25 octobre 2025
La transition haïtienne arrive à échéance. Et après ?
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La transition haïtienne arrive à échéance. Et après ?

Par Patrick Prézeau Stephenson*

La transition d’Haïti vit à crédit. À un peu plus de trois mois de l’expiration du mandat du Conseil présidentiel de transition (CPT) — attendu début février — la question qui hante le processus depuis le départ revient au premier plan : qui gouvernera après le 7 février, et au nom de quelle autorité ?

Le Groupe des Éminentes Personnalités de la Caricom, qui a contribué à mettre au monde l’arrangement actuel, a écrit aux signataires de l’Accord du 3 avril 2024 pour leur demander d’indiquer, par écrit, comment ils envisagent la fin de la transition et ce qui doit suivre. La note, transmise cette semaine par l’ambassadeur Colin Granderson et consultée par la presse haïtienne, intervient après des mois d’incitations discrètes. Nombre de signataires, qui ne se sont pas réunis collectivement depuis 2024 pour évaluer l’action du CPT, sont désormais invités à prendre position publiquement.

Au sein du CPT, des consultations sont également en cours. Des membres du Conseil ont ouvert des échanges avec des partis politiques — EDE, INITE, la coalition « 21 Décembre », INFÒS et le SDP — ainsi qu’avec des instances religieuses influentes, de la Fédération protestante à la Konvansyon Nasyonal Vodouyizan Ayisyen (KNVA). L’objectif affiché: dégager suffisamment de consensus pour éviter une crise de légitimité au lendemain du 7 février 2026.

Qui a signé — et qui ne l’a pas fait

L’Accord du 3 avril a réuni un large éventail d’acteurs :

·  Partis et figures politiques : Force Louverturienne Réformiste, Parti ENA, Mouvement National pour la Transparence, Fusion des Sociaux‑Démocrates Haïtiens, OPL, KID, Parti Dessalinien, RDNP ; ainsi que des personnalités comme Antoine Rodon Bien‑Aimé, Edgard Leblanc Fils et Jean Charles Moïse.

·  Société civile et secteur religieux : Collectif Défenseurs Plus, Fondation Je Klere, CARDH, OCID ; représentants de la Conférence des évêques catholiques, de fédérations protestantes et leaders vodou reconnus.

·  Secteur économique : ADIH, CCIH et Forum Économique du Secteur Privé.

Fait notable, le groupe Montana — pourtant architecte de propositions de transition antérieures — n’apparaît pas parmi les groupes consultés formellement. Il avait proposé l’économiste Fritz Jean pour siéger au CPT, avant de rompre avec l’instance — rappel de la fragilité de la discipline de coalition depuis l’origine. Les scandales ayant éclaboussé trois conseillers ont profondément fragilisé cette instance et entamé sa crédibilité, au regard des piètres résultats enregistrés en matière de sécurité, de réforme constitutionnelle et d’organisation d’élections crédibles.

Ce qui a fonctionné — et ce qui n’a pas pris

La conception inclusive a donné au Conseil de l’ampleur, mais pas toujours de la cohérence. Les atouts sont évidents : une représentation plurielle des partis, des organisations de défense des droits humains crédibles dans des rôles de vigie, des institutions religieuses capables de légitimer des compromis, et des acteurs privés susceptibles de mobiliser des ressources quand la sécurité se stabilise.

Les faiblesses le sont tout autant : fragmentation chronique des partis, discipline collective vacillante chez les signataires, coordination opérationnelle limitée entre acteurs civils et religieux, et scepticisme public à l’égard des élites économiques. Surtout, le CPT a peiné à transformer l’inclusion politique en stratégie partagée avec jalons mesurables — en matière de sécurité, d’élections et de services essentiels.

Un mandat qui s’épuise

À la fin octobre, la transition affronte quatre pressions imbriquées :

·  Le temps : le mandat du CPT s’achève début février. Aucun consensus n’existe sur une éventuelle prolongation ou une succession.

·  La légitimité : nombre de signataires d’origine réclament le départ du Conseil au 7 février, sans s’accorder sur un schéma post‑CPT.

