8 octobre 2025
Haïti | Médiocrité, corruption et impunité : données structurelles du maintien au pouvoir ?
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Haïti | Médiocrité, corruption et impunité : données structurelles du maintien au pouvoir ?

L’Edito du Rezo

Dans les régimes parlementaires classiques, la responsabilité politique du chef de gouvernement n’est pas une abstraction mais une règle cardinale. En France, la Constitution de 1958 (art. 49) dispose qu’une simple motion de censure adoptée à l’Assemblée nationale entraîne la démission immédiate du Premier ministre et de son gouvernement. Cette mécanique traduit la nature révocable et conditionnelle de l’exécutif, tenu de répondre de ses actes devant la représentation nationale. Il serait inconcevable, dans un tel cadre, qu’un chef de gouvernement conserve ses fonctions après avoir admis avoir été averti d’une menace sécuritaire majeure sans avoir réagi. La sanction institutionnelle est immédiate, traduisant une conception exigeante de l’imputabilité politique.

Haïti, régie par la Constitution de 1987, connaît en principe une architecture similaire. L’article 129.1 stipule que « les ministres sont responsables, chacun en ce qui le concerne, des actes du gouvernement devant le Parlement ». L’article 129.2 va plus loin en prévoyant la possibilité de destitution pour faute grave ou incompétence. Pourtant, dans la pratique contemporaine, cette norme est demeurée lettre morte. Alix Didier Fils-Aimé se maintient à la Primature alors que Kenscoff est sous occupation des gangs depuis plus de sept mois. Plus encore, il a reconnu que la Primature avait été informée de l’imminence de l’invasion des jours avant qu’elle ne survienne. Dans un système institutionnel fonctionnel, un tel aveu aurait conduit à une motion de censure ou à une démission forcée. À Port-au-Prince, – Port-aux-Crimes avec son principal aéroport fermé vers le monde extérieur – il se dilue dans une tolérance institutionnalisée, comme si l’incompétence était neutralisée par l’absence de mécanismes effectifs de contrôle.

Cette dérive s’accentue lorsque l’on observe le rôle des partenaires internationaux. Le Core Group, constitué de représentants d’États et d’organisations multilatérales, exerce une influence décisive sur la vie politique haïtienne. Or, la France, membre de ce groupement, applique sur son propre territoire une logique de révocabilité rigoureuse, mais cautionne en Haïti la persistance d’un exécutif inerte, corrompu et décrié. Cette asymétrie révèle ce que certains juristes qualifient d’« exceptionnalisme normatif » : les standards de légitimité démocratique sont appliqués à géométrie variable selon le contexte géopolitique. La souveraineté haïtienne se trouve réduite à une fiction constitutionnelle, maintenue au prix d’un statu quo qui fragilise davantage l’État de droit.

L’impunité devient ainsi la véritable norme structurante du pouvoir. Là où ailleurs l’échec entraîne une sanction immédiate — démission, révocation parlementaire ou mise en accusation (cf. art. 186 de la Constitution haïtienne sur la Haute Cour de justice) —, il se transforme en Haïti en facteur de consolidation politique. La corruption fonctionne comme une immunité de fait : le contrôle des ressources publiques confère une protection qui supplante toute exigence de reddition de comptes. La gouvernance haïtienne ne relève plus du modèle constitutionnel prévu en 1987, mais d’un régime hybride où l’impunité et la médiocrité se confondent avec les conditions mêmes de survie au pouvoir. Reste à savoir s’il s’agit d’une pathologie temporaire liée à l’effondrement de la sécurité ou d’une caractéristique structurelle de l’ordre politique haïtien existant.

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