Alors que de nombreuses diasporas à travers le monde investissent dans des infrastructures commerciales d’envergure — centres commerciaux, zones industrielles, pôles économiques — la diaspora haïtienne, pourtant puissante financièrement, demeure étonnamment absente de ce type de projets structurants en Haïti, notamment au Cap-Haïtien, deuxième ville du pays et capitale économique potentielle du Nord.
La question mérite d’être posée sans détour : pourquoi la diaspora haïtienne n’ose-t-elle pas penser grand chez elle ?
Une diaspora riche, mais frileuse
Chaque année, la diaspora haïtienne transfère plusieurs milliards de dollars vers Haïti. Cet argent fait vivre l’économie nationale, soutient des familles, finance des constructions individuelles et alimente le commerce informel. Mais il est rarement orienté vers des investissements collectifs capables de créer une valeur durable et des milliers d’emplois.
Il ne s’agit donc pas d’un problème de moyens, mais bien d’un problème de vision et de confiance. La peur de la corruption, l’insécurité juridique, l’instabilité politique et l’absence de garanties institutionnelles découragent les initiatives ambitieuses. Pourtant, d’autres peuples confrontés à des défis similaires ont su transformer leur diaspora en véritable moteur de développement.
Le Cap-Haïtien : une opportunité ignorée
Le Cap-Haïtien possède tous les atouts pour accueillir un grand centre commercial moderne : une position géographique stratégique, un fort potentiel touristique, une population jeune et un marché régional largement sous-exploité. Un mall au Cap-Haïtien permettrait :
- la création de milliers d’emplois directs et indirects ;
- la structuration du commerce local ;
- l’émergence d’une classe moyenne investisseuse ;
- l’attraction de marques nationales et régionales ;
- la génération de richesse pour des actionnaires haïtiens.
Un tel projet ne peut évidemment pas être porté par un seul individu. Il exige une logique d’actionnariat, de mutualisation des capitaux et de gouvernance professionnelle, encore trop rare dans la culture économique haïtienne.
Le blocage mental : l’ennemi invisible
La diaspora haïtienne investit, oui — mais souvent ailleurs. Aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine ou au Chili, des Haïtiens sont propriétaires de malls, de plazas commerciales et de grandes entreprises. La différence n’est pas l’argent, mais le cadre et l’état d’esprit.
En Haïti, nous avons développé une culture du prétexte : attendre la sécurité parfaite, l’État idéal, les conditions absolues. Or, aucun pays ne s’est développé dans le confort de l’attente. Le développement est toujours le résultat d’une prise de risque calculée, collective et visionnaire.
Le rôle indispensable de l’État et des collectivités
Un projet de cette envergure nécessite un partenariat public-privé sérieux. L’État central et la mairie du Cap-Haïtien devraient notamment :
- sécuriser le foncier ;
- offrir des incitations fiscales ;
- garantir un minimum de sécurité ;
- accompagner techniquement les investisseurs.
Sans un État facilitateur, la diaspora restera spectatrice. Mais sans une diaspora audacieuse, l’État restera impuissant.
Assumer notre part de responsabilité
Nous ne pouvons pas éternellement accuser l’État, la conjoncture ou l’insécurité pour justifier notre immobilisme collectif. Le développement commence toujours par une minorité consciente qui décide d’agir.
Construire un grand mall au Cap-Haïtien serait bien plus qu’un projet économique : ce serait un symbole de confiance en nous-mêmes, une fierté nationale, un acte de foi dans l’avenir.
Le pays ne se développera pas par miracle.
Il se développera lorsque ses propres citoyens, y compris ceux de la diaspora, décideront de faire la première part.
Alceus Dilson
Communicologue, juriste
???? Alceusdominique@gmail.com
