« Si, par la simple force du nombre, une majorité pouvait priver une minorité d’un droit constitutionnel clairement défini, cela pourrait, au point de vue moral, justifier une révolution. »
(Abraham Lincoln, discours inaugural du 4 mars 1861)
« Les Blancs débarquent », dirait l’historien Roger Gaillard. En attendant, la barque de la société haïtienne continue à dériver vers les rapides d’un désastre politique, d’une catastrophe économique et d’une péripétie financière avec des conséquences, – quoique prévisibles –, difficilement réparables. Le choc engendrera un niveau de destruction physique et de dérangement psychologique cent fois supérieur aux malheurs et aux détresses provoqués par le séisme du 12 janvier 2010, où plus de 300 000 mille compatriotes furent écrasés et ensevelis sous des blocs de béton armé. Nous ne sommes pas des prophètes de fatalité. Certains d’entre vous qui lirez ce texte réagiront probablement comme les individus qui se moquaient des avertissements prophétiques de Noé, le personnage de l’Ancien Testament. Et pourtant, le déluge arriva. Selon la légende, le récit hagiographique, les «Thomas » furent tous noyés sous les eaux de la colère et de la malédiction des cieux. Il y a toujours un prix amer à payer pour l’incrédulité.
Nous n’écrivons pas dans le but de flatter l’orgueil des seigneurs du royaume de l’impérialisme. Nous n’avons pas peur de pointer et de citer nommément le « Diable » et ses valets. Car peu importe ce que vous aurez dit, peu importe ce que vous aurez fait, ils vous mangeront. Nous menons ouvertement, librement, depuis des décennies, une lutte farouche contre toutes les figures sataniques du « patronat globalisé » qui exploite la force de travail de la classe ouvrière pour quelques petits poissons des chenaux. Nous livrons un combat légitime, idéologique, rationnel et responsable contre les États hégémoniques qui condamnent les appauvris de la planète à mourir sur la croix de l’esclavagisme moderne. Les « ennemis » des « misérabilisés » demeurent nos « ennemis ». Les « Donald Trump, les « Elon Musk » qui torturent les « populations de l’indigence » pour un morceau de pain et une petite boîte de sardine ne méritent aucun signe de respect. Ils font partie des « goujats du Capital ».
Beaucoup de médias parlés, écrits et télévisés se sont révélé des handicaps pour l’avancement de la lutte des masses. Le journalisme relève avant tout d’un engagement vocationnel. Pas seulement un moyen, parmi tant d’autres, qui permet de casser la croûte. Les individus qui exercent la profession journalistique ont choisi de défendre le Droit, la Vérité et la Justice. Mais pas la Loi qui émane des Parlements contaminés par les germes de la corruption… Les sénateurs et les députés « nommés » par le système néocolonialiste font partie d’une « pègre » politique inféodée à la mafia internationale. Ils doivent être dénoncés, combattus et châtiés par le Souverain. Les discours qui motorisent leurs prises de position antinationale les trahissent toujours. Ils doivent répondre de leurs crimes de lèse-patrie par devant le tribunal du peuple, avec les conséquences que leurs actes de haute trahison impliquent et requièrent.
Cette énonciation nous renvoie au film western « Pas de pitié pour les salopards » du réalisateur italien Giorgio Stegani, sorti le 10 avril 1968. La Bible elle-même, n’indique-t-elle pas le traitement réservé aux « Ganelon », aux traîtres, aux despotes qui empoisonnent l’existence des populations honnêtes, qui détruisent les familles qui sèment sur leur passage le deuil, la désolation, la misère, le chômage, l’exode, la prostitution, le népotisme, l’analphabétisme, le gangstérisme, le banditisme…
Sur la rue Papineau, à Montréal, cette inscription lumineuse, tout à fait bizarre, surplombe le mur de la façade d’un temple chrétien : « Le salaire de ton Péché, c’est l’Enfer. » L’impact est instantané. Beaucoup de passants témoignent des frissons de frayeur qui les ont traversés au moment de lire ce message froid, cinglant et bouleversant. Les Écritures [1] disent précisément : « Le salaire du péché, c’est la mort.» À chacun donc selon ses œuvres. Et dans l’Apocalypse 21:8 : « …Pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers…et tous les menteurs, leur part sera dans l’étang ardent de feu et de souffre, ce qui est la seconde mort. »
Le jour de la « Libération » des populations marginalisées ne sera-t-il pas également le commencement de la tribulation des malfaiteurs et des bouchers? Au moment des événements du 7 février 1986 en Haïti, la télévision retransmettait les images d’un « Luc Désir » qui tremblotait comme un chat mouillé dans les bras de son épouse. Le « tigre » féroce avait perdu ses crocs et ses griffes sous la fureur dévorante de la populace. Il implorait la pitié des manifestants coléreux, alors que lui-même n’en avait jamais ressenti pour les malheureuses et innocentes victimes qu’il torturait dans les cellules souterraines des casernes Dessalines. L’existence humaine n’est pas un chemin à sens unique. Toute chose a son contraire, pour se souvenir d’Héraclite.
