Par Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Conseiller spécial au Conseil national d’administration
du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)
Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA)
Membre du Comité international de mise à jour du Dictionnaire des francophones
Montréal, le 23 octobre 2025
« L’éducation haïtienne connaît une crise chronique provenant fondamentalement de deux facteurs principaux : le problème de gouvernance politique et administrative et la faiblesse des politiques éducatives qui en résulte. Un autre facteur crisogène est le choix initial de fonder cette éducation sur une expérience d’acculturation où les apprenants ont toujours été contraints d’être scolarisés en français, une langue qu’ils ne connaissent pas, tandis que tous maîtrisent le créole. Cette acculturation vient notamment du fait que les premiers éducateurs et responsables d’écoles de l’État d’Haïti étaient des Français qui enseignaient en français dans la négation du créole et qui sont à l’origine de la créolophobie qui perdure aujourd’hui encore. Mais il est quand même dommage que la prise en main de l’école par les nationaux n’ait pas permis de régulariser la situation. Il se pose dès lors le problème de l’inculturation de l’école notamment sur le plan linguistique. » Renauld Govain : « De la crise de l’éducation à l’éducation à la crise en Haïti », revue Études caribéennes 56 / décembre 2023.
Dans le contexte des célébrations du Mois du créole qu’organise à Montréal, en octobre 2025, le Komite entènasyonal pou pwomosyon kreyòl ak alfabétisasyon (KEPKAA), le présent article consigne une synthèse actualisée de l’état des lieux de l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien. Cette synthèse actualisée prend en compte les données analytiques que nous avons exposées ces dernières années dans plusieurs articles consacrés au volet linguistique et didactique de la transmission des savoirs et des connaissances dans l’École haïtienne. Une telle synthèse est utile et nécessaire, elle donnera à voir que l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien a encore un long chemin à parcourir, il est toujours lourdement handicapé et déficient, sous-outillé et effectué en ordre dispersé. Il est mis en œuvre en dehors des principes de LA politique linguistique éducative nationale que l’État haïtien tarde encore à adopter et, sur le registre des qualifications professionnelles, il est porté par des enseignants qui n’ont toujours pas reçu une formation spécialisée en didactique du créole langue maternelle. L’aménagement du créole que nous promouvons –aux côtés du français et à parité statutaire constitutionnelle avec le français–, se situe à contre-courant des poncifs habituellement égrenés par les créolistes fondamentalistes, promoteurs d’un unilinguisme créole indocte, borgne et inconstitutionnel. En toute clarté, l’aménagement du créole que nous préconisons s’arrime au combat citoyen pour l’établissement de l’État de droit en Haïti : nous faisons le plaidoyer pour l’élaboration et l’implémentation prochaine d’une politique d’État, le « bilinguisme de l’équité des droits linguistiques » (voir nos articles « Droits linguistiques et et droits humains fondamentaux en Haïti : une même perspective historique », Potomitan, 11 octobre 2017 ; « La Constitution de 1987 est au fondement du « bilinguisme de l’équité des droits linguistiques » en Haïti », Le National, 25 avril 2023 ; « Unilatéralisme créole ou aménagement simultané du français et du créole en Haïti ? Un choix de société et un choix politique », Le National, 7 avril 2020) ; « Le bilinguisme de l’équité des droits linguistiques en Haïti – Fondements constitutionnels et politique linguistique d’État », Madinin’art, 17 juillet 2024). Il y a lieu de souligner, une fois de plus, que cette politique d’État — le « bilinguisme de l’équité des droits linguistiques »–, devra à l’avenir être rigoureusement mise en œuvre dans la concertation avec les institutions de la société civile. La vision que nous promouvons de l’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, s’enracine dans les sciences du langage, dans la Constitution haïtienne de 1987 (Préambule, articles 5, 32 et 40), dans la jurilinguistique et dans la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996.
Les textes analytiques que nous avons publiés sur l’aménagement du créole et du français dans le système éducatif haïtien où sont scolarisés plus de 3 millions d’élèves de langue maternelle créole sont les suivants :
- « Faut-il exclure le français de l’aménagement linguistique en Haïti ? », Le National, 31 août 2017.
- « Politique linguistique éducative en Haïti : surmonter l’inertie, instituer l’aménagement simultané du créole et du français », Le National, 15 novembre 2017.
- « Le droit à la langue maternelle créole dans la Francocréolophonie haïtienne », Madinin’art, 2 mars 2019.
- « Retour sur le droit à la langue maternelle créole dans le système éducatif haïtien », Madinin’art, 30 août 2019.
- « L’enseignement des langues en Haïti et les défis actuels de l’aménagement linguistique », Madinin’art, 20 octobre 2019.
- « Partenariat créole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équité des droits linguistiques en Haïti », Madinin’art, 6 novembre 2019.
- « Le défi de l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien », Le National, 8 janvier 2020.
- « Aménagement et didactisation du créole dans le système éducatif haïtien : pistes de réflexion », Madinin’art, 24 janvier 2020.
- « Les fondements constitutionnels de l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien », Le National, 14 avril 2020.
- « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme
Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire », Rezonòdwès, 16 mars 2021. - « L’aménagement du créole en Haïti et la stigmatisation du français : le dessous des cartes », Le National, 3 mai 2022.
- « L’aménagement du créole doit-il s’accompagner de « l’éviction de la langue française en Haïti ? », Le National, 10 mai 2022.
L’analyse consignée dans ces articles est en symbiose avec la fort éclairante étude du linguiste Renauld Govain, « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti » (revue Contextes et didactiques 4/2014). Elle entre également en résonance avec le diagnostic antérieur établi par Michel Saint-Germain, de l’Université d’Ottawa, dans l’article « Problématique linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats » (Revue des sciences de l’éducation no 23 (3), 1997). Sur nombre d’aspects majeurs, notre analyse est aussi en résonance avec l’ample étude du GTEF, le Groupe de travail sur l’éducation et la formation dont le rapport, intitulé « Pour un pacte national sur l’éducation en Haïti », a été publié à Port-au-Prince en août 2010.
- Alapapòt, un lourd accablant : l’État haïtien ne respecte pas un droit premier et fondamental, celui de l’éducation
L’un des acquis majeurs de la Constitution haïtienne de 1987 est d’avoir consigné un droit premier et fondamental, celui de l’éducation. Notre Charte constitutive précise en effet que l’éducation est un droit en lien avec les obligations de l’État : « L’État garantit le droit à l’éducation. Il veille à la formation physique, intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population » (article 32) ; « L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignements des secteurs public et privé » (article 32.1). L’on observe que depuis l’adoption de la Constitution de 1987 la mise en application de ce droit est lourdement handicapée par l’atonicité chronique et la carence de volonté politique au plus haut sommet de l’État. Elle est également lourdement handicapée par la structure même de l’offre scolaire. Tel qu’attesté par plusieurs études, cette offre scolaire est assurée à 20% par l’État et à 80% par le secteur privé national et international. Cela signifie qu’en réalité l’État ne finance et ne gère que la portion congrue d’un système éducatif qu’il entend pourtant diriger dans sa totalité. Cette particularité structurelle de l’offre scolaire en Haïti remonte aux premières années du nouvel État qui a confié à des écoles congréganistes ou confessionnelles étrangères, dès 1860, le mandat d’organiser l’instruction publique. La prépondérance des écoles publiques, aujourd’hui en Haïti, est donc en lien avec cette donnée historique. Ainsi, « La majeure partie du système scolaire en Haïti est gérée par le secteur non public, et n’est donc pas gérée ou financée par le ministère de l’Éducation. Les écoles concernées peuvent être à but lucratif, confessionnelles ou gérées par des organisations non gouvernementales. Plus de 80% % des écoles primaires sont privées et accueillent plus de 80% de tous les élèves du primaire. De même, plus de 70% des collèges et lycées sont gérés par des institutions privées. Haïti dépend largement des bailleurs de fonds pour financer ses besoins en matière d’éducation. Parmi ces partenaires, la Banque mondiale a fourni 70 millions $ US et la dernière subvention du Partenariat mondial pour l’éducation s’élevait à 14,5 millions $ US. Parmi les autres bailleurs de fonds figurent la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque de développement des Caraïbes, l’UNICEF, l’UNESCO et l’Union européenne. » (Source : Global Partnership for education / Partenariat mondial pour l’éducation, « Transformer l’éducation à Haïti », n.d.). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] Le ratio 20/80, écoles publiques / écoles privées est attesté entre autres dans l’ouvrage de référence de Charles Tardieu, « Le pouvoir de l’éducation » (Éditions Zémès, 2017). En ce qui a trait au financement international de l’éducation, Tardieu note que « Cinq institutions ou groupes d’institutions internationales interviennent dans le secteur de l’éducation en Haïti : le système des Nations Unies (à travers l’Unesco, le BIT, l’OMS, etc.), la Banque mondiale, l’Agence culturelle et technique pour la France, l’USAID pour les États-Unis et l’Organisation des États américains » (Charles Tardieu, op. cit., p. 69). À ce décompte l’on peut ajouter d’autres partenaires tels la Coopération espagnole et celle de la Suisse.
