les pouvoirs et de la loi elle-même. Pour lui, la souveraineté renvoie à l’idée de production de soi-même par soi, à l’idée d’indépendance et d’autosuffisance(18).
Comme l’Etat il est souverain il ne peut accepter aucune autorité qui lui est supérieure ,bien que faisant partie d’organisation internationale et décide quand être partie à un accord ou se retirer dès qu’il ne tient plus compte de leurs intérêts.
2) non reconnaissance de la compétence des instituons
Pour respecter les règles de droit international ,les Etats s’entendent à mettre en place des institutions internationales avec des statuts spécifiques et missions particulières.
Toutefois certaines institutions internationales peinent à jouir de la reconnaissance auprès de nombreux Etats . Ces Etats souverains refusent de reconnaitre la compétence de certains tribunaux qui selon eux peuvent porter atteinte à leurs domaines de compétence.
Par exemple en ce qui concerne la cour pénale internationale près de 1/3 des membres de l’assemblée générale de l’ONU ne reconnait sa compétence . Des membres du conseil de sécurité comme la Russie la Chine ,les Etats-Unis ne reconnaissent nullement sa compétence(20) . Au contraire cette institution s’est même retrouvée dans le collimateur de l’administration Trump menaçant de prendre des sanctions contre ses fonctionnaires s’ils s’arrogent le droit de se mêler des affaires américaines.
Donc, cette institution est marginalisée par de nombreuses grandes puissances et ne parviennent pas à avoir l’impact souhaité au niveau international. C’est le cas pour de nombreuses autres instituions internationales ,notamment les tribunaux régionaux.
3) le non respect des règles établies
Les États ont tendance à signer des accords au niveau international en vue de participer à la gouvernance mondiale . Malheureusement ,ces mêmes États dans certains cas ne parviennent pas à respecter leur engament et à défier l’ordre international .Cela a été le cas pour des grandes puissances qui utilisent le droit international contre les petits pays et le bafouent quand ils ont besoin de mener leurs actions illicites.
-Cas de l’invasion Russe en Crimée
La charte des nations unies reconnait le principe d’autodétermination des États et le principe d’égalité souveraine des États qui sont à la base des rapports interétatiques . Toutefois ,les grandes puissances se croient au-dessus du droit international ,jusqu’ à violer la souveraineté d’autres États considérés comme secondaires ou ne faisant pas le poids.
La Russie dans sa poursuite d’intérêts géopolitiques dans sa zone d’influence ne cesse de s’attaquer à la souveraineté de l’Ukraine. Elle a procédé à l’annexion d’une partie du territoire Ukrainien . Malgré la condamnation de cet acte par les États-Unis et les États européens ,elle continue à garder le territoire sous sa domination .
De là, le principe d’intégrité territoriale au sein de l’ONU a été violé . Face à la puissance russe le droit international parait impuissant et ne peut protéger l’Ukraine . Il parait clair dans ce cas comme Thucydide nous l’a appris : le droit sans la force est faible.
Une telle situation fragilise l’institution et met à mal le Droit International qui ne peut plus être considéré comme contraignant dans ce cas car il ne parvient pas à contenir certaines dérives ultras étatiques . De plus, Il existe pleins d’autres exemples par rapport à cette situation comme l’invasion américaine de l’Iraq non fondée ,condamnée par la communauté internationale sans qu’aucune sanction a été prise à l’encontre de l’administration Bush.
Conclusion
Le Droit international fait objets de beaucoup de critique de la part des acteurs et observateurs internationaux pour des manquements observés au niveau international.
Cependant rien de telle situation ne peut suffire pour qualifier le droit international comme un droit soumis aux caprices des États et n’ayant aucun caractère contraignant. Contrairement au droit interne qui repose son efficacité sur une autorité publique éventuellement coercitive garantie par un système judiciaire qui en assure le respect, le droit international est censé régir les relations entre États souverains et tout le reste en découle même y compris celles de ses règles qui concernent les individus(21).
Subissant les pressions des rapports internationaux ,il évolue à chaque époque pour essayer de contenir la guerre et éviter à l’humanité de connaitre des situations pouvant mettre en péril la paix et la sécurité internationales.
Comme tout système juridique ,il a ses faiblesses et fait face aux pressions politiques qui essaient de contenir l’ordre instauré mais parvient malgré tout à faire respecter des règles de droit international et assurer la stabilité internationale pendant plus d’un demi siècle après la seconde guerre mondiale .
Toutefois ,il est regrettable de constater que le droit international existe plus pour les petits États que pour les grandes puissances . Les dérives des grandes puissances n’ont été sanctionnées tant disque la moindre erreur de la part des petits États est punie avec la dernière rigueur au niveau des instituions internationales. Même en matière de justice pénale internationale ,nous pouvons constater que la CPI ne traite qu’en majeure partie des dossiers de dirigeants africains alors que d’autres dirigeants occidentaux ayant commis des crimes n’ont jamais été jugés.
Référence
Chatre de l’ONU de 1945
Résolution 660 du Conseil de sécurité du 2 aout 1990
Résolution 661 du 6 aout 1990 du conseil de sécurité
Statut de Rome de 1998
Diez Velazco, las Organizaciones ,Ed decimocuarta, Espana ,1994
Catherine Denis la résolution 678 (1990) peut-elle légitimer les actions armées menées contre l’iraq postérieurement à l’adoption de la résolution 687 (1991) ? , revue belge de droit international 1998/2 — éditions bruylant, bruxelles
Petiteville Franck ,les organisations Internationales ,la découverte ,2021
Jean Bodin, les six livres de la République, Paris, Fayard (ED), 1986
Serge Sur ,A quoi sert le Droit International, le Droit International au cœur des Relations Internationales, Questions Internationales No49, Mai-juin 2011
Mathias L. DEVERT
Politologue , spécialiste des Relations Internationales
mathiasdevert@gmail.com