La crise qui déstabilise les compartiments institutionnels de la société haïtienne ne se règlera pas dans les « manifestations autorisées et pacifiques ». Il faut un « mouvement solide de désobéissance civile généralisé » qui soit capable de faire trembler les crocodiles qui écorchent les masses populaires et qui dégraissent les trésors de l’État. Nous parlons de ces femmes et de ces hommes à la rhétorique captieuse, et qui servent de valets, de palefreniers aux écuries du colonialisme et de la colonialité.

Le peuple souverain n’a pas besoin d’obtenir l’aval des politiciens véreux pour exercer ses droits à l’insurrection. Il doit encombrer la vie nationale, bloquer l’Administration publique, barricader les routes et les ponts, fermer les villes, paralyser les aéroports – et faire encore plus, s’il le faut – pour exiger le respect plein et entier de ses Libertés et de ses Droits citoyens.
Alfredo Mendizabal explique : « Les droits de l’homme sont nés, en tant qu’affirmation des conditions vitales de la dignité personnelle, à l’ombre de la doctrine du Droit naturel […] Puisque le droit subjectif doit se fonder sur une norme objective qui lui fournisse la validité indispensable, ces droits que l’on nomme traditionnellement « naturels », inaliénables, imprescriptibles, apparaissent légitimes par un Droit « naturel » aussi, indépendant des volontés humaines qui l’établissent et l’imposant à tous, bon gré, mal gré. Il est supérieur et antérieur à l’État, à l’autorité, au Parlement; il est indépendant des décisions humaines, parce que directement fondé sur la Justice, source de tout Droit. »
Dès le XVIe siècle, Francisco de Vitoria, juriste, philosophe et théologien, soutenait la thèse des « Droits populaires ». Et il y a un aspect de l’ensemble de ses réflexions philosophiques qui doit retenir particulièrement l’attention des lecteurs et des critiques. Nous l’exprimons tel qu’il est rapporté dans l’étude sur les droits des gens de Mendizabal publiée dans « Les doctrines politiques modernes » : « Aucun homme ne possède en vertu du droit naturel le pouvoir d’imposer des lois aux autres car l’homme est naturellement libre… »
En clair, aucun régime gouvernemental ne saurait évoquer des articles confus d’une constitution en vigueur dans un pays sous l’emprise du capitalisme pour réprimer les libertés fondamentales, essentielles des citoyennes et des citoyens. Les États impérialistes rédigent et ratifient des textes de loi qui protègent les intérêts des puissances dominantes et les biens mal acquis des « pseudo-bourgeois » kleptomanes.
Quelle idée pour un peuple comme le nôtre – qui souffre de toutes les privations comptabilisées dans le registre de la misérabilité – d’aller supplier un corps de police corrompu aux ordres des États-Unis, de la France, du Canada… et au service d’une équipe de trafiquants locaux de stupéfiants, pour obtenir l’autorisation de revendiquer dans la rue ses droits à la nourriture, à l’emploi, à un logement décent, à l’instruction, au transport, aux loisirs, à la sécurité, à la paix, à l’habillement…?
Le peuple haïtien doit décider par et pour lui-même à quel moment il veut perturber le fonctionnement du gouvernement des pilleurs de tombes et des profanateurs de cadavres pour faire entendre sa voix et pour imposer sa Loi qui découle da la « raison du plus fort ». La plaisanterie n’a-t-elle pas trop duré ? Il est temps d’en finir une fois pour toutes avec ce système de monstruosité politique bicéphale. Pour aller à Rome, les compatriotes peuvent emprunter des chemins plus sûrs, des voies moins pénibles, des chemins plus encourageants, des sentiers moins périlleux. Avec des pilotes plus sincères. Des guides moins hypocrites. En attendant qu’un « pouvoir révolutionnaire » s’installe en Haïti, les couches désœuvrées de la population n’auraient-elles pas besoin d’être soutenues, d’être prises en charge par un « mouvement de résistance organisé à la Robin des Bois »? De ce fait, il resterait à dénicher une « forêt de Sherwood », et à bien identifier les « Shérifs de Nottingham » qui doivent être harcelés.
Les bureaux du palais national transpirent le banditisme et l’amateurisme. La présidence est composée d’une horde de brigands, de forbans malhabiles, qui savent comment voler, mais qui ignorent comment brouiller les pistes. Ces prédateurs ne sont jamais parvenus à effacer leurs empreintes sur les lieux des rapines, des vols, des pillages et des concussions. Ils y laissent toujours des traces visibles à l’œil nu.