·  La sécurité : la mission autorisée en 2023 et conduite par le Kenya a évolué vers une Force de répression des gangs plus musclée sous l’égide onusienne ; son efficacité — et son acceptation — dépendront d’un leadership haïtien visible et de garde‑fous pour les civils.

·  Les élections : le calendrier est davantage déclaratif qu’opérationnel. Un scrutin crédible suppose des minima de sécurité, de logistique et de confiance qui restent variables selon les territoires.

Trois voies plausibles

Sauf percée spectaculaire, la classe politique haïtienne choisira entre trois options imparfaites :

1.     Prolongation à durée limitée et sous conditions. Prolonger le CPT pour une courte période, strictement liée à des jalons explicites : corridors sécurisés et ouverts, administration électorale vérifiée et nommée, financements et logistique verrouillés, fenêtre électorale non négociable. Cela requiert un suivi indépendant et des conséquences en cas de dérapage.

2.     Équipe resserrée et élections par étapes. Remplacer ou réduire le Conseil, bâtir une équipe technocratique de transition concentrée sur la sécurité et la logistique électorale, et organiser des scrutins en deux ou trois vagues, en commençant là où la sécurité et l’administration le permettent. C’est troquer la vitesse contre la crédibilité, étape par étape.

3.     Refonte par un pacte élargi. Convoquer les signataires, les grands non‑signataires (dont le groupe Montana), les autorités religieuses et le secteur privé, pour ré‑charter la transition autour d’un nouveau pacte de gouvernance et d’un noyau exécutif plus réduit. C’est le plus légitime sur le papier, et le plus difficile à mettre en musique dans les délais.

Ce qu’il faudrait pour un atterrissage maîtrisé

Quel que soit le chemin, cinq gestes pratiques amélioreraient les chances :

·  Une décision publique sur le mandat d’ici mi‑novembre. Les signataires devraient répondre à la lettre de la Caricom avec une position unifiée sur une prolongation, une succession ou une refonte — incluant des noms pour un conseil électoral, une fenêtre de scrutin convenue et les règles du jeu pendant la campagne.

·  Des jalons qui comptent. Publier un tableau de bord mensuel : ouverture des grands corridors (et combien d’heures), tendances des enlèvements et de l’extorsion, unités policières contrôlées et déployées, réduction de la détention préventive, marchés publics rendus publics. La légitimité croît quand les citoyens peuvent vérifier les avancées.

·  Des garde‑fous pour la mission de sécurité. Primauté de la Police nationale d’Haïti ; unités vérifiées en première ligne ; protocoles de protection des civils et rapports d’incidents rendus publics ; pas de chaînes de commandement parallèles. La force peut dégager les rues ; seule la confiance les maintient ouvertes.

·  Une interface réelle avec la société. Conclure un pacte avec la société civile, les autorités religieuses et le secteur privé pour arbitrer les différends, protéger les réformateurs et lanceurs d’alerte, et prévenir les violences de saison électorale.

·  Financement et logistique sécurisés tôt. La logistique électorale, l’appui policier et la capacité judiciaire exigent des moyens — argent, carburant, entrepôts sécurisés, personnels formés — dès maintenant, pas six semaines avant le vote.

Le risque de l’errance

Le pire danger n’est pas la mauvaise décision, mais l’absence de décision : glisser en silence au‑delà de la fin du mandat, avec des prétentions concurrentes à l’autorité et une mission de sécurité sommée de gérer une ambiguïté politique qu’elle ne peut résoudre. Les Haïtiens ont déjà vu ce film : blocage au sommet, débrouille dans la rue, et un nouveau décrochage de la confiance publique.

L’intervention de la Caricom force le choix. Le Conseil peut consacrer ses dernières semaines à marchander du temps, ou à bâtir les preuves tangibles d’une passation crédible. Ce choix dira aux Haïtiens — et au reste du monde — quelque chose d’essentiel sur la direction de cette transition et sur la capacité de la politique du pays à livrer enfin davantage qu’une promesse.

*Patrick Prézeau Stephenson is a Haitian scientist, policy analyst, financial advisor and author specializing in Caribbean security and development.

Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com

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Kilès nouye :  Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti

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