- L’atonicité chronique et la carence de volonté politique au plus haut sommet de l’État au regard de l’inexistence LA politique linguistique éducative nationale
Il est attesté que l’État haïtien, par la voix du ministère de l’Éducation nationale, parle d’abondance et chaque année d’« aménagement du créole », de « réforme » du système éducatif national, de « révision curriculaire », de « modernisation » des structures de l’appareil éducatif et de sa gouvernance. Depuis de nombreuses années le système éducatif haïtien est le lieu d’annonces profuses de « promotion » du créole mais sur le site du ministère de l’Éducation nationale, l’on ne trouve aucun bilan analytique chiffré des résultats de cette présumée « promotion » du créole. Également, l’on observe que le système éducatif haïtien est l’objet d’une perpétuelle et gloutonne « réforme » aussi appelée « modernisation », elle est soutenue par l’International, ces dernières décennies, à coups de centaine de missions de dollars (voir plus loin le tableau 1). Cette perpétuelle « réforme », dont on ne retrace pas les résultats mesurables sur le site du ministère de l’Éducation nationale, est en lien avec les vues exprimées dans différents « documents stratégiques majeurs » qui, parfois, se contredisent et sans que l’on sache lequel de ces documents est véritablement destiné à orienter la gouvernance du système éducatif à l’échelle nationale. Ces « documents stratégiques majeurs » sont les suivants :
- « L’aménagement linguistique en salle de classe – Rapport de recherche » (MENFP/Ateliers de GrafoPub, Port-au-Prince, 272 pages, année 2000). De 2000 à 2024, les recommandations de ce remarquable rapport de recherche commandité par le ministère de l’Éducation nationale n’ont jamais été mises en application. Ce document, qui comprend des données analytiques issues d’observations de terrain, a été remisé au « grenier des objets perdus » de l’Éducation nationale.
- « Plan opérationnel 2010-2015– Vers la refondation du système éducatif haïtien ». Ministère de l’Éducation nationale. [2010]
- « Plan national d’éducation et de formation ». Ministère de l’Éducation nationale, 2015.
- « Cadre pour l’élaboration de la politique linguistique du MENFP / Aménagement linguistique en Préscolaire et Fondamental », par Marky Jean Pierre et Darline Cothière, mars 2016.
- « Référentiel haïtien de compétences linguistiques (français – créole) », par Darline Cothière, février 2018.
- « Plan décennal d’éducation et de formation 2018-2028 (PDEF) », ministère de l’Éducation nationale. [2018]
- « Cadre d’orientation curriculaire du système éducatif haitien 2024-2054 / Version officielle » (MENFP/Nectar COC 2024).
L’observation de terrain et l’analyse comparative de ces différents « documents stratégiques majeurs » fournissent un éclairage fort instructif que nous résumons comme suit :
- En Haïti, nous sommes en présence, au plus haut niveau de l’État, d’une parcellisation de la vision et des interventions l’État en matière d’aménagement du créole dans le système éducatif national.
- Cette parcellisation provient pour l’essentiel de l’inexistence d’une politique linguistique éducative nationale et souventes fois elle ouvre la voie à diverses variantes de populisme.
- Une telle parcellisation est asynchrone au sens où les différents « documents stratégiques majeurs » sont évoqués au fil des interventions erratiques du ministère de l’Éducation nationale alors même que les divergences existant entre ces documents induisent ou confortent des actions qui sont inconstitutionnelles ou qui empruntent le chemin du populisme et de l’improvisation managériale sans plan directeur et sans vision rassembleuse.
En effet l’on observe qu’il y a, au ministère de l’Éducation nationale, abondance de « documents stratégiques majeurs » ciblant différents registres d’intervention de l’État, mais ces documents ne définissent pas LA politique linguistique éducative nationale élaborée dans la concertation avec les enseignants, les directeurs d’écoles et les institutions de la société civile. Nous avons documenté cette systémique et lourde carence dès la publication en 2011 de notre premier livre, « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal ; ouvrage réédité en 2023 par le Cidihca France). Au cours des dernières années, nous avons approfondi et davantage documenté notre réflexion sur les effets de l’inexistence de LA politique linguistique éducative nationale, sur le droit à la langue et le droit à la langue maternelle dans l’École haïtienne –ce sont là deux registres majeurs articulant une vision jurilinguistique de l’aménagement linguistique en Haïti. Également nous avons accordé une attention particulière à l’impératif de la didactisation du créole en vue de la transmission des savoirs et des connaissances dans l’École haïtienne (voir le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol et alii, Édition Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 2021). Et en toile de fond de notre réflexion analytique, nous avons exposé, dans plusieurs articles, l’urgente nécessité de la refondation complète de l’École haïtienne notamment dans « La politique linguistique éducative doit être, en Haïti, au cœur de la refondation du système éducatif national » (Le National, 20 septembre 2018), et « L’aménagement simultané du créole et du français en Haïti, une perspective constitutionnelle et rassembleuse » (Médiapart, 23 novembre 2020). Au fil des données analytiques consignées dans ces articles, nous avons constamment mis en lumière les exigences découlant de la dimension constitutionnelle de l’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, en conformité avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 (voir entre autres l’article « Les fondements constitutionnels de la future loi de politique linguistique éducative en Haïti » (Rezonòdwès, 23 août 2023).
L’inexistence de LA politique linguistique éducative nationale alimente et conforte le lourd déficit de vision, la fuite en avant managériale et les errements populistes au ministère de l’Éducation nationale comme l’attestent, par exemple, la scabreuse aventure du LIV INIK AN KREYÒL et l’arrêt de la subvention des ouvrages pédagogiques en langue française, arrêt inconstitutionnellement décrété par le ministre Nesmy Manigat, compulsif « missionnaire » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Nous reviendrons là-dessus. Il est utile de préciser que deux linguistes haïtiens, Renauld Govain et Guerlande Bien-Aimé, ont récemment mis en évidence la dichotomie observée entre la politique éducative et la politique linguistique là où l’État haïtien, conformément à la Constitution de 1987, a l’obligation d’élaborer et d’implémenter LA POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE à l’échelle du pays tout entier (voir l’article « Politique linguistique et politique éducative en Haïti : des résultats entre hésitation et ambiguïté », par Renauld Govain et Guerlande Bien-Aimé ; cet article est paru dans « Droits et politiques linguistiques dans la Caraïbe », revue Kreyolistika 03, mars 2023). C’est précisément parce que les décideurs politiques et les administrateurs de l’Éducation nationale, porteurs d’un lourd déficit de vision et incapables d’élaborer et d’implémenter LA POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE, que l’on navigue à vue, que l’on institue au gré des juteuses subventions de l’International l’amateurisme managérial qui se traduit notamment, dans le champ éducatif, par la superposition erratique de « mesures », de « décrets » et de « projets » étiquetés « politique linguistique » d’un côté et « politique éducative » d’un autre côté. Il y aurait donc deux visions parallèles chez les décideurs politiques et les administrateurs de l’Éducation nationale : la présumée « politique linguistique » éparpillée dans plusieurs documents prétendument « techniques » et la présumée « politique éducative » éparpillée elle aussi dans plusieurs documents prétendument « techniques » (voir plus haut les sept documents que nous avons identifiés). Nous sommes ainsi en présence d’une « technicisation » de l’éducation qui se prétend apolitique, comme si l’éducation ne relevait pas des obligations régaliennes de l’État pourtant définies à l’article 32 de la Constitution de 1987 : « L’État garantit le droit à l’éducation. Il veille à la formation physique, intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population » ; « L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales ». L’on observe que les deux visions parallèles chez les décideurs politiques et les administrateurs de l’Éducation nationale enfantent la confusion et une totale incapacité à conceptualiser LA POLITIQUE LINGUISTIQUE DE L’ÉTAT, qui devra comprendre plusieurs volets parmi lesquels la politique linguistique éducative, la politique relative aux communications de l’État avec ses administrés, la politique relative à l’affichage public, la politique relative à la langue de la Justice, la politique encadrant l’élaboration des manuels scolaires, etc. L’énoncé de LA POLITIQUE LINGUISTIQUE DE L’ÉTAT devra consigner le dispositif de l’encadrement juridique de l’aménagement du créole, aux côtés du français, dans le système éducatif national, ainsi que l’obligation d’instituer une formation diplômante en didactique du créole langue maternelle.
Dans l’article « Politique linguistique et politique éducative en Haïti : des résultats entre hésitation et ambiguïté », Renauld Govain et Guerlande Bien-Aimé exposent en ces termes le périmètre délimitant l’aménagement du créole : « De manière générale, on a tendance à parler d’aménagement linguistique lorsqu’on élabore un dispositif prescrivant des domaines ou des sphères d’emploi des langues en présence dans une communauté, où les langues s’emploient sous forme de répartition fonctionnelle dans les différentes sphères sociocommunautaires. Toutes les tentatives d’aménagement du créole et du français ont eu lieu dans le domaine de l’enseignement. Ces tentatives circonscrites à un seul domaine ne permettent pas d’éclairer la cohabitation des langues dans les diverses sphères communautaires. Si sur le plan social le français domine dans les attitudes et représentations des locuteurs, le créole reste et demeure dominant en termes démographiques et des pratiques linguistiques quotidiennes : il est pratiqué par tous les Haïtiens, dans toutes les situations, excepté des situations formelles et officielles mettant en contact des membres de la minorité élitiste [sic] partageant le pouvoir de la connaissance, économique, social. Mais, sur le plan des représentations il est minorisé (CHAUDENSON & VERNET, 1983; GOVAIN, 2022). Et sa minorisation occasionne la survalorisation du français (ou en est une conséquence). Des observations plus ou moins récentes tendent à montrer que les représentations hyperpositives qui concernaient depuis toujours le français connaissent un certain décentrement vers l’anglais dans le discours épilinguistique des locuteurs (CHAUDENSON, 1991; GOVAIN, 2009). » [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
- Heurts et malheurs de l’aménagement du créole : l’Accord du 8 juillet 2015 entre l’Akademi kreyòl ayisyen et le ministère de l’Éducation nationale, l’inconstitutionnel arrêt de la subvention des ouvrages pédagogiques en langue française et la scabreuse aventure du LIV INIK AN KREYÒL
Sur le registre de l’aménagement du créole dans le système éducatif national, l’on observe que l’inexistence de LA politique linguistique éducative nationale est au fondement d’un amateurisme managérial systémique ainsi que de la profusion de « mesures » et de « programmes » vêtus de la défroque élimée du populisme et de la démagogie politique. C’est ce qui ressort de l’analyse (1) de l’Accord du 8 juillet 2015 entre l’Akademi kreyòl ayisyen et le ministère de l’Éducation nationale, (2) de l’inconstitutionnel arrêt de la subvention des manuels scolaires en langue française, et (3) de la scabreuse aventure du LIV INIK AN KREYÒL.
