Rezo Nòdwès publie aujourd’hui la reproduction intégrale des quatre pages du journal Gazette politique et commerciale d’Haïti, numéro 34, daté du 1ᵉʳ août 1805. Ce document exceptionnel, imprimé au Cap-Haïtien par P. Roux, Imprimeur de l’Empereur, rapporte en détail la fastueuse célébration du 25 juillet 1805, journée consacrée à l’anniversaire de naissance de Sa Majesté Jacques Iᵉʳ, Jean-Jacques Dessalines, premier Empereur d’Haïti et fondateur de l’État indépendant. À travers les discours du général Christophe, les chants composés par le secrétaire général Chanlatte, et les descriptions des fêtes, bals et illuminations du palais impérial, ce numéro de la Gazette constitue l’un des témoignages imprimés les plus précieux de la première fête nationale de l’Empire d’Haïti, deux ans à peine après l’Acte d’indépendance.
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« Les États-Unis ont eu leur Washington, la Suisse son Guillaume Tell, et nous aussi nous avons notre Dessalines « !
GAZETTE POLITIQUE ET COMMERCIALE D’HAÏTI
Du jeudi 1ᵉʳ août 1805 – An II de l’indépendance
Du Cap, le 31 juillet
C’est un usage admis chez tous les peuples de la terre de célébrer les époques mémorables où ils ont chassé leurs tyrans, se sont affranchis du joug de quelques peuples barbares, ou rappellent la mémoire des hommes fameux qui ont illustré leur siècle par des actions extraordinaires et des bienfaits envers leurs semblables. À ces époques, l’admiration et la reconnaissance enflamment tour à tour l’esprit du peuple d’un heureux enthousiasme ; et, dans l’ivresse de sa joie, il bénit le libérateur dont le courage héroïque l’a rendu à la liberté. Chaque contrée, chaque peuple a eu ses tyrans ; chaque peuple aussi a eu son libérateur. Les États-Unis ont eu leur Washington, la Suisse son Guillaume Tell, et nous aussi nous avons notre Dessalines !
Ce n’est pas parce qu’il est revêtu de la pourpre des rois, qui n’ajoute rien à sa gloire, que nous célébrons aujourd’hui ses vertus ; mais nous voulons le considérer lorsque, n’étant que simple général, il ralliait les soldats dispersés et découragés de l’armée du général Toussaint, qu’il fit sortir, comme de dessous terre, une armée qu’il rendit invincible et qu’il conduisit de victoire en victoire, jusqu’à ce que ses grandes conceptions fussent amenées à leur fin et qu’il eût vu sa patrie libre et indépendante.
Il est quelquefois permis, au sein de la prospérité, d’enfler son courage et d’étendre son ambition ; mais celui-là qui, livré à lui-même et abandonné dans une situation désespérante, trouve en soi assez de ressources pour entreprendre et faire réussir un projet qui aurait paru téméraire aux yeux d’âmes moins fortes que la sienne, sans autres moyens que son courage et l’étendue de son génie, voilà l’homme vraiment grand et le héros qui mérite l’admiration de ses contemporains et celle de la postérité.
L’histoire de notre asservissement est malheureusement trop connue ; l’on sait que des hommes venus de l’autre hémisphère, attirés vers nos plages par la soif de l’or ou de la gloire, portèrent dans notre île la destruction, le pillage et tous les fléaux que la cupidité entraîne ordinairement sur ses pas. Les moyens employés pour assouvir leur avidité attirèrent souvent sur leurs têtes les effets de la vengeance d’un peuple faible et bon, que le désespoir, plutôt que le courage, armait contre ses oppresseurs et dont on étouffait les révoltes à mesure qu’elles éclataient. Ces luttes inégales et souvent renouvelées amenèrent la destruction entière des malheureux insulaires qui habitaient jadis le sol sur lequel nous vivons, et leur facile conquête laissa dans l’esprit de leurs vainqueurs l’idée de renouveler, avec autant de facilité, ces tragédies atroces chaque fois que leur politique les y porterait.
La vengeance des Européens fut assouvie, mais leur avarice ne trouva pas son compte dans l’extermination des bras qui faisaient leur richesse ; il fallut remplacer ces hommes dont on ne mesura la destruction qu’en la voyant priver leur métropole du produit de leur travail. Ainsi l’injustice, la violation du droit des gens et l’insatiable amour des richesses concoururent à établir la traite d’Afrique, et les infortunés Africains furent arrachés de leur patrie pour venir terminer dans les tortures d’un esclavage cruel la plus périlleuse des existences.
