Résumé exécutif du rapport d’enquête conduite par l’ULCC sur le contrat conclu entre l’État haïtien et la firme chinoise «China National Automation Control System Corp (CACS) »
Jeudi 5 août 2021 ((rezonodwes.com))– Le 10 août 2015, l’État haïtien a signé un contrat avec l’entreprise chinoise « China Automation Control System Corp (CACS)» pour la réalisation du projet clé en main « Expansion et réhabilitation de l’aéroport international Toussaint Louverture ».
Le ministre des Travaux Publics, Transports et Communications (MTPTC), M. Jacques ROUSSEAU et le directeur général de l’Autorité Aéroportuaire Nationale (AAN), M. Irving MÉHU ont paraphé ledit contrat pour le compte de l’État. Le coût total du projet était de deux cent quatre-vingt-neuf millions trois cent cinquante mille dollars américains (USD 289,350,000.00).
Il était convenu que l’État verse directement 15% de ce montant à la firme chinoise à titre d’avance de démarrage des travaux et les 85 % seraient payés à la signature d’un contrat de financement avec la Banque chinoise ICBC (Industrial and Commercial Bank of China). Du choix de la compagnie chinoise jusqu’au décaissement de l’avance de démarrage, des actes de corruption et de violation de la loi, préjudiciables au Trésor Public et aux intérêts financiers de l’État, ont été commis. Le choix de l’entreprise chinoise résulte d’un processus illégal et fortement politisé.
En effet, les dispositions de la loi du 10 juin 2009 fixant les règles générales relatives aux marchés publics et aux conventions de concession d’ouvrage de service public et celles de l’arrêté du 25 mai 2012 fixant les seuils de passation des marchés publics et les seuils d’intervention de la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) ont été totalement ignorées ; de même que l’avis de la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP).
Les différentes étapes prévues pour la passation du marché n’ont pas été suivies, le marché n’a été soumis à la CNMP qu’après sa signature, les documents constitutifs du marché ne sont pas ceux officiellement prévus et utilisés par la procédure nationale.
En violant la règlementation sur les marchés publics, lesquelles violations ont favorisé la firme chinoise « China Automation Control System Corp (CACS)», Irving MEHU et Jacques ROUSSEAU ont commis les infractions d’abus de fonction et de passation illégale de marchés publics respectivement réprimées par les articles 5.5 et 5.12 de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption.
Marie Carmelle JEAN-MARIE, ancienne ministre de l’Économie et des Finances, a joué un rôle central dans le dossier, ceci, depuis sa genèse jusqu’au décaissement de l’avance de démarrage en passant par la signature du contrat entre l’État haïtien et la firme chinoise. En tant qu’agent public « bénévole », sur la base de l’article 4 de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption, travaillant pour le compte du MTPTC, elle avait, paradoxalement, des intérêts privés et personnels dans ce projet.
La correspondance du 21 avril 2016 portant l’entête de l’entreprise « Jean Marie et Co, MCJM Représentation et Conseil » adressée au directeur général de l’AAN, M. Eucher Luc JOSEPH pour annoncer la visite en Haïti d’une délégation chinoise de haut niveau confirme les liens étroits et privilégiés entretenus par Marie Carmelle JEAN-MARIE avec les responsables de l’entreprise « China Automation Control System Corp (CACS) ».
Du haut de son statut d’ancienne ministre de l’Économie et des Finances, elle a rencontré trois chefs d’État, des ministres, des directeurs généraux, des banquiers pour faire avancer le projet. Elle avait donc tous les atouts pour faire aboutir le projet et permettre à l’entreprise chinoise de gagner le marché. En jouant sur les deux terrains, celui de l’État haïtien et celui des chinois, elle a commis un acte de prise illégale d’intérêts puni par l’article 5.13 de la loi du 12 mars 2014.
Feu Yves Romain BASTIEN, ancien ministre de l’Économie et des Finances du Gouvernement de transition 2016-2017, a autorisé le décaissement de l’avance de démarrage d’un montant de quarante-deux millions cinq cent trente-quatre mille quatre cent cinquante dollars (USD 42,534,450.00) au profit de la firme chinoise en mai 2016. Il a endetté l’État en contractant auprès de la BNC un prêt de vingt-trois millions de dollars américains (USD 23, 000,000.00) pour finaliser la transaction.
L’empressement et la précipitation du ministre BASTIEN à décaisser les fonds en faveur de l’entreprise ont retenu l’attention de l’ULCC. Le ministre n’a pas tenu compte des autres conditions d’entrée en vigueur du contrat qui étaient loin d’être remplies. Il a aussi ignoré dans un premier temps les mises en garde des principaux partenaires financiers d’Haïti sur les conséquences financières d’un tel projet pour le pays avant de prendre en compte ces mêmes considérations pour argumenter sa décision ultérieure de surseoir sur le projet. Bien avant donc d’autoriser le décaissement, Yves Romain BASTIEN était pleinement conscient de l’incertitude qui planait sur la poursuite du projet.
De par sa négligence et son incohérence, il a commis une faute de gestion préjudiciable au Trésor public et aux intérêts financiers de l’État dans le cadre dudit projet. Sa totale responsabilité financière doit être engagée en vue de couvrir les pertes enregistrées par l’État conformément aux dispositions de l’article 9 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’Élaboration et d’Exécution des lois de finances.
En janvier 2018, sous la Présidence de M. Jovenel MOÏSE, l’État a entamé un processus visant à rapatrier l’avance de démarrage après l’annulation du projet. Le Gouvernement a opté pour des négociations directes avec la firme. Ces négociations entre l’État et la firme ont duré environ deux ans. Et au final, l’État n’a pu récupérer que trente millions quatre cent quatre-vingt-quinze mille dollars américains (30, 495,000.00) sur les quarante-deux millions cinq cent trente-quatre mille quatre cent cinquante dollars (USD 42,534,450.00) versés à la firme.
À ce niveau, les pertes sont donc de l’ordre de douze millions trente-neuf mille quatre cent cinquante dollars américains (USD 12, 039,450.00). À ce montant, il faudra ajouter les intérêts payés par l’État pendant des années sur le prêt de vingt-trois millions de dollars américains consenti auprès de la BNC pour compléter initialement le montant de l’avance de démarrage.
L’ancien ministre de l’Économie et des Finances, feu Yves Romain BASTIEN est donc responsable de ce fiasco financier. L’État a signé un contrat qui n’est jamais entré en vigueur. Il a versé une importante avance de démarrage sur des travaux qui n’ont jamais démarré. Et au lieu d’avoir un aéroport international Toussaint Louverture réhabilité et agrandi, il a, au contraire, enregistré plus de douze millions de dollars américains de pertes.
Enfin, l’ULCC recommande la mise en mouvement de l’action publique contre les personnalités suivantes : Irving MÉHU, Jacques ROUSSEAU et Marie-Carmelle JEAN- MARIE. Par ailleurs, il y a lieu de saisir la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) et le Parlement en vue d’engager la responsabilité financière de l’ancien ministre de l’Économie et des Finances, feu Yves Romain BASTIE, pour faute de gestion.
ULCC