- L’Accord du 8 juillet 2015 entre l’Akademi kreyòl ayisyen et le ministère de l’Éducation nationale
Le 15 juillet 2015, nous avons publié sur le site Potomitan une analyse détaillée de l’Accord conclu entre l’Akademi kreyòl ayisyen et le ministère de l’Éducation nationale. Titré « Accord du 8 juillet 2015 / Du défaut originel de vision à l’Académie du créole haïtien et au ministère de l’Éducation nationale »–, cet article présente l’analyse assortie de la mise en perspective du « Pwotokòl akò ant Ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) ». Dans ce texte nous avons exposé la lourde « confusion entre le statut déclaratif et le statut exécutif présumé de l’Académie créole (…), confusion repérable dans les « Considérations générales » de l’accord du 8 juillet 2015 : « Misyon MENFP ak misyon AKA kwaze sou kesyon politik lang nan peyi a, espesyalman nan sistèm edikatif ayisyen an kote tout aktè yo dwe respekte dwa lengwistik elèv ayisyen yo.» Il s’agit donc comme on le constate d’un vœu –illustrant par là le caractère déclaratif de l’Académie–, celui par lequel les signataires de l’accord souhaitent que tous les acteurs du système éducatif respectent les droits linguistiques des élèves. Il y a lieu ici de souligner fortement que nulle part dans l’Accord –ou dans un texte annexe–, les pseudo « droits linguistiques des élèves » ne sont définis : les élèves auraient-ils des « droits linguistiques » particuliers, distincts de ceux de tous les citoyens haïtiens ? On ne sait pas non plus ce que les signataires entendent par l’emploi d’une si importante notion jurilinguistique, les « droits linguistiques ». Ils ont rapatrié cette notion de « droits linguistiques » sans donner à en mesurer la profondeur ni la portée dans le texte de l’Accord –ou dans un texte annexe. La confusion théorique est donc évidente, entre les « droits linguistiques » dans leur universalité et les peudo « droits linguistiques des élèves », elle pourrait aussi ouvrir la voie à l’expression de prétendus droits linguistiques particuliers pour chaque segment de la population, sorte de tour de Babel de l’irrationnel. Cette confusion exprime un défaut originel de vision : les « droits linguistiques » sont visés par un souhait et non pas par une législation nationale contraignante englobant l’espace public et le système éducatif.
« Les objectifs consignés dans les articles 6 et 8 de l’Accord attestent eux aussi un lourd déficit de vision consécutif au fait que l’on ne sait pas ou l’on ne veut pas tirer les leçons du passé. Car pour tendre de manière compétente vers « la généralisation de l’utilisation de la langue créole comme outil d’enseignement à tous les niveaux du système d’éducation » (article 6), il faut qu’au préalable certaines conditions soient remplies. Il faut notamment que les partenaires de l’Accord du 8 juillet 2015 aient à cœur de ne pas reproduire les mêmes erreurs que celles de la réforme Bernard de 1979 ; que les enseignants soient formés aux plans didactique et pédagogique pour être capables de mettre en œuvre « la généralisation de l’utilisation de la langue créole comme outil d’enseignement à tous les niveaux du système d’éducation » ; que ces enseignants disposent du matériel didactique de qualité, en créole, pour tendre vers l’atteinte des objectifs ; que le futur personnel permanent de l’Académie créole, qui dispose aujourd’hui de très peu de linguistes en son sein, soit lui-même formé à ces fins. En clair, (…) selon les termes de l’Accord du 8 juillet 2015, on s’apprête à jeter les bases de la réitération du quasi-échec de la réforme Bernard de 1979 qui a été lancée et mise en œuvre alors même que l’État haïtien, par son Exécutif politique rétrograde, ne l’a pas assumée au plan politique et que la logistique didactique et pédagogique faisait alors largement défaut à l’échelle nationale en dépit de quelques travaux de qualité de l’IPN (Institut pédagogique national). »
Sur le registre d’un bilan d’ensemble, l’Accord du 8 juillet 2015 entre l’Akademi kreyòl ayisyen (AKA) et le ministère de l’Éducation nationale s’est révélé être un accord cosmétique qui n’a produit aucun résultat mesurable et durable. Cet éléphantesque échec a donné lieu quelques mois plus tard aux récriminations publiques de l’Académie créole dirigées contre son fautif « partenaire », le ministère de l’Éducation nationale : « Leurs flèches se sont aussi dirigées contre le ministère de l’Éducation nationale. Le problème linguistique en milieu scolaire, en abordant ce point avec un peu d’énervement, les académiciens estiment que le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) méprise et néglige l’apprentissage dans la langue créole. Pour eux, le MENFP devrait prendre des mesures adéquates pour que l’apprentissage soit effectif dans la langue maternelle » (voir l’article « L’Académie du créole haïtien réclame le support de l’État », Le Nouvelliste, 1er mars 2018.) L’on observe que sur leurs sites respectifs l’Akademi kreyòl ayisyen et le ministère de l’Éducation nationale n’ont produit aucun bilan analytique de l’Accord du 8 juillet 2015 pourtant présenté à grand renfort de propagande politique PHTKiste et destiné à implémenter « la généralisation de l’utilisation de la langue créole comme outil d’enseignement à tous les niveaux du système d’éducation »…
Le mortifiant échec de l’Accord du juillet 2015 est riche d’enseignements. Il illustre incontestablement l’incapacité des décideurs politiques et du ministère de l’Éducation nationale à élaborer LA POLITIQUE LINGUISTIQUE DE L’ÉTAT HAÏTIEN, à bâtir un plan général d’aménagement du créole, aux côtés du français, issu de cette politique et à implémenter des programmes en cohérence avec ce plan général. L’inexistence de cette politique linguistique nationale éclaire le fait que les deux partenaires ont donné tête baissée dans une erratique fuite en avant, ils ont conclu un accord lourdement lacunaire au niveau du cadre conceptuel et des objectifs, un accord mal planifié et dénué de ressources professionnelles pédagogiques adéquates. Dans un pays qui a co-officialisé dans la Constitution de 1987 le créole et le français et dans lequel aucune formation en didactique du créole langue maternelle n’est dispensé depuis la réforme Bernard de 1979, il est illusoire sinon frauduleux de prétendre instituer « la généralisation de l’utilisation de la langue créole comme outil d’enseignement à tous les niveaux du système d’éducation » (article 6 de l’Accord) en dehors de solides compétences professionnelles, en dehors d’un matériel pédagogique et didactique standardisé. Ainsi l’on observe que le site Web officiel du ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Akademi kreyòl ne comprennent aucune information vérifiable selon laquelle ces institutions abriteraient des professionnels formés à la didactique des langues, à la didactique du créole langue maternelle, à la didactisation du créole et à l’aménagement linguistique. L’on a bien noté, de surcroît, que sur le site Web officiel de l’AKA et sur celui du ministère de l’Éducation nationale aucun bilan chiffré, aucun audit des états financiers n’a été fourni : combien aurait coûté à l’État haïtien la présumée mise en oeuvre de l’Accord du juillet 2015 ? Par quelles institutions cet Accord aurait-il été financé ? Dans combien d’écoles l’Accord aurait-il été implémenté et combien d’élèves auraient présumément été rejoints ?
Enfin l’on observe qu’en choisissant la naine Akademi kreyòl ayisyen comme partenaire institutionnel, le ministère de l’Éducation nationale –institution instrumentalisée par les caïds du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste–, s’est une fois de plus fourvoyé dans l’espace de l’irrationnel et du bricolage indocte : il est diversement attesté que l’AKA ne dispose d’aucune compétence connue dans les domaines spécialisés de la didactique du créole langue maternelle, de la didactisation du créole et de l’aménagement linguistique.
RAPPEL — Depuis sa création prématurée en 2014 et jusqu’en 2025, l’Akademi kreyòl ayisyen n’a publié aucun article scientifique, aucun ouvrage de référence traitant de manière spécifique de l’un de ces sujets : syntaxe, sémantique, phonologie, sociolinguistique, didactique du créole langue maternelle, didactisation du créole, droits linguistiques, lexicologie et lexicographie créole. L’échec multifacette de l’Akademi kreyòl ayisyen à tous les étages de la société haïtienne traduit l’incapacité de l’État à penser la question linguistique sur des bases scientifiques, au périmètre des sciences du langage, de la jurilinguistique et de la Constitution de 1987. La complexe question linguistique haïtienne est encore souventes fois, de nos jours, emprisonnée dans des bavardages itératifs, des prêches « militants » et subjectifs sans véritables perspectives, sans cadre juridique approprié et, surtout, en dehors de LA POLITIQUE LINGUISTIQUE DE L’ÉTAT HAÏTIEN.
