25 octobre 2025
Etzer Émile, nos héros et nous : entre mémoire et sursaut national
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Etzer Émile, nos héros et nous : entre mémoire et sursaut national

Par Ralf Dieudonné JN MARY 

Je me souviens d’un jour où, en observant la jeunesse de mon pays, j’ai senti à la fois la fierté et la fatigue de nos ancêtres peser sur mes épaules. Dans mes pensées défilaient les visages de Jean-Jacques Dessalines, le Père de la Nation, d’Henri Christophe et de Toussaint Louverture. Ces noms, gravés au fer rouge dans notre Histoire, rappellent la force d’un peuple qui osa l’impossible. Mais dans le silence d’aujourd’hui, une question m’a traversé l’esprit : et maintenant, que faisons-nous de cet héritage ?

C’est dans ce contexte que l’économiste Etzer Émile a prononcé des mots qui ont secoué le pays. Il a déclaré : « Arrêtez de prendre Dessalines, Christophe, Toussaint comme référence quand vous parlez… » Et il a ajouté : « Que faisons-nous aujourd’hui de plus grand ? » Cette phrase, simple en apparence, a allumé un feu dans la conscience nationale. Certains l’ont applaudi, d’autres l’ont condamné. Mais au fond, elle a réveillé quelque chose d’essentiel : notre rapport à la mémoire et à l’action.

Etzer Émile a eu raison de poser la question. Oui, nous passons trop de temps à nous réfugier dans la gloire du passé. Oui, nous invoquons nos héros comme des talismans, tout en laissant notre présent dépérir. Un peuple ne peut pas avancer en ne parlant que d’hier. Mais dans le même souffle, il est juste de dire qu’on ne peut pas non plus parler d’avenir en manquant de respect au passé. C’est là que le débat devient nécessaire, et même salutaire.

Écouter la jeunesse, comprendre sa ferveur

D’abord, parlons de notre jeunesse. Un pays qui méprise ses jeunes s’effondre. Les jeunes qui ont défendu Etzer Émile ne l’ont pas fait par naïveté, mais parce qu’ils voient en lui une figure de courage et d’audace. Ils reconnaissent en lui une voix qui ose dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Il faut les écouter avant de les juger.

Leur réaction, parfois impulsive, traduit une soif de reconnaissance, un besoin d’exister dans le débat national. Quand un jeune entend « Le passé ne suffit plus », il ne se détourne pas de l’Histoire : il réclame qu’on lui confie le flambeau. Et si nous ne le faisons pas, il finira par le chercher ailleurs. Voilà pourquoi il faut accueillir leurs voix avec bienveillance, les aider à penser, à comprendre, à construire.

Honorer nos anciens, mais oser les interroger

De l’autre côté, un pays qui adore ses vieux sans les juger s’effondre aussi. Trop souvent, nous transformons nos héros en statues intouchables, alors que leur véritable force résidait dans leur audace et leur lucidité. Honorer Dessalines, le Père de la Nation, Christophe et Toussaint ne signifie pas les sanctifier au point de ne plus rien apprendre d’eux. Cela signifie prolonger leur esprit, leur courage, leur vision.

C’est ici que le propos d’Etzer Émile, bien qu’utile, aurait gagné en nuance. Oui, il a raison de rappeler que le passé ne suffit plus. Oui, il a raison de vouloir éveiller les consciences. Mais la manière dont il a cité nos héros a blessé, non par son idée, mais par sa forme. Il a parlé d’eux comme s’ils étaient des camarades d’école, alors qu’ils sont les fondateurs de notre dignité. Il aurait pu, avant toute chose, saluer leur mémoire, reconnaître leur combat, puis poser sa question : « Que faisons-nous de plus grand aujourd’hui ? »

Cette simple inversion aurait suffi à préserver la symbolique, à unir au lieu de diviser. Car nos ancêtres ont mené leurs batailles avec moins de moyens que nous n’en avons aujourd’hui. Ils ont bâti une liberté sans universités, sans technologie, sans ressources. À nous de bâtir la prospérité avec tout ce que nous possédons.

La mémoire, la jeunesse et la construction : trois piliers d’une même nation

Notre défi collectif se résume à cela : comment concilier la mémoire et le mouvement ? Il faut garder vivante la mémoire, non pour la répéter, mais pour la revisiter. Que signifiait la liberté pour Dessalines, le Père de la Nation ? Quelle vision de l’avenir avait Christophe ? Qu’espérait vraiment Toussaint ? Ce questionnement n’enlève rien à leur grandeur, il la rend plus vivante encore.

En même temps, il faut placer la jeunesse au centre. Non pas comme une génération spectatrice, mais comme une génération actrice. Écoutons-la, formons-la, responsabilisons-la. Un peuple qui confie à ses jeunes le soin de penser et de créer se construit un avenir durable.

Et enfin, il faut construire, maintenant. Pas demain, pas plus tard. L’heure n’est plus aux commémorations vides, mais aux projets concrets. La liberté ne se préserve pas par la mémoire seule, mais par l’effort quotidien de ceux qui la prolongent. Nous avons l’intelligence, la créativité et le nombre. Il nous manque seulement la foi dans notre propre capacité à recommencer.

Pour écrire la prochaine page

Alors, chers lecteurs, ne laissons pas cette polémique mourir sur les réseaux sociaux. Transformons-la en débat national. Que chacun, jeune ou moins jeune, y voie une occasion de réfléchir. Ce texte n’est pas un reproche, ni une défense. C’est une invitation.

Oui, Etzer Émile a eu raison de secouer la mémoire. Mais il aurait dû la saluer avant de la secouer. C’est tout le sens du respect, et c’est ainsi qu’un message fort devient un message juste.

La route qui nous attend est longue et exigeante. Elle demande de la lucidité, du courage, de la patience. Mais tout grand réveil commence par un murmure, par une parole qui dérange, par une main tendue entre deux générations.

Deux minutes suffisent pour réveiller une nation. Non pas en criant plus fort, mais en parlant avec le cœur. Aujourd’hui encore, cette phrase résonne. Elle nous rappelle que l’avenir n’attend pas, qu’il se construit ici, maintenant, avec ceux qui osent penser et aimer Haïti autrement.

Aimons notre passé, mais ne nous y emprisonnons pas. Écoutons nos jeunes, mais ne les laissons pas seuls. Et ensemble, faisons de la liberté conquise une liberté vécue.

Ralf Dieudonné JN Mary

Pour Haïti, pour nos jeunes et pour nos anciens.

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