25 septembre 2025
Ils ont voulu changer le système, mais sont restés dans le passé
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Ils ont voulu changer le système, mais sont restés dans le passé

Pour une rupture créatrice en Haïti

Depuis plus d’un siècle, les dirigeants haïtiens qu’ils soient révolutionnaires, populistes, technocrates ou nationalistes ont promis le changement. Tous ont dénoncé un « système » corrompu, injuste, oligarchique. Mais aucun n’a véritablement réussi à en sortir. Pire encore, beaucoup d’entre eux, une fois parvenus au pouvoir, ont fini par le reproduire, l’alimenter, voire s’y confondre entièrement.

Pourquoi ? Parce que changer un système sans changer de modèle, c’est tourner en rond. Et parce qu’on ne défait pas un ordre ancien avec les outils qu’il a lui-même fabriqués. Frantz Fanon l’avait compris dès son époque :

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »
Le drame haïtien, c’est qu’à chaque génération, les élites ont hésité entre ces deux voies.

Les cercles vicieux du pouvoir

Au lieu de bâtir du neuf, nos dirigeants ont tenté de réparer l’ancien. Un système hérité de la colonisation, consolidé par la dictature, et entretenu par la dépendance à l’aide internationale. Mais une maison qui menace de s’écrouler ne se réforme pas : elle se reconstruit sur d’autres fondations.

Changer les hommes n’a jamais suffi. Car les règles du jeu restent les mêmes : centralisation excessive, clientélisme, corruption, absence de redevabilité. On a remplacé les visages, mais pas les pratiques. Le résultat ? Une alternance sans transformation.

Les promesses de changement se sont souvent limitées à des slogans. L’émotion a pris le pas sur la stratégie. Trop de leaders ont promis la rupture sans jamais construire de vision claire, inclusive et planifiée. Ils ont confondu popularité et projet, agitation et transformation.

Plus grave encore, une fois au pouvoir, ils se sont coupés du peuple. Ce peuple qu’ils avaient invoqué pour conquérir le pouvoir devient soudain un simple spectateur. Le pouvoir se referme sur lui-même : technocrates, consultants étrangers, bailleurs et élites locales dictent l’agenda, tandis que la majorité reste en marge.

Dans cette logique, la reconnaissance extérieure passe avant la légitimité intérieure. Plutôt que de parler au pays réel, on parle aux chancelleries, aux institutions financières, aux médias internationaux. Mais comme le rappelait Kwame Nkrumah :

« The independence of a nation is meaningless unless it is linked with the total liberation of its people. »

Imaginer un autre modèle

Il faut dire les choses avec clarté : le système actuel ne peut pas être réparé. Il faut oser en imaginer un autre. Non pas par romantisme révolutionnaire, mais par réalisme politique et éthique. Le modèle haïtien doit être repensé depuis ses fondations, selon nos réalités, nos besoins, notre mémoire, et nos aspirations.

Ce changement ne se décrète pas par une élection ou un décret. Il commence par un nouveau pacte moral et social. Avant tout projet institutionnel ou économique, Haïti a besoin d’un moment de lucidité collective : quel pays voulons-nous devenir ? Ce pacte doit reposer sur la dignité humaine, la justice sociale, la solidarité entre les classes et la souveraineté populaire.

La centralisation, longtemps considérée comme une garantie de cohésion, est devenue un facteur d’immobilisme. La reconstruction d’Haïti passera par la décentralisation effective du pouvoir. Les communes, les communautés, les coopératives, les écoles locales doivent devenir les vrais centres de gravité du changement. Le renouveau haïtien viendra par le bas, et non du sommet.

Les institutions devront être repensées pour écouter, corriger, rendre des comptes. Pas seulement fonctionner. Il faut refonder la justice, réinventer l’éducation, et redonner du sens à la gouvernance locale. Fanon écrivait :

« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. »
Offrir aux générations futures des institutions solides commence par un engagement total aujourd’hui.

Changer un système, c’est aussi changer les récits. L’imaginaire collectif haïtien a été blessé par des décennies de misère, d’humiliation et de défaites. Il faut en sortir. Enseigner une autre lecture de notre histoire : celle d’un peuple résilient, inventif, capable de renaissance. L’école, la culture, les arts, la spiritualité, les médias doivent redevenir des moteurs de transformation sociale.

Enfin, il faut construire une économie de proximité et de dignité. Une économie qui valorise l’agriculture paysanne, l’artisanat, les services locaux, les circuits courts, l’innovation technologique adaptée à nos contextes. Une économie populaire, solidaire et créative, qui libère les énergies plutôt que de les écraser.

La rupture comme acte de vie

On ne vaincra pas ce système en le combattant sur son propre terrain. Il faut lui retirer sa légitimité, lui ôter le pouvoir symbolique qu’on lui accorde encore. Cela ne se fait ni par le désespoir ni par la fuite, mais par l’action. Par la pensée. Par l’éducation. Par l’exemple. Comme le disait Fanon :

« Chaque peuple doit inventer ses propres moyens de s’émanciper. »

La renaissance d’Haïti ne viendra pas d’un changement de gouvernement, mais d’un changement de culture politique, économique et sociale. Un changement intérieur, profond, porté par un peuple debout, lucide, ancré dans sa dignité, et prêt à écrire une autre histoire.

Henry Beaucejour, MBA

Président de la chambre Haïtiano-Americain du commerce électronique 

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