Au sein de ce système colonial naquit Dessalines, à qui était réservée la gloire de briser nos fers appesantis par la main du temps, d’affranchir ses compatriotes et de conquérir, à la pointe de l’épée, l’indépendance de son pays. Ses victoires, ainsi que ses travaux, sont connus de l’univers entier. Pour récompense de ses bienfaits signalés, le peuple d’Haïti, dont il fut le libérateur, le plaça à la tête de son gouvernement pour être son chef et son législateur. Jamais choix ne justifia mieux la confiance d’un peuple reconnaissant.
Ce ne fut pas assez pour cet homme extraordinaire d’avoir montré pendant la guerre toute l’habileté d’un grand général ; il a voulu consacrer les loisirs de la paix à déployer, pour le bonheur de son peuple, la sagesse du législateur. Il est juste que tout ce qui touche à cet homme intéresse le peuple qu’il a rendu libre et heureux, et qu’on lui donne tous les témoignages que le respect et la reconnaissance peuvent suggérer.
C’est dans cet esprit que l’anniversaire du jour de sa fête a été célébré le 25 juillet.
En rendant compte des cérémonies qui ont eu lieu à cette occasion, nous remplissons un devoir bien cher en contribuant à faire connaître jusqu’à quel point l’amour et la fidélité du peuple d’Haïti se sont manifestés envers son souverain
Le jour de la cérémonie fut annoncé par des salves d’artillerie de tous les forts, spontanément reprises par les bâtiments neutres ancrés dans la rade. L’état-major de Sa Majesté, les généraux présents, ainsi que toutes les autorités administratives et judiciaires, se rendirent à l’hôtel de Son Excellence le général Christophe, d’où ils l’accompagnèrent à l’église pour assister à l’office divin.
On y avait préparé, pour l’Empereur, un trône magnifiquement décoré ; une indisposition survenue à Sa Majesté nous priva de sa présence.
Après la célébration de la messe, Son Excellence et son cortège se rendirent au palais impérial, où il adressa à Sa Majesté le discours suivant :
« Sire,
La fête de Votre Majesté revient sous les plus heureux auspices. Ce jour, si cher, voit dans toute l’étendue de votre Empire tous les cœurs haïtiens portés vers leur vengeur et leur libérateur ; ils lui paient ce tribut d’éloges, de respect, d’amour et de reconnaissance qui est dû à la véritable vertu, au cœur paternel de Votre Majesté, qui, chaque jour, donne à son peuple des marques de sa sollicitude et consacre, pour son bonheur, ses travaux, ses veilles et les devoirs immenses qu’entraîne l’art de gouverner.
Aussi, au-dedans de vos États, les fruits de la plus touchante concorde, de l’aimable fraternité et de la douce égalité forment le gage précieux de la prospérité et de la durée de votre Empire.
Grâce immortelle vous soit rendue, Jacques, le bien-aimé, père du peuple ! La postérité confirmera ces titres chers et sacrés que vos contemporains se plaisent à vous donner. Que le Dieu tout-puissant, protecteur de notre cause sacrée, répande sur vos jours ses bénédictions, ainsi que sur ceux de Sa Majesté l’Impératrice et de toute votre auguste famille ; qu’il vous conserve longtemps à la tendresse de votre armée et de votre peuple, votre seconde famille.
Je me félicite d’être, auprès de Votre Majesté, l’écho de la voix publique, et je profite de la solennité de ce jour pour renouveler à Votre Majesté impériale les assurances du plus profond respect, du plus sincère attachement et de la parfaite soumission dont je suis pénétré. »
Sa Majesté répondit que le vœu de son cœur avait toujours été la prospérité de son peuple et que son bonheur serait la plus douce récompense de ses veilles ; ajoutant qu’il n’y avait que le mérite et les services rendus à la cause publique par Son Excellence le général Christophe qui pussent égaler l’amitié et la confiance entière qu’elle plaçait en lui.
