Par Ralf Dieudonné JN MARY
C’était un de ces jours où l’espoir se faisait discret, caché derrière les difficultés du quotidien. Pourtant, à Delmas, sous le ciel lourd de la région métropolitaine de Port-au-Prince, une lumière venait percer l’obscurité : celle d’un homme fidèle à sa vocation, d’une association qui tient bon, et de quelques compatriotes qui comprennent ce que doit signifier être reconnaissant, être solidaire.
Cet homme, c’est Ruben Sanon, ingénieur civil, fondateur d’ETECH (En Route Vers la Technique). Un homme dont le parcours témoigne d’une vision : reconnaître et promouvoir les métiers techniques et manuels, souvent sous-estimés dans nos sociétés, mais absolument essentiels pour bâtir un pays.
Un rêve incarné : ETECH, le service, la valorisation, la persévérance.
Ruben Sanon croit que reconstruire Haïti ne passe pas uniquement par les grands discours, mais par le toucher, la compétence, l’outil, le métier. Par ce respect du concret, du savoir-faire. Avec ETECH, son association, il œuvre depuis des années à valoriser ces métiers : maçonnerie, soudure, menuiserie, réparation, artisanat. Il rappelle à tous que ces savoirs sont dignes, utiles, vitaux.
Chaque année, ETECH organise la cérémonie « Honneur et Mérite », un moment de reconnaissance pour celles et ceux qui font œuvre utile, qui donnent, souvent silencieusement, au pays. C’est magnifique mais ce n’est pas facile. Beaucoup ne viennent pas, nombreux sont ceux qui restent dans l’ombre. Pourtant, la mission est lourde : rappeler à tous que faire, servir, bâtir, mérite reconnaissance.
Honorer, malgré tout.
Le 20 juin 2025, dans la commune de Delmas, s’est tenue la 12e édition de la cérémonie « Honneur et Mérite » d’ETECH. Ruben Sanon, président de l’association, est monté sur scène, non pas pour un discours de fierté vaine, mais pour appeler à la responsabilité collective : valoriser ce qui se fait chez nous, encourager ceux qui avancent, donner des exemples vivants.
Parmi les personnalités décorées, trois noms se détachent, non seulement pour ce qu’ils ont accompli, mais pour ce qu’ils symbolisent :
Jean-Robert Argant, coordonnateur national du Collectif 4 Décembre, homme d’actions publiques, engagé dans la défense des droits économiques, dans la transparence, dans l’industrialisation locale, dans la promotion des entreprises nationales.
Romanes Samedi, animateur célèbre de l’émission Booster, voix influente dans les médias, un visage de la jeunesse et de l’analyse, qui utilise son micro pour éclairer, interroger, inspirer.
Ernest Camille, directeur général de “ Kòniyon FM “, un acteur des médias locaux, un espace de parole qui permet à la communauté de se faire entendre, de réfléchir, d’espérer.
Ces trois-là (et d’autres) ont répondu présents. Ils ont accepté l’honneur. Ils ont marché vers la scène non pas pour être vus, mais pour montrer que l’honneur peut et doit être partagé, que la reconnaissance n’est pas un luxe, mais une nécessité pour bâtir la dignité collective.
Le miroir de nos manquements : pourquoi ne pas soutenir ce qui vient de nous ?
Je pense à ce moment où, malgré l’invitation, beaucoup des personnes que Ruben Sanon voulait honorer ne sont pas venues. L’absence était un silence criant. Un signe que chez nous, en Haïti, souvent, faire par nous-mêmes, pour nos frères et sœurs, n’attire pas toujours le soutien. On attend la nouveauté, l’étranger, le projet qui paraît prestigieux. On doute du local. On sous-estime ceux qui essaient.
Mais ce jour-là, Ruben Sanon n’a pas renvoyé la rencontre. Il n’a pas annulé, il n’a pas changé le discours. Il s’est tenu debout, avec fierté. Et il a honoré le peu de personnes qui s’étaient présentées. Parce que l’honneur n’a pas besoin d’une foule ; il a besoin de constance.
Un appel à tous les Haïtiens : pour la reconnaissance, pour le futur.
Haïtiens, je vous appelle à regarder autour de vous. À voir les Ruben, les Romanes, les Jean-Robert, les Ernest. Ces personnes qui ne sont pas là pour l’éclat personnel, mais pour servir la communauté, pour rappeler que bâtir est un acte d’amour.
Soutenir ce qui se fait chez nous, c’est plus qu’applaudir. C’est participer : être présent quand on invite, écouter quand ils parlent, relayer quand ils agissent, croire que notre pays a besoin, en priorité, de ses propres artisans, de ses propres bâtisseurs, de sa technicité locale.
À Ruben Sanon, honneur bien mérité.
Ruben, vous êtes une lumière sur les bancs souvent sombres de nos difficultés. Votre engagement, votre audace, votre persévérance résonnent comme un exemple. Ce que vous faites avec ETECH n’est pas juste un projet : c’est un legs, une main tendue, une voix qui dit que le possible existe, même en surmontant l’adversité.
Que cette reconnaissance que vous recevez soit le début de beaucoup d’autres. Que votre œuvre force l’admiration, la générosité, la solidarité. Que davantage de jeunes choisissent les métiers techniques non pas faute d’option, mais parce qu’ils y voient une voie d’honneur, une voie de confiance.
En hommage à ceux qui étaient là : valeur d’une valeur.
À Jean-Robert Argant, Romanes Samedi, Ernest Camille, et tous ceux qui ont accepté l’honneur : merci. Vous avez compris ce que peu comprennent, que l’honneur ne se gagne pas seulement sous les acclamations, mais dans l’essentiel. Vous avez prouvé que, quand on aime sa communauté, on répond présent. Vous avez donné à voir que la présence, le soutien, la dignité sont liés.
Dans un pays où trop souvent on attend le regard extérieur pour confirmer la valeur, Ruben Sanon et ETECH rappellent que le regard le plus important est souvent le nôtre : celui de notre famille, de notre communauté, de notre peuple.
Que chacun de nous soit ce pont fier, ce spectateur attentif, ce défenseur du local. Que chacun de nous apprenne à voir, applaudir, encourager, reconnaître. Car c’est dans ces gestes modestes, mais constants, que se forge un avenir digne.
Ralf Dieudonné JN MARY
Auteur, conférencier, mentor et enseignant Haïtien.