NOTE – Bilan de l’échec multifacette de l’Akademi kreyòl ayisyen : liste des articles que nous avons publiés de 2015 à 2025.
- « Accord du 8 juillet 2015 – Du défaut originel de vision à l’Académie du créole haïtien et au ministère de l’Éducation nationale », Potomitan,15 juillet 2015).
- « Les « droits linguistiques des enfants » en Haïti : mal-vision et aberration conceptuelle à l’Akademi kreyòl ayisyen », Rezonòdwès, 25 septembre 2016.
- « Maigre bilan de l’Académie du créole haïtien (2014-2019) : les leçons d’une dérive prévisible », Le National, 5 avril 2019.
- « Bilan quinquennal truqué à l’Académie du créole haïtien », Rezonòdwès, 9 décembre 2019.
- « Corruption, népotisme, futilité, malversations et dérives administratives à l’Akademi kreyòl ayisyen : la société civile doit exiger l’abolition de cet inutile ‘’symbole décoratif’’ », Fondas kreyòl, 28 août 2024.
- « Journée internationale du créole 2024 : la vision indocte et rachitique de l’Akademi kreyòl ayisyen mène une fois de plus à une impasse », Rezonòdwès, 19 octobre 2024.
- « L’Akademi kreyòl ayisyen recycle une fois de plus ses vieilles recettes et sectarise son incapacité à aménager le créole », Médiapart, 21 février 2025.
- Arrêt de la subvention des ouvrages pédagogiques en langue française : une mesure inconstitutionnelle, démagogique et populiste
La presse locale en a fait état : « « Le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) annonce la fin du financement des matériels didactiques en langue française, pour les quatre premières années du cycle fondamental (…) Ce financement sera dirigé vers les matériels didactiques en créole, pour les quatre premières années du fondamental (…). » Et « À partir de l’année académique 2022-2023, l’État haïtien ne financera pas, ni ne supportera aucun matériel didactique [en] langue française qui doit servir dans l’apprentissage des élèves des quatre premières années du fondamental » (voir l’article « Suspension du financement des matériels didactiques en langue française pour les 4 premières années du cycle fondamental en Haïti », AlterPresse, 22 février 2022). Nous avons analysé cette directive ministérielle dans l’article « Financement des manuels scolaires en créole en Haïti : confusion et démagogie au plus haut niveau de l’État » (Rezonòdwès, 9 mars 2022).
Le fil conducteur de notre analyse de l’annonce du ministère de l’Éducation nationale quant à la subvention exclusive des ouvrages pédagogiques en langue créole était le suivant : cette nouvelle directive constitue-t-elle une mesure rationnelle, planifiée et ordonnée de l’aménagement du créole dans le système éducatif national ? En toute rigueur, la réponse à cette question est « non ». La consultation méthodique de l’information accessible sur le site Web du ministère de l’Éducation nationale atteste que celui-ci, d’une part, est dépositaire d’une vision rachitique et déficiente de l’aménagement du créole dans l’École haïtienne (là-dessus, voir notre article paru dans Le National du 31 octobre 2018, « Un « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » en Haïti dénué d’une véritable politique linguistique éducative »). D’autre part, et de manière plus essentielle, il ressort de nos observations qu’aucun lien n’est établi entre l’inconstitutionnelle décision du MENFP relative aux manuels scolaires rédigés en français et la perspective ordonnée de l’aménagement de nos deux langues officielles dans l’École haïtienne selon un énoncé de politique linguistique éducative nationale –un tel énoncé n’a toujours pas été élaboré par l’État haïtien. Cette absence de lien constitue à l’analyse la plus lourde déficience de la mesure du ministère de l’Éducation qui s’apparente, selon plusieurs observateurs sur le terrain, à une fuite en avant populiste et démagogique accréditant la fausse idée selon laquelle la subvention des manuels scolaires rédigés en français –l’une de nos deux langues officielles–, serait en contradiction avec la nécessité de subventionner des manuels scolaires de haute qualité en créole. Voici en quels termes est présentée, sur le site du ministère de la Culture et de la communication, la décision du ministère de l’Éducation en date du 22 février 2022 sous le titre « Vers le financement exclusif des manuels didactiques en créole pour le 1er cycle de l’école fondamentale » : « Tenant compte des dispositions édictées par la réforme éducative [LAQUELLE ?] et les recommandations de toutes les études [LESQUELLES ?] réalisées à date [À QUELLES DATES ?] pour l’amélioration des apprentissages de la 1ère à la 4ème année de l’École fondamentale ; considérant la nécessité de promouvoir l’élaboration [PAR QUI ?] de matériels didactiques en créole, particulièrement au niveau du premier cycle de l’école fondamentale ; considérant les exigences [LESQUELLES ?] des programmes détaillés du Fondamental pour le créole comme langue d’enseignement pour toutes les matières au cours du 1er cycle de l’école fondamentale ; après consultation, évaluation et plusieurs réunions de concertation [QUAND ET AVEC QUI ?], il a été décidé qu’à compter de l’année académique 2022-2023 aucun financement ne sera accordé ni en dotation ni en subvention pour des manuels en français destinés aux apprenants pour le premier cycle de l’École fondamentale ».
De manière rigoureuse, il faut noter que le texte de cette décision, signé par le ministre de facto de l’Éducation Nesmy Manigat et curieusement paru sur le site du ministère de la Culture et de la communication uniquement, ne mentionne pas, dans le corps du texte, l’exclusivité du financement des manuels scolaires en langue créole : ce n’est que dans le titre du texte qu’il est explicitement formulé…
Par ailleurs, à travers nos contacts avec des enseignants en poste en Haïti, la réalité d’une consultation préalable –« consultation, évaluation et (…) réunions de concertation » avec les partenaires nationaux du système éducatif haïtien–, a été fortement démentie, ce qui est logiquement en lien avec le fait qu’aucun éditeur de manuels scolaires, aucune association d’enseignants, aucun directeur d’école n’a publiquement exprimé un quelconque accord avec la décision ministérielle de ne subventionner que les manuels scolaires rédigés en créole.
L’examen attentif de la directive ministérielle « Vers le financement exclusif des manuels didactiques en créole pour le 1er cycle de l’école fondamentale » –directive qu’il ne faut pas disjoindre du maigre bilan de l’action du premier mandat de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale–, révèle en creux de lourdes déficiences. Ces lourdes déficiences illustrent le constat fait en Haïti dans divers milieux de l’éducation qu’il s’agit d’une décision ministérielle précipitée et volontariste, de type « poudre aux yeux » et « buzz » médiatique destiné à crédibiliser l’idée que le MENFP serait véritablement engagé dans une dynamique ordonnée et planifiée d’aménagement du créole dans l’École haïtienne. Les lourdes déficiences constatées se donnent à voir à travers (1) l’absence d’un projet pédagogique spécifique à l’échelle nationale quant à la didactique du créole et à la didactique des matières enseignées en créole ; (2) l’absence d’un dispositif scientifique d’évaluation du matériel pédagogique en langue créole visé par la nouvelle directive du MENFP (le site officiel du ministère de l’Éducation ne renseigne pas sur la revitalisation ou la fermeture de la Direction du contrôle de la qualité). À notre connaissance, le ministère de l’Éducation nationale n’a publié aucun document-synthèse comprenant une analyse exhaustive de tous les manuels scolaires en langue créole en usage dans les écoles du pays depuis la réforme Bernard de 1979. Au chapitre des contributions individuelles, nous avons répertorié le livre de Jacques-Michel Gourgues, « Les manuels scolaires en Haïti – Outils de la colonialité » (Éditions l’Harmattan, 2016). Le « Guide UNESCO pour l’analyse et la révision des manuels scolaires » de Falk Pingel a été édité en 1999 par l’Institut Georg Eckert de recherche internationale sur les manuels scolaires et le Réseau international UNESCO d’instituts de recherche sur les manuels.
