Haïti : Quand la compétence ne suffit plus à gouverner
par Josten Louinon
Il faut, une fois encore, reconnaître la justesse de la pensée du professeur Leslie François St-Roc Manigat. Ce dernier affirmait que, si l’ignorance constitue un obstacle à la gestion des affaires publiques, la compétence, lorsqu’elle s’allie à l’absence d’honnêteté et de sens moral, peut se révéler tout aussi néfaste. Dans un pays miné par la crise institutionnelle, la corruption et la dépendance externe, cette observation prend aujourd’hui une résonance particulière.
Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), composé de neuf universitaires et technocrates, en offre un exemple saisissant. En théorie, leur formation académique et leur expérience devraient constituer un socle solide pour relancer la gouvernance publique. En pratique, cependant, cette compétence n’a pas produit les effets escomptés. L’administration demeure paralysée, les institutions s’affaiblissent, et la population, toujours plus désabusée, observe l’échec d’une élite qui peine à transformer le savoir en action.
Ce paradoxe illustre une réalité structurelle : en Haïti, le déficit de leadership moral prévaut sur le déficit de compétences. Les élites intellectuelles, souvent formées à l’étranger, reproduisent les schémas de dépendance et de soumission qu’elles prétendaient combattre. Comme le soulignait Manigat, nombre de dirigeants « ont la volonté d’être esclaves », préférant se conformer aux injonctions extérieures plutôt que d’assumer une souveraineté exigeante et responsable.
Ainsi, la question n’est plus tant celle de l’intelligence ou du diplôme, mais celle du rapport à l’éthique, au bien commun et à la nation. Gouverner ne consiste pas seulement à administrer, mais à incarner un projet collectif. Sans une refondation de la culture politique (fondée sur la probité, la responsabilité et la loyauté envers l’intérêt général), aucune somme de connaissances ne suffira à sortir Haïti de sa dérive chronique.
Le savoir, en l’absence de vertu, n’est qu’un instrument de reproduction du désordre. Le véritable défi du pays n’est donc pas d’avoir des dirigeants instruits, mais d’avoir des dirigeants justes.
Josten Louinon

