Il y a des phrases qui semblent inoffensives, même nobles. Des paroles dites avec le sourire, pleines de bonne volonté. En Haïti, nous les répétons souvent sans malice, convaincus de soutenir nos jeunes qui se lancent dans de petites affaires.
Mais derrière ces phrases, se cache un poison invisible qui ronge, peu à peu, l’esprit d’entreprendre.
Cette phrase, vous la connaissez :
- “Je n’ai pas besoin de ton produit, c’est juste pour t’encourager.”
Ou encore :
- “Si j’avais de l’argent, je t’aurais donné quelque chose, juste pour t’aider.”
Cela paraît généreux. Mais qu’entend réellement le jeune qui essaie de bâtir son avenir ?
Il comprend que son commerce n’est pas un vrai commerce.
Que ce qu’il fait n’est pas un service utile, mais une façon de “se débrouiller”.
Que commencer petit, c’est synonyme de misère. Que commencer petit, c’est synonyme d’avoir des problèmes économiques.
Et ainsi, des centaines de rêves s’éteignent avant même d’avoir eu la chance de grandir.
L’entrepreneuriat, ce n’est pas de la débrouillardise.
Entreprendre, c’est identifier un besoin.
C’est apporter une solution.
C’est transformer une idée en valeur, en emploi, en dignité.
Pourtant, chez nous, dès que quelqu’un démarre un petit commerce, nous lui collons trop vite une étiquette : “Li ap débwouye”.
Comme si commencer petit n’était qu’un signe de pauvreté. Comme si vendre un produit ou lancer un service signifiait automatiquement qu’on est en difficulté économique.
Le résultat ?
Des jeunes qui avaient tout pour devenir de vrais bâtisseurs abandonnent leur idée. Ils arrêtent leur commerce dès qu’ils trouvent un emploi stable, même si ce travail n’est pas leur passion, parce que la société leur a fait comprendre que “petit commerce” est synonyme de misère.
Et pire encore : certains quittent le pays pour faire des travaux pénibles à l’étranger – des travaux qu’ils n’auraient jamais choisis par vocation – simplement parce qu’ici, on a tué leur rêve en traitant leur initiative de “débrouillardise”.
Chaque grand entrepreneur que vous admirez, chaque entreprise qui fait tourner une économie, a pourtant commencé petit. Une simple étincelle. Un petit commerce. Un produit modeste.
Mais si nous continuons à répéter que ces initiatives sont juste des “moyens de survie”, comment espérer bâtir une nation qui croit en la valeur de ses propres créations ?
Changer une phrase, changer un destin.
Au lieu de dire :
❌ “Je n’ai pas besoin de ce produit, mais je l’achète pour t’encourager.”
Essayons plutôt :
✅ “Ton initiative est belle, continue !”
✅ “Je n’ai pas besoin de ce produit aujourd’hui, mais je garde ton contact.”
✅ “Ton produit m’intéresse, mais je ne peux pas payer maintenant : peux-tu passer demain ?”
✅ “Et si je mettais 500 dollars comme investissement, quel retour cela pourrait-il me donner ?”
Ces paroles ne coûtent rien, mais elles construisent. Elles valorisent. Elles montrent que nous voyons en ce jeune non pas un “débrouillard”, mais un entrepreneur en devenir.
Le véritable soutien.
Encourager ne veut pas dire “acheter pour aider”.
Encourager, c’est reconnaître la valeur.
C’est poser des questions, donner un avis sincère, proposer des idées, parfois même investir.
C’est rappeler à ce jeune que son produit n’est pas un acte de charité, mais une réponse à un besoin réel.
Et surtout, c’est comprendre que commencer petit ne veut pas dire être petit d’esprit. C’est le chemin naturel de toute grande aventure.
Chaque fois que nous changeons nos mots, nous semons une graine dans l’esprit d’un futur entrepreneur.
Un défi pour chacun de nous.
La prochaine fois qu’un jeune vous présente un produit ou un service, relevez ce défi :
- Ne l’achetez pas pour “l’encourager”. Achetez-le parce que vous en voyez la valeur.
- Et si vous ne pouvez pas acheter, offrez un mot qui construit : “Continue, le pays a besoin de ton idée.”
- Plutôt que de donner de l’argent comme une aumône, demandez-vous : et si c’était un investissement ?
Imaginez un instant : si chacun de nous changeait une seule phrase, combien d’esprits entreprenants seraient libérés ? Combien de petites entreprises naîtraient et grandiraient ? Combien de rêves deviendraient des réalités solides pour notre pays ?
L’avenir d’Haïti ne se construit pas par charité. Il se construit par la valeur que nous donnons aux idées, aux initiatives et au courage de commencer, même petit.
Alors, la prochaine fois que vous verrez un jeune entreprendre… souvenez-vous : vos mots peuvent tuer son rêve, ou l’élever. À vous de choisir.
Ralf Dieudonné JN MARY
L’avenir d’Haïti ne se construit pas par charité. Il se construit par la valeur que nous donnons aux idées, aux initiatives et au courage de commencer, même petit.