L’on observe que les enseignants haïtiens sont de plus en plus nombreux à réclamer du ministère de l’Éducation nationale un cadre scientifique d’élaboration et de validation d’outils pédagogiques et didactiques de haute qualité aussi bien pour le créole que pour le français : la décision du MENFP de ne subventionner que les manuels scolaires créoles se situe totalement à l’opposé d’une telle demande. À l’instar des éditeurs de manuels scolaires, les enseignants sont de plus en plus nombreux à réclamer une mise à jour de la graphie du créole qui favorisera l’harmonisation et la standardisation des textes des outils didactiques en langue maternelle créole : la décision du MENFP relative aux livres rédigés en créole se situe totalement à l’opposé d’une telle exigence. Ces enseignants sont de plus en plus nombreux à réclamer la mise à disposition d’un cadre méthodologique et didactique national pour la standardisation du créole langue d’enseignement et langue enseignée : la décision du MENFP se situe totalement à l’opposé d’une telle exigence. C’est donc aussi en lien avec ces lourdes lacunes que la décision du ministère de l’Éducation est perçue en Haïti par de nombreux intervenants du système éducatif national comme étant volontariste, démagogique et populiste. De surcroît, le faible niveau de formation d’un nombre élevé d’enseignants ne leur permet pas d’effectuer seuls, sans un encadrement institutionnel préalable, des interventions de haute qualité didactique sur le registre de l’introduction du créole comme langue enseignée et langue d’enseignement. Plutôt que de promouvoir une directive sans lien avec leurs compétences professionnelles, le ministère de l’Éducation devrait plutôt s’atteler à concevoir et à mettre en route un programme conséquent de formation et de perfectionnement des maîtres, en particulier en didactique du créole langue maternelle. (Sur le faible niveau de qualification des enseignants haïtiens, voir le diagnostic de Bernard Hadjadj, spécialiste de l’éducation et ancien représentant-résident de l’UNESCO en Haïti, auteur d’un rapport peu connu, « Education for All in Haiti over the last 20 years : assessment and perspectives », Education for All in the Caribbean, Assessment 2000 monograph series, Kingston, Jamaica : Office of the UNESCO Representative in the Caribbean. Dans ce rapport, Bernard Hadjadj expose qu’« En 2000, 53% des enseignants du secteur public et 92% des enseignants du secteur privé étaient non qualifiés ».)
Il y a lieu également de s’interroger sur l’illégalité et l’inconstitutionnalité de la décision du ministère de l’Éducation quant à l’exclusivité de la subvention des manuels scolaires en langue créole. En effet, les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 traitent du statut non hiérarchisé de nos deux langues officielles et des obligations de l’État quant à la production et à la diffusion de tous les documents administratifs dans les deux langues officielles du pays. S’il est juste d’interpréter l’esprit de notre Loi-mère en termes de priorité à l’aménagement du créole, il est tout aussi juste d’inférer et de reconnaître que le texte constitutionnel ne justifie en aucun cas le bannissement ou la relégation du français dans le système éducatif national. Le bannissement ou la relégation du français du champ éducatif haïtien est une constante des dérives idéologiques d’une petite minorité de « créolistes » fondamentalistes, y compris chez certains linguistes haïtiens formés aux États-Unis et selon lesquels le français –langue dans laquelle l’Acte de l’Indépendance de 1804 a été rédigé–, serait en soi une « langue coloniale », la « langue de l’aliénation coloniale », la langue de la « francofolie » qui ferait obstacle au droit à la langue maternelle créole dans l’École haïtienne. Pareille dérive idéologique perdure dans l’ignorance absolue du droit à la langue consigné dans la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996 ; elle perdure également dans la cécité volontaire découlant d’une lecture tronquée de l’article 5 de la Constitution de 1987 qui co-officialise les deux langues pourtant présentes mais de manière inégalitaire dans les institutions de la société haïtienne depuis 1804. Dans la décision du ministère de l’Éducation quant à l’exclusivité de la subvention des manuels scolaires en langue créole, l’on retrouve en creux une obscure et populiste stigmatisation de la langue française en Haïti sur le mode de sa relégation au niveau d’une langue tout à fait étrangère sur le sol national. Contrairement aux enseignements du linguiste Pradel Pompilus, dans cette vision de relégation, le français n’est pas perçu dans son effectivité de langue seconde, de langue de notre patrimoine linguistique historique, mais plutôt comme une langue étrangère en Haïti et il faudrait l’enseigner au même titre que les langues régionales que sont l’espagnol et l’anglais. Cela se donne à voir dans l’énoncé même du texte du ministère de l’Éducation nationale, « Vers le financement exclusif des manuels didactiques en créole pour le 1er cycle de l’école fondamentale » : « (…) tenant compte aussi de l’évolution du temps et de l’environnement global d’Haïti dans le concert caribéen, latino-américain et Nord-américain, le MENFP veut aussi encourager fortement, dès les premières années de l’école fondamentale, la communication orale des langues française, anglaise et espagnole ». Ce positionnement permet d’évacuer la nécessité de préserver et d’enrichir le patrimoine linguistique francophone que l’Histoire a légué à Haïti et, surtout, il permet d’évacuer, en milieu majoritairement créolophone, la nécessité d’une didactique du français renouvelée, compétente et inscrite dans la culture haïtienne. Il permet en amont d’évacuer, au creux de l’ignorance, le fait que la production d’outils didactiques répond dans sa généralité aux mêmes règles scientifiques qu’il s’agisse du créole ou du français : par exemple, la méthodologie d’élaboration de dictionnaires et de lexiques en langue créole s’arrime au même socle méthodologique ; ce qui change ce sont les spécificités dans le traitement des données lexicographiques en fonction de la culture et des caractéristiques de la langue créole.
RAPPEL — La didactique du créole langue maternelle vue par Wilner Dorlus, enseignant-chercheur et professeur de créole en Haïti
Dix-sept ans après l’élaboration de son étude intitulée « La didactique du créole en Haïti : difficultés et axes d’intervention » (version Word originale, 2008), les observations de terrain et l’analyse de Wilner Dorlus sont d’une brûlante actualité : l’enseignement du créole comme discipline et l’enseignement en langue maternelle créole se caractérisent encore par des carences conceptuelles et opérationnelles et, surtout, par d’importantes lacunes sur le plan didactique. Il faut en prendre toute la mesure et bien situer les nombreux défis qu’Haïti doit relever 43 ans après le lancement de la réforme Bernard de 1979, dont se réclame encore confusément l’État haïtien, et 35 ans après la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987. Dans les domaines de la didactique générale et de la didactique du créole, ces défis sont nombreux et complexes, allant du contenu linguistique et didactique des apprentissages scolaires à l’élaboration de matériel didactique et lexicographique de qualité en langue créole. Ces défis sont régulièrement voilés sinon obscurcis, d’une année à l’autre, par l’avalanche des « plans », des « circulaires » et des « directives » du ministère de l’Éducation nationale. De surcroît, le discours pré-scientifique et aveuglement fanatisé des Ayatollahs du créole –incapables d’élaborer une didactique modélisée du créole–, génère un écran de confusion dans le domaine de la didactique du créole. Le remarquable diagnostic de Wilner Dorlus doit également s’apprécier à l’aune d’un constat avéré dans la documentation courante : l’État haïtien ne finance et n’administre qu’environ 20% des écoles du pays ; 80% des écoles, en Haïti, sont financées et administrées par le secteur privé national et international. Cela signifie que l’État haïtien n’a ni le pouvoir d’implanter un modèle unique de didactique du créole dans la totalité des écoles du pays ni celui d’en contrôler la mise en œuvre à l’échelle nationale. Cela signifie également que l’État haïtien, très peu informé du profil académique de l’ensemble des enseignants de créole, n’est toujours pas en mesure d’intervenir sur le plan de la qualification didactique de ces enseignants. Or les études les mieux documentées ont démontré depuis de nombreuses années que la sous-qualification des enseignants est l’une des plus grandes lacunes de l’École haïtienne.
- Le LIV INIK AN KREYÒL, marqueur exemplaire de l’échec pédagogique, didactique et politique de la gouvernance du système éducatif haïtien
L’annonce du ministère de l’Éducation nationale relative au LIV INIK AN KREYÒL, qui devait être introduit à la mi-juin 2023 dans les écoles du pays à hauteur de 1 million d’exemplaires à distribuer gratuitement, a retenu l’attention des directeurs d’écoles et des enseignants d’autant plus que leurs associations professionnelles, pourtant connues, n’ont pas été associés à l’élaboration de cet ouvrage.
Dans notre article intitulé « Le LIV INIK AN KREYÒL et la problématique des outils didactiques en langue créole dans l’École haïtienne » (Rezonòdwès, 13 août 2023), nous avons formulé d’utiles questions de fond afin de bien comprendre la problématique du « Livre unique ». À l’aide d’entrevues que nous avons menées auprès de quelques éditeurs de manuels scolaires et de plusieurs enseignants, il s’agissait pour nous de déterminer en quoi consiste le LIV INIK AN KREYÒL… À quels objectifs pédagogiques devait-il répondre ? Par qui a-t-il été élaboré et édité ? Les organisations professionnelles d’enseignants ont-elles été associées à la conception de ce nouvel outil pédagogique ? L’expertise de l’École normale supérieure et de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti a-t-elle été sollicitée à l’étape de la conceptualisation et de la validation du LIV INIK AN KREYÒL ? À combien s’élève le financement global de ce projet au ministère de l’Éducation nationale ? Sur le plan de la didactique créole et de la didactisation du créole, qu’est-ce qui caractérise le LIV INIK AN KREYÒL ? Comment expliquer que le projet de LIV INIK AN KREYÒL ait pu être mis en route en dehors d’une politique linguistique éducative nationale qui se fait toujours attendre ?
Voici des extraits de l’entrevue que nous a accordée Charles Tardieu, spécialiste des sciences de l’éducation, directeur des Éditions Zémès et ex-ministre de l’Éducation nationale (référence : « Le LIV INIK AN KREYÒL et la problématique des outils didactiques en langue créole dans l’École haïtienne / Entrevue exclusive avec Charles Tardieu », par Robert Berrouët-Oriol, Fondas kreyòl, 14 août 2024).
« Q/ Robert Berrouët-Oriol (RB-O) : Pouvez-vous expliquer, compte-tenu de votre connaissance du marché du livre scolaire en Haïti, en quoi consiste précisément le LIV INIK AN KREYÒL ? À quels objectifs pédagogiques entend-il répondre ? S’agit-il d’un ouvrage recommandé, optionnel ou obligatoire dans toutes les écoles du pays ?