Après cette réponse, M. Roumage jeune, administrateur principal de la division du Nord, prit la parole au nom du Corps de l’Administration :
« Sire,
Nos cœurs éprouvent une bien douce satisfaction en ce jour, anniversaire de votre auguste fête, en vous témoignant le bonheur que nous sentons de vous posséder au milieu de nous. Grâces soient rendues à la Divinité de nous avoir conservé un héros dont les jours nous sont si précieux ! Vous êtes le véritable fondateur et le sauveur de notre liberté et de notre immortelle indépendance ; vous, qui avez tout sacrifié pour soustraire notre patrie à la tyrannie sous laquelle on voulait la replonger.
Après nous avoir donné l’indépendance, vous ne cessez de travailler à la défense de notre liberté, consacrant entièrement votre temps à la prospérité et à la gloire de votre Empire.
Déjà nous voyons luire pour chacun de nous l’aurore du bonheur ; permettez-nous donc, en reconnaissance des bienfaits dont vous nous avez comblés et des services que vous avez rendus à notre chère patrie, de vous présenter nos hommages respectueux.
Permettez-nous de vous prier d’agréer, en ce jour mémorable, l’assurance sincère de notre gratitude et des sentiments d’attachement, de fidélité et de dévouement que nos cœurs renferment pour vous.
Puisse le Ciel couronner d’un succès complet toutes vos entreprises, protéger votre personne sacrée ainsi que celle de notre digne Impératrice, notre idole, et assurer la prospérité de votre auguste famille ; qu’il conduise à leur terme les travaux que vous entreprenez sans cesse pour la félicité publique. Tels sont les vœux que nous adressons pour votre gloire, dont l’accomplissement seul peut assurer notre bonheur. »
L’Empereur accueillit avec bonté le discours de M. l’Administrateur et assura à tous les officiers de son corps sa bienveillance.
Sa Majesté se retira un instant, pour reparaître ensuite à un festin splendide préparé dans une des salles du palais impérial, en compagnie de leurs Excellences le général Christophe, le général Bazelais, chef d’état-major, les généraux Romain, Martial Besse, Capoix, Yayou, et tous les officiers de la cour, de l’état-major et des corps administratifs.
Les négociants du commerce étranger furent invités et se firent un devoir d’y assister.
À la fin du repas, divers toasts furent portés :
- Par l’Empereur : à la liberté et à l’indépendance d’Haïti.
- Par le général Christophe : à l’Empereur et à notre auguste Impératrice.
- Par le général Bazelais : au général Christophe et à tous les généraux de l’armée.
- Par l’adjudant-général Montor : aux États-Unis et aux négociants américains, amis de notre indépendance.
- Par une députation spéciale des négociants américains : aux peuples libres de l’univers et à la conservation du gouvernement et de l’indépendance d’Haïti.
Couplets chantés par M. Chanlatte, secrétaire général
(Air : « Quels apprêts ? Quels transports ? »)
Quels apprêts ? Quels moments ? Ô jour plein d’allégresse !
Tout un peuple enivré près du trône s’empresse ;
Où se forgeaient ses fers, il marche avec fierté,
Dans sa force et sa liberté ! (bis)Il bénit le héros de son indépendance ;
Il chante, transporté d’une mâle assurance :
Qui de Jacques Premier a reconnu la loi,
Célèbre aussi sa fête en celle de son roi.Que pourrait la fureur des tyrans despotiques
Contre les fiers enfants de ce brûlant tropique ?
C’est le flot qui s’irrite et qui court se briser
Contre l’immobile rocher ! (bis)Sous l’abri protecteur d’un invincible égide,
Nous chantons en dépit d’une race perfide ;
Vous qu’il vient d’affranchir de l’antique esclavage,
Pour prix de ses travaux offrez-lui votre hommage.Qu’un serment solennel soit par vous répété,
De respect et fidélité ! (bis)
Autour de ses drapeaux, même sort nous rassemble ;
Nous vivrons à ses pieds ou nous mourrons ensemble ;
Car de Jacques Premier, qui reconnaît la loi,
N’a qu’un esprit, qu’un cœur, pour l’élire en son roi.
Après le repas, il y eut bal ; puis, à la suite du bal, un souper.
La façade du palais impérial était illuminée de feux multicolores et offrait l’aspect le plus pittoresque.
Le bal fut ravissant : les grâces des jeunes Haïtiennes, leur souplesse voluptueuse, la richesse et l’élégance de leurs costumes concoururent à le rendre éclatant.
