Par Patrick Prézeau Stephenson
La réunion était petite et discrète, derrière les vitres de l’hôtel Oasis à Pétion‑Ville, ce genre d’endroit où le pouvoir en Haïti tente parfois d’avoir l’air normal. Selon plusieurs témoignages, l’Organisation des États américains a rencontré hier cinq figures haïtiennes, pour la plupart issues du secteur de la santé. La salle était calme. Le pays, dehors, ne l’était pas. Et la question qui a circulé, dans les salons, sur WhatsApp et dans la rue, était vieille mais affûtée : au nom de qui parlent‑ils ?
Cette question n’a rien de mesquin ni de localiste. Elle touche à quelque chose de fondamental qui déforme la vie publique d’Haïti depuis des années : un entonnoir étroit d’interlocuteurs, sollicités encore et toujours pour parler au nom de la “société civile”, tandis que cette même société civile s’est morcelée en petits collectifs et cercles sectoriels — des groupuscules qui travaillent réellement, souvent en silo, rarement de concert. Les visages sont familiers, parfois très capables, souvent de bonne foi. Mais le chœur est mince, le mandat, lorsqu’il est revendiqué, demeure flou. Au bout du compte, une crise de légitimité se superpose à une crise de crédibilité, puis à une fatigue générale — et l’on a l’impression que les conversations sur Haïti tournent autour des mêmes personnes.
Mon projet — calme, obstiné, volontairement peu spectaculaire — essaie de répondre à cette question sans prétendre résoudre le reste. Je construis un répertoire public et vivant de personnalités haïtiennes crédibles, dans le pays et dans la diaspora, que chacun peut consulter et contester. Ce n’est pas une liste pour adouber une ligne politique ni une porte dérobée pour initiés. C’est une carte, tracée avec des preuves. L’objectif est simple à dire : quand des missions internationales arrivent, quand des bailleurs cherchent des partenaires, quand des journalistes veulent des sources au‑delà de leurs répertoires, quand des coalitions haïtiennes affirment “la société civile dit…”, elles disposent d’une base plus large, plus transparente, plus défendable.
Rien de mystique, donc, dans la façon dont on entre sur cette liste. Au fond, c’est l’exigence de “montrer son travail”. Une série de rapports que vous avez écrits et publiés ailleurs que sur une page Facebook personnelle. Une école qui a traversé les fermetures et a rouvert avec un plan ; pas une rumeur d’école, mais une école avec un emploi du temps et, idéalement, une lettre du ministère. Les liens institutionnels comptent non pour leur prestige, mais parce qu’ils se vérifient. Les prix et bourses comptent s’ils se confirment. Les mentions médiatiques aussi — à condition qu’il s’agisse de médias réputés. On ne confond pas volume et valeur.
Ce répertoire vise à élargir l’angle de vue, pas à figer un nouveau canon. Cela suppose d’aller au‑delà de Port‑au‑Prince et de son réflexe d’appeler les mêmes figures médiatisées. Cela suppose de chercher les agronomes qui réparent sols et réseaux d’eau après l’ouragan, les juristes qui libèrent discrètement des prévenus en détention provisoire, les agents de santé communautaires qui tiennent des cliniques mobiles, les éducateurs qui produisent des ressources ouvertes quand les écoles ferment, les passeurs culturels qui gardent vivante la mémoire locale. Cela veut dire identifier l’ingénieur de la diaspora qui documente ses micro‑réseaux électriques avec des partenaires haïtiens — pas seulement un post LinkedIn ; la responsable de coopérative artisanale qui peut montrer des états financiers audités ; la jeune organisatrice dont les archives radio et les relevés de réunion tiennent lieu de site web clinquant.
Quand une controverse touche un nom — et, en Haïti, c’est presque toujours le cas —, on documente, on ne tranche pas. Si une allégation sérieuse surgit dans des médias crédibles, nous résumons les faits et renvoyons aux sources. Nous indiquons le statut : allégation, enquête en cours, résolu, non établi. Il ne s’agit ni de blanchir ni de “cancel”. Il s’agit d’ajouter du contexte pour qu’un profil ne soit pas un communiqué, et qu’un murmure ne fasse pas office de verdict.
L’entrée n’est contrôlée par aucun guichet unique. Chacun peut proposer un nom, à condition de fournir au moins deux sources publiques indépendantes. Un petit comité neutre, tournant, vérifie l’essentiel — la nature des sources, l’équilibre des secteurs et des régions — et assigne un statut simple : candidat, vérifié, ressource (documenté, réactif, engagé). Chacun peut se retirer, demander correction ou mise à jour. Les changements sont consignés publiquement, en termes clairs. Rien n’est opaque.