R/ Charles Tardieu (CT) : En tout premier lieu, il faut signaler que toute la documentation relative au marché du livre unique en créole a été produite et distribuée aux éditeurs exclusivement en français ! D’après les communications fortement médiatisées du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), les livres « uniques » des 7 éditeurs devaient être distribués gratuitement à tous les élèves de toutes les écoles en Haïti à la rentrée scolaire 2022-2023 même si le MENFP ne sait toujours pas à combien d’écoles cette promesse s’adresse. (Le MENFP n’a pas un recensement exhaustif des écoles, des écoliers et des enseignants évoluant dans le système !).
Techniquement, un livre unique comporte les contenus des 5 matières de base en 1 ou 2 tomes : créole, français, mathématiques, sciences sociales et sciences expérimentales, plus 1 cahier d’exercices pour les 5 matières. L’écolier a donc un seul livre et un cahier d’exercices en tout temps durant l’année scolaire. Ceci remplace la multitude de manuels que les écoles réclament souvent d’un écolier (ce qui implique des coûts exorbitants et un poids énorme dans le cartable d’un enfant en bas âge, ce qui implique aussi des risques de perte d’un livre à remplacer en cours d’année. Ceci représente donc à la fois un avantage économique et pédagogique pour l’écolier et sa famille).
Le MENFP n’a aucune provision légale pour exiger l’utilisation d’un livre plutôt qu’un autre dans le système éducatif national et encore moins lui permettant de faire respecter le strict minimum du programme officiel de l’École fondamentale comme stipulé par le PD (Programme détaillé de l’École fondamentale). L’école est entièrement libre d’utiliser les ouvrages qui lui plaisent, même en termes de rapport avec le curriculum officiel du MENFP. Et à ce titre, de nombreuses écoles et enseignants n’ont même pas une copie de ces exemplaires du PD datant, d’ailleurs, des années 1980-86 (une quarantaine d’années) et qui n’ont jamais été mis à jour ! Ces documents sont aussi très rares sur le marché, même si les éditions Henri Deschamps avaient pris l’heureuse initiative d’en reproduire des exemplaires pour la vente. [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Le ministère n’a pu distribuer ces livres au début janvier 2023 date de livraison par la majorité des éditeurs à cause de la date tardive de signature des contrats. Il prévoit donc les distribuer pour la rentrée scolaire 2023-2024.
Cependant, certaines écoles auraient reçu des échantillons de ces livres uniques l’année dernière. Mais personne ne sait précisément comment seront distribués ces manuels et à quelles écoles. Je te propose de faire un petit sondage rapide pour voir quelles écoles, à 5-6 semaines de la rentrée scolaire, ont obtenu un engagement du MENFP pour recevoir assez de copies des livres pour chaque écolier des 1 et 2e années fondamentales correspondant à leurs effectifs pour la rentrée prévue pour le 11 septembre 2023. Mieux, on peut se poser la question à savoir est-ce que les écoles « savent », quand et lequel des 7 livres uniques (de quel éditeur) son école sera dotée ? Depuis le début du mois d’août 2023 le ministère a entrepris une opération de distribution très médiatisée, malgré tout tardive, des livres uniques. Il faut espérer que les écoles, qui généralement préparent leurs listes de livres et les distribuent à la fermeture des classes (juin-juillet) auront été prévenues bien à l’avance pour que ces listes en tiennent compte. [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
(…) Autre contrainte importante dans le cadre de ce projet de distribution gratuite de livres uniques, ce sont les instances du ministère qui procèderont unilatéralement au choix d’un des 7 livres uniques qui sera attribué à une école donnée. D’ailleurs, le ministère a aussi prévu, se basant principalement sur les prix des offres financières des éditeurs, qu’il déciderait au cours du processus d’allocation des marchés quels livres seront distribués dans chaque Département [géographique]. Ce faisant, le ministère se substitue aux éducateurs pour le choix des manuels dans les écoles, le fait à partir de critères financiers et non pédagogiques, et établit une sorte d’homonogéité monopolistique par Département.
RB-O : Selon les informations dont vous disposez en ce qui a trait au marché du livre scolaire en Haïti, par qui le LIV INIK AN KREYÒL a-t-il été élaboré et édité ? Existe-il UN SEUL LIV INIK AN KREYÒL ou chacun des sept éditeurs retenus pour élaborer et éditer le livre a-t-il rédigé et édité son propre livre unique, ce qui laisserait croire, dans cette hypothèse, qu’il existerait actuellement SEPT VERSIONS DISTINCTES DU LIV INIK AN KREYÒL ?
CT : En effet, il s’agit bien de 7 livres uniques distincts qui existent sur le marché organisé par le MENFP. Chacun des 7 éditeurs retenus a produit son propre livre unique à partir de son catalogue antérieur et/ou en en produisant un tout nouveau. Les livres uniques des Éditions Zemès, par exemple, ont été produits à partir de manuels existants dans son catalogue et les ont adaptés pour répondre aux exigences du MENFP. Ainsi, certains de nos manuels existaient en version bilingue (créole–français). Nous avons donc éliminé la partie française. D’autres n’existaient qu’en version française. Il a donc fallu les produire en créole (ce qui est tout à fait différent d’une simple traduction). [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
RB-O : Un nombre indéterminé d’enseignants et de directeurs d’écoles s’opposent déjà, selon nos informations, à l’arrivée du LIV INIK AN KREYÒL dans les écoles du pays. Ils soutiennent que cet ouvrage risque d’enfermer l’apprentissage des matières scolaires dans le format étroit d’un condensé unique de 300 pages là où les élèves devraient pouvoir disposer d’un large éventail de ressources didactiques diversifiées et couvrant toutes les matières scolaires. Qu’en pensez-vous ?
CT : En effet, beaucoup d’éducateurs soucieux d’une formation de qualité ont évoqué ce défi réel des livres uniques. Nous aux Éditions Zemès, nous avons dû réduire énormément les contenus des 5 livres originaux pour tenter de respecter cette exigence du MENFP, soit un maximum de 300 pages incluant un cahier d’exercices. [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Cette exigence de nombre de pages correspondait à un des critères de qualification/évaluation de l’offre de l’éditeur. Il nous a été impossible de respecter ce critère que nous avons, par ailleurs, estimé être une marque du nivellement par le bas pour les écoliers haïtiens. Nous comprenons fort bien les contraintes financières du gouvernement haïtien qui d’ailleurs avait aussi fixé un prix maximum pour le livre scolaire de 1 500 HTG par unité. Certains éditeurs ont accepté ces critères du nombre de pages et de prix sans broncher tandis qu’au moins 3 éditeurs, dont Zémès, ont fortement protesté sans résultat, le MENFP maintenant ces deux exigences associées à des points de qualification de l’appel d’offres. [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
RB-O : Sur le registre combien essentiel de la didactique créole, qu’est-ce qui caractérise le LIV INIK AN KREYÒL ? De quelle manière, sur le plan de la didactique créole, le LIV INIK AN KREYÒL se démarque-t-il des ouvrages précédents rédigés en créole depuis environ vingt ans ? Sur le plan de la méthodologie, les rédacteurs du LIV INIK AN KREYÒL disposent-ils d’un protocole unique et normalisé de rédaction du contenu de l’ouvrage ?
CT : Les seules directives sont celles fournies avec l’appel d’offres de production des manuels. À ce titre on peut signaler le dossier d’appel d’offres constitué : du cahier des charges pour l’élaboration du livre scolaire unique (comportant quelques modalités et suggestions pour l’élaboration), la charte d’éthique applicable aux acteurs des marchés publics et des conventions de concession d’ouvrage de service public, les directives pour l’évaluation et l’attribution des offres. [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Le LIV INIK AN KREYÒL est l’archétype de la pensée populiste parachutée dans le système éducatif national
L’on observe, à l’instar des enseignants oeuvrant en Haïti, que le LIV INIK AN KREYÒL est un marqueur exemplaire de l’échec pédagogique, didactique et politique de la gouvernance du système éducatif haïtien. Conçu dans la précipitation et en dehors de la perspective de LA POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE DE L’ÉTAT HAÏTIEN qui attend d’être élaborée, dépourvu d’un plan d’ensemble et d’un argumentaire méthodologique, le LIV INIK AN KREYÒL a été le lieu d’une opération d’enfumage idéologique et de démagogie managériale. Cet ouvrage est l’archétype de la pensée populiste parachutée dans le système éducatif national par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste qui a très peu financé l’École haïtienne (voir plus bas le tableau 1) car il n’avait pas un véritable projet éducatif pour les 3 millions d’enfants en cours de scolarisation en Haïti.