Vers adressés à Sa Majesté
C’est toi, grand Empereur, qui, maîtrisant la France,
Ramènes dans nos champs la paix et l’abondance ;
Qui sus par ta valeur, ta douceur, ta bonté,
Prendre un si noble essor vers l’immortalité.En mes faibles écrits je célèbre ta gloire ;
Mais tu t’élèves seul au temple de mémoire.
Les vils Français en vain te choisissaient des fers ;
Favori du dieu Mars, au milieu des alarmes,
Tu triomphes de tout par la force des armes.Tel on voit un rocher battu par la tempête,
Méprisant tous les coups qui fondent sur sa tête,
Braver leurs efforts en insultant les cieux
Et repousser au loin les flots audacieux ;
Tel on vit ta valeur, constante et généreuse,
Du milieu des combats sortir victorieuse.Ton intrépide cœur garda sa pureté ;
Partout tu conservas ta noble fermeté ;
Et le sort, qui toujours règle nos destinées,
S’il eût prolongé le fil de tes années,
Rome, pour couronner tes bienfaits immortels,
Comme à ses demi-dieux, t’eût dressé des autels.
(Par M. Gautarel, grenadier.)
Suite : relations commerciales et toasts américains
Parmi les hommes que les précieuses denrées de notre territoire attirent sur nos rivages, il en est que l’intérêt seul ne gouverne pas ; ils ne sont pas étrangers au cri de la nature ni à celui du droit des gens.
Messieurs Jacob Lewis, Samuel G. Ogden et Washington Morton, armateurs américains du convoi parti du Port-au-Prince et arrivé à New York le 18 mai dernier, donnèrent à bord du navire l’Indostan un dîner de plus de cent personnes.
S’y trouvaient notamment l’honorable Rufus King, le juge Livingston, le général Stevens, le général Morton, M. Woodworth (procureur général de l’État), M. Riker (procureur du district) et plusieurs magistrats de la ville.
Plusieurs toasts portés pendant le repas, au bruit du canon, montrent que la cause de la liberté et l’indépendance de notre pays trouvent encore des partisans éclairés.
À la Liberté, le plus beau présent du Ciel aux hommes !
Au gouvernement d’Haïti, fondé sur le choix du peuple !
Puisse-t-il être aussi durable que ses intentions sont pures !
Prix des denrées au Cap-Haïtien
| Produit | Prix |
|---|---|
| Café | 28 à 30 sous la livre |
| Sucre terré | 18 gourdes le cent |
| Sucre brut | 6 à 6 ½ gourdes le cent |
| Coton | 14 gourdes le cent |
| Indigo | 1 gourde la livre (rare) |
| Cacao | 15 à 16 sous la livre |
| Sirop / mélasse | 5 gourdins la velte |
| Tafia (rhum) | 50 à 55 gourdes la barrique |
| Cuirs de bœuf en poils | 1 gourde ¼ le pièce |
| Cuirs de moutons ou de chèvres | 3 gourdins le pièce |
| Cuirs tannés | 2 gourdes le côté |
| Bois d’acajou (4 pouces) | 1 gourde le pied courant |
| Bois d’acajou en plaine (1 pouce) | 3 gourdins le pied carré |
| Gomme de gattac | 3 gourdins la livre |
| Écailles | 4 gourdes la livre (rare) |
| Huile de Palma Christi | 1 ½ gourde le gallon |
| Casse médicinale | 10 sous la livre |
| Confitures sèches ou liquides | 3 gourdins la livre |
Avis divers
1. Le public est prévenu de ne pas faire crédit à l’équipage du brig Géorgie d’Alexandrie, capitaine Joseph T. Lamphen, qui ne payera aucune dette qu’ils pourraient contracter.
2. M. Henri Didier Jr., négociant américain, étant obligé de partir par la première occasion pour le continent, à la suite du décès de son associé M. Samuel R. Rogers, invite ceux qui doivent à la maison Rogers et Didier à solder leurs comptes sous le plus bref délai, afin de lui éviter le désagrément d’employer des voies de rigueur que son départ précipité le contraindrait à mettre en usage.
Mention d’imprimeur
Au Cap, chez P. Roux, Imprimeur de l’Empereur, rue d’Anjou et place d’Armes.



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