La soi-disant « élite intellectuelle » de la république d’Haïti, vantarde et orgueilleuse comme Narcisse, montre qu’elle reste le produit d’un « savoir inopérant ». Elle est dépassée par les méthodes et les théories à partir desquelles se posent les équations des enjeux politiques et économiques sur le tableau de la mondialisation. Cependant, nous croyons qu’il est venu le temps pour les Haïtiens de se regarder en face, s’ils veulent toutefois éviter le risque de disparaître comme certaines villes anciennes, dont Sodome et Gomorrhe, Pompéi… Ou certaines civilisations, telles que celles des Mycéniens en Grèce continentale, des Mayas du Mexique en Amérique… Elles sont disparues, ces cités et ces civilisations, pour de multiples raisons. Entre autres : Changements environnementaux, guerres, catastrophes naturelles, viroses ou maladies virales…
Aujourd’hui, fait étonnant, paradoxal, des virus révélés dangereux pour la santé humaine sont reconstitués, créés même dans les laboratoires des grands instituts de recherche médicale qui utilisent des technologies sophistiquées. Car les guerres se font secrètement et se gagnent aussi avec des armes bactériologiques. Peut-être que les germes du choléra distribués en Haïti par la Minustah, qui ont fait un nombre considérable, incalculable de « victimes muettes » dans les villes et les campagnes, ont des « raisons que la raison ne connaît point ».
Une source de haine intarissable
La République d’Haïti naquit, il y a un peu plus de deux cents ans, par ce que nous appellerions « nécessité de survivance historique ». Après avoir vaincu les esclavagistes européens, les Africains n’avaient pas les moyens de retourner sur leur continent d’origine. Pour survivre à partir de 1804, il avait fallu qu’ils eussent fondé une nation implantée dans une nouvelle patrie et qui eût réussi à codifier le fonctionnement d’un type d’État souverain et indépendant reconnu sur le plan mondial. Ce que firent – de peine et de misère – les héros indigènes qui avaient combattu à Vertières. Voici comment le dictionnaire de politique définit une nation : « Une communauté humaine ayant conscience d’être unie par une identité historique, culturelle, linguistique ou religieuse. En tant qu’entité politique, la nation, qui est un concept né de la construction des grands États européens, est une communauté caractérisée par un territoire propre, organisé en État. Elle est la personne juridique constituée des personnes régies par une même constitution… »
Après trois siècles de servitude coloniale, les premiers habitants de l’île, les Indiens, ayant été décimés par les colons espagnols, les déportés de l’Afrique devinrent en toute logique les héritiers naturels des terres sur lesquelles ils avaient été exploités, maltraités, assassinés, humiliés, martyrisés… Les colons ne le perçurent pas de cette façon. Leurs descendants également. À leurs yeux, dans leur conception de colonisateurs directs ou par filiation, cet acte d’appropriation territoriale est scellé d’illégitimité et d’illégalité. Car Saint-Domingue, rebaptisé Ayiti, devrait – comme Martinique, Guyane, Guadeloupe – figurer sur la liste des territoires français d’outre-mer.
Cette camarilla occidentale, de 1804 à nos jours, n’a jamais arrêté d’inventer des complots, de multiplier des menaces, de créer des cellules intra et extra-environnementales de déstabilisation politique et sociale pour contrefaire et anéantir les moindres élans d’Haïti vers une possibilité de développement économique et de régulation financière. L’histoire nous apprend que les États-Unis ont appuyé la France dans tous ses projets de reconquérir cet endroit qui reste et demeure pour eux Saint-Domingue, la colonie riche et prospère qui a enrichi les « royaumes des brigands » dirigés par des « Princes débauchés », des « Attila » sans âme et sans conscience, des « fléaux de Dieu » qui copulent avec « Satan ». Et qui sacrifient la jeunesse naïve et innocente sur les champs de bataille – comme on le voit encore aujourd’hui – pour la gloire et le triomphe de l’impérialisme et de la théocratie apocalyptique.
Avec le temps et la sagesse conférée par la maïeutique, nous sommes parvenus à comprendre que les pays du G7 – les va-t-en-guerre farouches, qui ont mal lu Nostradamus, même la Bible et le Coran – nourrissent le dessein diabolique qui devra tôt ou tard provoquer le phénomène de « désétatisation » de la République d’Haïti. Et ce qu’il faut souligner, le processus a démarré longtemps déjà, avec la collaboration traîtresse des bourgeois compradores, des politiciens indigènes déloyaux, des pseudo-élus qui se comportent comme des agents aveugles de la CIA, de la DGSE, de la GRC, du MI5 ou MI6, et enfin avec la connivence de tous les « apatriotes » irréductibles qui vivent et s’enrichissent aux dépens des couches sociales misérabilisées.