« La pensée populiste dans le domaine de l’éducation se manifeste par une tendance à privilégier des approches simplistes et mécanistes, souvent à l’opposé des principes fondamentaux de l’éducation démocratique. Cela inclut la réduction du nombre d’enseignants, la centralisation de la décision éducative, et l’instauration d’une bureaucratie autoritaire. Ces pratiques visent à réduire les inégalités sociales et à favoriser l’homogénéisation des connaissances, au détriment de l’éducation à la diversité et à la complexité. La pensée populiste est également associée à un modèle éducatif national populiste, qui se caractérise par une vision très mécaniste de l’éducation, ne laissant pas la place aux processus sociaux complexes. Cela peut entraîner une perte de sens et de complexité dans l’apprentissage, et peut également reproduire des inégalités sociales qui nourrissent le ressentiment des populistes. Pour lutter contre ces tendances, il est essentiel de promouvoir une éducation qui favorise l’esprit critique, la tolérance et le respect des différences, tout en développant des compétences transversales et des domaines généraux de formation. Cela nécessite une approche interdisciplinaire et une pédagogie qui permette aux élèves de remettre en question les discours simplistes et de comprendre les enjeux de la vie publique » (voir l’article « Les 5 marqueurs discursifs de l’éducation nationale populiste », par Stéphane Germain, Le Café pédagogique, 26 juin 2025). [Le souligné en gras est de RBO]
Brève synthèse du financement de l’Éducation en Haïti
Le financement de l’éducation en Haïti demeure opaque et il est d’autant plus difficile d’obtenir des statistiques fiables que la corruption sévit dans la totalité de l’appareil éducatif, notamment au Fonds national de l’éducation, une entité administrative placée sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. RAPPEL – Nous avons consacré plusieurs articles à la corruption au Fonds national de l’éducation. En voici la liste :
1 — Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste, Rezonòdwès, 20 avril 2024.
2 — La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, Madinin’Art, 3 mai 2024.
3 — En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9, Haïti Inter, 7 janvier 2025.
4 — En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers , Rezonòdwès, 18 février 2025.
5 — Le parachutage de Sterline CIVIL à la direction du Fonds national de l’éducation : vers le renforcement de la corruption et de l’impunité dans le système éducatif national d’Haïti, Rezonòdwès, 5 mars 2025.
6 – L’occultation de la corruption au Fonds national de l’éducation : nouvelles acrobaties de Sterline Civil, profuse « missionnaire » du PHTK néo-duvaliériste , Rezonòdwès, 17 juin 2025.
7— Corruption, détournement de fonds publics, népotisme : le Fonds national de l’éducation défie et échappe encore à la Justice haïtienne, Madinin’art, 22 août 2025.
TABLEAU 1 / Financement de l’éducation en Haïti
Information disponible sur la part du budget de l’État haïtien allouée à l’éducation (part des dépenses publiques totales) :
•Série continue la plus fiable (UNESCO/Banque mondiale, 2014–2023) : la part a oscillé entre ~10% et ~16%, avec un pic de ≈ 16,1% en 2021, un creux de ≈ 10,0% en 2020, et ≈ 11,23% en 2023.
•Budget 2024–2025 (Loi de finances) : enveloppe totale 323,445 Mds GHT ; MENFP> 42 Mds GHT, soit ≈ 13% du budget (42 / 323,445 ≈ 12,98%).
•Budget 2025–2026 (communiqué du ministère de l’Économie et des finances) : total 345,510 Mds GHT (le communiqué publie les masses budgétaires ; le détail par ministère ne figure pas dans ce document synthèse).
Pour remonter 30 ans en arrière (≈ 1995–2025)
•Les données relatives à la « part du budget » avant 2014 sont lacunaires dans les bases documentaires internationales. À défaut, on suit l’effort éducatif en % du PIB : en Haïti, il est resté faible (≈ 1–2% du PIB) sur la période 1995–2022, avec un maximum ≈ 1,85% (2015) et ≈ 1,27% en 2022. Cela corrobore une capacité budgétaire limitée même quand la part relative varie.
Lecture rapide
•Ordre de grandeur sur 10 dernières années : généralement ~11–15% du budget de l’État.
•Dernier point consolidé international (2023) : ~11,2%.
•Dernier budget validé par le gouvernement de facto (2024–2025) : ~13% pour le ministère de l’Éducation nationale.

Note méthodologique et sources
•2014–2023 : Part des dépenses publiques totales consacrée à l’éducation (indicateur WDI SE.XPD.TOTL.GB.ZS), série UNESCO/WB.
Valeurs pays par pays listées pour Haïti :
•2024 : valeur provisionnelle (13,02 %) issue d’un agrégateur (basé WDI) ; utile comme repère mais moins solide qu’un point WDI consolidé.
•2025 : part budgétaire officielle du MENFP dans le Budget rectificatif 2024–2025 = 14,6 %, calculée par le MEF (tableau du Secteur social). C’est une part fiscale (Loi de finances) et non un point WDI calendrier.
Le « point WDI 2021 » signifie : la valeur validée par la Banque mondiale pour 2021 sur cet indicateur.
Note
Un « point WDI » (abréviation de World Development Indicators) désigne une valeur statistique officielle publiée par la Banque mondiale dans sa base de données internationale — les World Development Indicators (WDI).
Concrètement
•Chaque point WDI correspond à une année (t) et à une donnée vérifiée (souvent fournie par les États ou les agences de l’ONU) ;
•Les séries WDI regroupent des indicateurs standards comme :
•dépenses publiques en éducation (% du budget de l’État) →SE.XPD.TOTL.GB.ZS,
•dépenses d’éducation en % du PIB,
•taux de scolarisation primaire, secondaire, tertiaire, etc.
•Ces valeurs sont harmonisées internationalement : la Banque mondiale, l’UNESCO, le FMI ou l’OCDE valident les chiffres avant de les diffuser.
Le dernier budget voté selon la procédure normale par les deux chambres (Sénat + Chambre des députés) est la Loi de finances initiale pour l’exercice 2017-2018 :
•Adopté au Sénat début septembre 2017.
•Adopté à la Chambre des députés quelques jours plus tard (deuxième lecture, septembre 2017).
•La presse nationale a confirmé l’adoption par les deux chambres à la mi-septembre 2017.
Des analyses rétrospectives indiquent que c’est le dernier budget effectivement voté par le Parlement haïtien ; les exercices ultérieurs ont été gérés par reconduction/décrets, sans vote parlementaire régulier (ex. 2019-2020).
REMARQUE GÉNÉRALE / Il ressort de cette brève synthèse chiffrée relative aux budgets que l’État haïtien finance faiblement l’éducation en Haïti. La simple mention d’une somme inscrite au budget annuel officiel de l’État ne renseigne pas suffisamment : les montant budgétisés ont-ils effectivement été décaissés ? Si oui, à quels postes budgétaires ont-ils été affectés dans le système éducatif national ? À combien s’élève la contribution financière du Fonds national de l’éducation dans les budgets annuels annoncés ? L’on observe que le site officiel du ministère de l’Éducation nationale et celui du Fonds national de l’éducation ne comprennent aucune information sur cet ensemble de questions. Ces sites ne consignent pas non plus leurs états financiers et les audits comptables de leurs états financiers…
Il faut en prendre toute la mesure : il n’est guère aisé d’obtenir un bilan complet et amplement documenté des sommes allouées depuis plusieurs décennies et chaque année au budget de l’Éducation nationale (sommes budgétisées par l’État, sommes effectivement décaissées et contribution des agences de coopération internationale…) Cette démarche est d’autant plus complexe que les centaines de millions de dollars collectés chaque année par le Fonds national de l’éducation –haut lieu de la corruption dans le système éducatif national–, ne sont pas budgétisés. NOTE — L’aménagement du créole et l’ensemble des activités éducatives en Haïti sont lourdement impactés par la corruption qui sévit depuis 2011-2017 et de 2017 à 2025 au Fonds national de l’éducation, organisme d’État placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Nous avons analysé le dispositif systémique de cette corruption dans les articles suivants :
1 — Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste, Rezonòdwès, 20 avril 2024.
2 — La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, Madinin’Art, 3 mai 2024.
3 — En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9, Haïti Inter, 7 janvier 2025.
4 — En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers , Rezonòdwès, 18 février 2025.
5 — Le parachutage de Sterline CIVIL à la direction du Fonds national de l’éducation : vers le renforcement de la corruption et de l’impunité dans le système éducatif national d’Haïti, Rezonòdwès, 5 mars 2025.
6 – L’occultation de la corruption au Fonds national de l’éducation : nouvelles acrobaties de Sterline Civil, profuse « missionnaire » du PHTK néo-duvaliériste , Rezonòdwès, 17 juin 2025.