Il ne s’agit pas de désigner des porte‑parole. Il s’agit de cartographier le paysage, pour qu’on ne confonde plus l’expertise de cinq acteurs de la santé reçus par une organisation internationale avec un mandat national. Le répertoire facilite les bonnes questions : qui viendrait contrebalancer cette table ? Qui, de l’agriculture ou de l’éducation, de la justice locale ou du commerce, de la culture ou des municipalités, devrait aussi y siéger ? Il rend plus difficile la vieille excuse — “nous n’avons trouvé personne” — qui signifie trop souvent “nous n’avons pas cherché”.
La praticité compte, maintenant. Les acteurs internationaux — la CARICOM, l’OEA, des agences onusiennes, de grands bailleurs — continueront de convoquer, avec ou sans un large éventail de voix haïtiennes. Les coalitions haïtiennes continueront d’émerger, souvent avec une énergie impressionnante, parfois avec des agendas qui se chevauchent et des tactiques qui divergent. Une référence partagée et vérifiable est une petite chose aux effets disproportionnés : elle calme les débats sur qui est “vrai”, réduit l’alibi des salles étroites, et valorise le travail civique qui a rarement un micro.
Sur le papier, cela ressemble à une base de données. Dans la pratique, ce sont des portraits brefs. Il y a, dans le Sud, un agronome qui forme des paysans aux barrières de contour et à la restauration des sols, avec des comptes‑rendus de coopératives et des résultats saisonniers. Un directeur d’école dans l’Artibonite qui, pendant les fermetures à répétition, a assemblé des leçons de rattrapage adoptées par les écoles voisines ; il y a des lettres, pas des slogans. Une organisatrice de santé des femmes dans le Nord qui coordonne un réseau de cliniques mobiles et publie des plannings que chacun peut vérifier. Un mentor juge de paix dans le Centre qui suit les dossiers de détention provisoire, avec mémos et décisions à l’appui. Une association d’artisans à Port‑de‑Paix qui a stabilisé des revenus via une coopérative d’exportation, laissant des états financiers audités qui dissipent le scepticisme naturel. Un ingénieur de la diaspora qui a contribué à concevoir un micro‑réseau électrique et a ouvert sa documentation pour que d’autres puissent l’adapter ou la critiquer.
L’éthique n’est pas un appendice ; c’est l’ossature. Le répertoire n’est pas une liste politique, et il ne publie pas de coordonnées personnelles. Il ne prétend pas que la neutralité institutionnelle soit magique, mais il évite la capture par un seul camp. La rotation des relecteurs et la transparence des modifications relèvent de l’hygiène. L’équité territoriale est surveillée, car la gravité de Port‑au‑Prince est bien réelle. L’exercice n’est “radical” que d’une façon : il exige des preuves.
Rien de tout cela ne remplace des élections, ni la gouvernance, ni le travail patient de réparation de la confiance institutionnelle. Mais cela peut rendre l’engagement de bonne foi plus facile. Cela donne aux journalistes un point de départ plus large que leurs boîtes de réception. Aux bailleurs, davantage qu’une courte liste d’habitués. Aux coalitions haïtiennes, une base transparente lorsqu’elles affirment parler au nom de. Et à chacun — partisans, critiques, sceptiques — une manière de débattre sur le fond.
À l’Oasis, cinq personnes se sont exprimées. Elles sont peut‑être excellentes dans ce qu’elles font ; elles méritent peut‑être chacunes cette invitation. L’enjeu n’est pas de les disqualifier. Il est de démonter la fiction paresseuse selon laquelle elles, ou tout petit groupe similaire, résument la vie civique d’Haïti. Un répertoire ne tranchera pas chaque querelle de représentativité. Il n’abolira pas l’habitude des salles familières. Mais il peut rendre ces habitudes datées — et transformer la question “au nom de qui parlent‑ils ?” en un réflexe salutaire. Montrez le travail. Montrez les liens. Élargissez la table.
Si cela réussit, cela ne ressemblera pas à une brochure glacée. Ce sera plus simple et plus utile : un index fiable, facile à consulter et difficile à manipuler, qui grandit avec le temps, et qui tire sa force de ses preuves. Haïti n’a jamais manqué de talent ni de courage. Il lui a manqué une manière fiable de faire émerger et de relier celles et ceux qui les portent. La discipline d’abord. Les preuves, toujours.
Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com
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