Les dirigeants des « mouvements de défense de droits humains », opérant en Haïti ou dans la diaspora, ne font-ils pas aussi partie du lot des « vichystes » de Philippe Pétain qui trahissent et salissent la mémoire de nos martyrs? D’ailleurs, les Conzé – installés aux États-Unis et au Canada aux frais de la CIA, du FBI ou de la GRC – ne se contentent que de rédiger des communiqués laconiques, superficiels, sans conviction patriotique, sans engagement idéologique… dans un langage bancal, pauvre, argotique et démagogique. Leur vrai rôle consiste à saboter les circuits sociopolitiques qui pourraient déclencher le processus d’une « Révolution » nationale ou mondiale.
Les États dominants ont juré sur la tête de leurs peuples de reprendre ou de détruire les pays comme Haïti, Cuba, Algérie, Venezuela, Palestine, Burkina Faso, Mali, Niger, Iran, Nicaragua… et tous les autre États qui ont résisté, lutté et triomphé du néocolonialisme. Les esclavagistes ne se sont jamais remis de leur déroute. Ils sont orgueilleux, rancuniers et vindicatifs.
Il ne faut pas oublier comment les sionistes – avec l’appui de l’ONU – ont donné naissance à l’ « État israélien » sur les terres de la Palestine. Venus de partout, après la Shoah [2], guidés par la conclusion du manifeste de Léon Pinsker [3], ils se sont mis à acquérir individuellement des vastes portions de terres, à des fins soi-disant agricoles. Ils les ont rassemblées. Unifiées. Transformées en villages. Élevées En villes. Puis constituées en pays.
Depuis quelques temps, il y a des étrangers qui achètent des terrains en Haïti. Les paysans ont faim. Ils liquident sans réfléchir leurs biens immobiliers, sous l’emprise, la complicité et l’incitation frauduleuse de l’État bourgeois. Les « spoliateurs classiques », travestis en « hommes d’affaires progressistes », en « coordonnateurs d’organismes de bienfaisance », en « guides spirituels de congrégations religieuses » ou en « paisibles retraités », utilisent le même stratagème en République dominicaine. À Cuba, cela a pris une « Révolution » anticapitaliste pour chasser les « envahisseurs étasuniens » et récupérer les 80% des terres agricoles que ces derniers occupaient, et sur lesquelles suaient sang et eau 1 million 400 mille travailleurs, tous des campesinos très mal rémunérés. Et encore, disons-le, grâce aux mesures politiques adoptées par l’État socialiste en matière de « nationalisation » ou « déprivatisation » de la propriété.
Les « amis hypocrites » d’Haïti – contrairement à ceux de la Société des amis des Noirs de Brissot, Abbé Grégoire, Mirabeau, Clavière, fondés en1788 pour défendre les droits imprescriptibles des esclaves – finiront-ils un jour de la détruire avec les bigarrures d’un « misérabilisme » qu’ils imputeraient – pour s’en laver les mains comme Ponce Pilate – à la fatalité divine ou à l’eschatologie ?
Rappelons en passant que les notions de « misérabilisme » et de « populisme [4] » – dans un tout autre registre – sont scientifiquement traitées par les sociologues Passeron, Grignon, Chambers, Sardan…
Honnêtement, il faut reconnaître que le processus de dépérissement de la République d’Haïti paraisse irréversible. C’est « l’abomination de la désolation », comme diraient Bossuet ou Voltaire, que l’on observe, depuis le premier jour de l’occupation d’Haïti par les Yankees, dans le périmètre des épopées historiques – quoique sacré – de ce peuple martyr.
Cette situation de déprime collective ne semble pas du tout interpeler la conscience de la soi-disant « élite intellectuelle » et du troupeau de « politiciens prostitués » qui ont transformé respectivement leur « savoir » et leur « pouvoir » en source de corruption et de badinage, alors que l’avenir ostensiblement problématique des masses devrait susciter un grand débat de société. Certains parleraient même, sans se faire blâmer, de l’existence d’un phénomène de « décrue de l’intelligence » actuellement en Haïti.
Écrire ne peut pas sauver les « misérables ». Mais il permet au moins de dénoncer le fait, ou de prendre acte qu’il existe sur la terre des individus sans visage et sans nom qui sont totalement méprisés par les « princes », oubliés et abandonnés par les « dieux ». Les citoyennes et les citoyens lucides, raisonnables ont donc la « responsabilité d’agir ».
Robert Lodimus
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Références
[1] Romains 6 :23.
[2] Shoah, l’extermination des Juifs par l’Allemagne d’Hitler.
[3] Léon Pinsker, Autoémancipation, 1882.
[4] Jean-Claude Passeron et Claude Grignon, Le Savant et le Populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Éditions Seuil, 1989.