Quelles sont les institutions de l’International qui contribuent au financement de l’éducation en Haïti ? Nous avons pu les répertorier à partir du « Rapport d’audit sur le bureau de l’UNESCO à Port-au-Prince (Haïti) » Référence Cour des comptes : UNESCO-2017-9. Document 204 EX/21.INF.4 –Le secteur de l’éducation, page 24 : « L’UNESCO est le chef de file du Groupe sectoriel de l’éducation (GSE), structure de concertation qui rassemble les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux et les directions compétentes du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP). Le GSE se réunit tous les mois. (…) Il a (…) élaboré, en octobre 2015, une « cartographie des interventions des partenaires techniques et financiers dans le secteur éducatif en Haïti ». (…) Cette cartographie expose (…) que 20 partenaires techniques et financiers interviennent dans le domaine de l’éducation en Haïti. [Ce sont :] L’AECID [l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement], l’Agence française de développement (AFD), les ambassades de France, du Japon, de Suisse, l’Agence universitaire de la francophonie, la Banque caribéenne de développement, la Banque interaméricaine de développement, la Banque mondiale, la coopération belge, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), le ministère des Affaires étrangères, du commerce et du développement du Canada (MAECD), le Mexique, l’Organisation internationale de la francophonie, le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Union européenne, l’UNESCO, l’UNICEF et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). » [Le souligné en gras est de RBO]
Il faut toutefois savoir que cette « cartographie des interventions des partenaires techniques et financiers dans le secteur éducatif en Haïti » élaborée par l’UNESCO en 2015 ne fournit pas un tableau de bord détaillé comprenant, pour le secteur de l’éducation, le montant total du financement (subventions, dons, prêts) accordé par l’« International » au système éducatif haïtien. Au cours de la recherche documentaire préalable à la rédaction du présent article, nous avons pu consulter le mémoire de maîtrise de Levasseur Joseph, « Une analyse de la coopération americaine et européene en matière d’aide publique au développement à Haiti : 2000-2015 » (Université du Québec à Montréal, 2019). Ce travail de recherche consigne notamment une « Analyse de la coopération d’aide américaine à Haïti » (chapitre 2.1.) dans laquelle il explore « Les chiffres de l’aide américaine à Haïti (2000-2015) et les « Modalités de financement de l’aide américaine à Haïti ». L’auteur effectue également une « Analyse de la coopération d’aide européenne à Haïti » et expose les « Modalités de financement de l’aide européenne à Haïti ». En fin de parcours analytique Levasseur Joseph exerce au chapitre 3.2 un regard critique sur « L’APD de l’UE et des É-U à Haïti : un trompe l’oeil de l’alignement ». (L’APD est le sigle de l’Aide publique au développement.) « Pour la période allant de 2010 à 2015, l’aide [américaine] est répartie de cette manière : 504,738 [millions de] dollars en 2010 ; 380,261 [millions de] dollars en 2011 ; 351,829 [millions de] dollars en 2012 ; 332,540 [millions de] dollars en 2013 ; 300,796 [millions de] dollars en 2014 ; et 274,313 [millions de] dollars en 2015. » Levasseur Joseph précise par ailleurs qu’« À travers les protocoles financiers signés, entre 2000-2010, Haïti a reçu environ 500 millions d’euros d’aide au développement de l’Union européenne. (…) En mars 2010, lors de la conférence sur la reconstruction d’Haïti à New York, l’UE s’est engagée à accorder une somme de 1,2 milliard d’euros. (…) et l’auteur note que « la participation propre de la Commission européenne est évaluée au montant de 522 millions d’euros ». À la page 81 de son mémoire, Levasseur Joseph présente un tableau qui expose « la ventilation de l’APD de l’UE à Haïti » : le montant qui y est consigné s’élève à 753 MM€. En fin de parcours il importe de souligner que, par-delà les données analytiques chiffrées fournies par Levasseur Joseph, son mémoire ne comprend pas un descriptif illustrant le montant total du financement (subventions, dons, prêts) accordé au secteur de l’éducation par les États-Unis et l’Union européenne (ce n’était d’ailleurs pas l’objet spécifique de sa recherche).
Au regard de l’inépuisable manne financière que déversent, depuis des décennies, les puissantes institutions internationales dans le système éducatif national –dans le but de le « réformer », de « mettre à niveau » et de « moderniser » sa gouvernance–, plusieurs questions de fond doivent être examinées : (1) ces douze dernières années, quel est le montant total de l’« aide » financière (subventions, dons, prêts) accordée par l’« International » au système éducatif haïtien ? (2) À combien s’est chiffré le montant total du budget de l’État au chapitre du financement de l’éducation en Haïti ces douze dernières années ? (3) Existe-il un document d’audit public des sommes déversées par l’« International » ces dix dernières années dans le système éducatif haïtien ? (4) Comment expliquer que les institutions internationales et le ministère de l’Éducation nationale n’aient toujours pas fourni UN DOCUMENT-SYNTHÈSE CONJOINT présentant, par secteurs d’activités, le montant global des sommes investies ces douze dernières années dans le système éducatif national par l’« International » ? (5) Comment expliquer que le système éducatif national, amplement financé ces quarante dernières années par l’« International », soit encore un système qui reproduit les mêmes inégalités dans l’accès à l’offre scolaire, un système aussi pauvre en matériel didactique de qualité en créole et en français, un système dans lequel un grand nombre d’enseignants est toujours sous-qualifié ? NOTE — Au sujet de la qualification des enseignants, voir le document intitulé « Education for All in Haiti Over the Last 20 Years / Assessment and Perspectives » (Office of the UNESCO Representative in the Caribbean, Jamaique, 2000). L’auteur, Bernard Hadjadj, autrefois Représentant-résident de l’UNESCO en Haïti, estime que « 11,3 % des enseignants du primaire étaient titulaires d’un diplôme professionnel (diplômés des écoles normales et titulaires de diplômes d’enseignement) en 1980/81, contre 15 % en 1996/97 ; 1,5 % d’entre eux avaient atteint le niveau académique de la Philo (dernière année de l’enseignement secondaire) au début de la période, contre 11 % en 1996/97 ». [Dans l’ensemble] « (…) 74% des enseignants n’ont ni les qualifications académiques ni la formation pédagogique requises. Quant à l’ancienneté, sur l’ensemble de la période, environ 50% des enseignants ont moins de 5 ans d’ancienneté professionnelle ». [Traduction : RBO] La consultation de sites divers, y compris le site officiel du ministère de l’Éducation, ne fournit aucune donnée relative à une hypothétique amélioration de la sous-qualification du corps enseignant entre 2000 et 2025. Sur le plan historique, les analystes du système éducatif haïtien sont unanimes à situer le début de la sous-qualification du corps enseignant durant la décennie 1960-1970 lorsque, fuyant la violente répression instituée par la dictature duvaliériste, des milliers de professeurs et de cadres de l’Éducation nationale en grande partie recrutés par l’UNESCO ont émigré vers l’Afrique francophone, le Canada et les États-Unis. (Sur la migration des Haïtiens vers le Congo, voir Camille Kuyu, « Les Haïtiens au Congo », Éditions L’Harmattan, 2006.)
Sur le site officiel du ministère de l’Éducation, nous avons en vain cherché des réponses documentées aux cinq questions ci-haut mentionnées. La rubrique « Banque de documents » de ce site comprend plusieurs catégories : « Documents officiels », « Circulaires et arrêtés », « Programmes et curriculum », « Résultats enquêtes »… Mais aucune de ces catégories ne fournit un quelconque document permettant d’être renseigné (1) sur le montant total de l’« aide » financière (subventions, dons, prêts) accordée par l’« International », (2) sur le montant total du budget de l’État dans le financement de l’éducation en Haïti ces dix dernières années et (3) sur un éventuel document d’audit public des sommes déversées par l’« International » dans le système éducatif haïtien… Un constat s’impose dès lors en amont : la présumée « modernisation » de la gouvernance du système éducatif national, en dépit du fait qu’elle a reçu son lot de financement ciblé, n’a toujours pas donné lieu à la mise sur pied d’un dispositif transparent d’information du public. L’ancien ministre de facto de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, s’est souventes fois agité sur la grisante scène figurative des réseaux sociaux, mais il n’a jamais communiqué de manière analytique et documentée sur le bilan des sommes déversées par l’« International » dans le système éducatif haïtien… Un constat objectif doit dès lors être mis en lumière : de son premier passage à la direction du ministère de l’Éducation nationale jusqu’à sa seconde nomination en novembre 2022, l’ancien ministre de facto n’a fourni aucun bilan public comprenant des réponses documentées aux questions majeures que nous venons d’évoquer. Et puisque le cartel politico-mafieux du PHTK a démantibulé les institutions de l’État et que le Parlement a été atrophié et rendu caduc faute d’élections, l’ancien ministre de facto de l’Éducation, Nesmy Manigat, n’aurait de compte à rendre qu’à… lui-même, en toute impunité. En lien avec les incontournables questions que nous avons soulevées, ce qui s’apparente à un déni d’imputabilité de l’ancien ministre de l’Éducation nationale pourrait surprendre puisque celui-ci est familier des procédures administratives des grandes institutions internationales, y compris les audits comptables réalisés à la suite du décaissement des sommes annoncées. L’on a bien noté l’annonce datée du 21 février 2016 confirmant que « Le ministre de l’Éducation d’Haïti Nesmy Manigat vient d’être nommé à la présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement (GERF, du sigle anglais) au Partenariat mondial pour l’éducation » (source : site du Partenariat mondial pour l’éducation). Les protocoles de contrôle des financements décaissés seraient-ils « ignorés » ou « oubliés » dans le cas d’Haïti alors même que tout financement attribué au pays par l’International, en principe, doit faire l’objet d’un audit de contrôle de sa gestion financière ?Tel que nous l’avons exposé au début du présent article, l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien a encore un long chemin à parcourir, il est toujours lourdement handicapé et déficient, sous-outillé et effectué en ordre dispersé. Il est mis en œuvre en dehors des principes de LA politique linguistique éducative nationale que l’État haïtien tarde encore à adopter et, sur le registre des qualifications professionnelles, il est porté par des enseignants qui n’ont toujours reçu une formation spécialisée en didactique du créole langue maternelle. L’aménagement du créole est lourdement handicapé par le faible niveau de formation des enseignants et, à cet égard, il faut prendre toute la mesure que les universités haïtiennes ne proposent aucune formation spécialisée en didactique du créole langue maternelle. Enfin, au plan jurilinguistique, l’aménagement du créole ne bénéficie toujours pas d’une protection légale (voir l’excellente étude du juriste Alain Guillaume, « L’expression créole du droit : une voie pour la réduction de la fracture juridique en Haïti », Revue de linguistique appliquée, 2011/1, volume XVI).