7 octobre 2025
Haïti : Aéroport de la capitale fermé, exécutif en vadrouille
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Haïti : Aéroport de la capitale fermé, exécutif en vadrouille

L’Edito du Rezo

Gaspillage d’État, désobéissance constitutionnelle et diplomatie de pacotille. L’ouverture de l’aéroport de Port-au-Prince n’est pas pour demain. Mais pour combien de temps encore Haïti devra-t-elle supporter une équipe gouvernementale dont l’inaction n’égale que la dilapidation des fonds publics à travers des « voyages inutiles » ?

Tandis que les pistes de l’aéroport international de Port-au-Prince demeurent silencieuses, scellées dans une paralysie sans échéance connue — ni par l’Autorité aéroportuaire, ni par les instances de transition — l’exécutif, lui, s’active ailleurs : il déploie sa présence dans les salons diplomatiques étrangers, multipliant des déplacements officiels dont l’inanité n’a d’égal que le coût.

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Au sol, Haïti se consume. Sous les bâches effilées des camps improvisés, des centaines de milliers de déplacés survivent sans garantie ni secours. La Police nationale, privée de moyens, vacille sous le poids de l’insécurité généralisée, tandis que les infrastructures sanitaires, dépourvues de personnel qualifié et de fournitures essentielles, témoignent d’un effondrement systémique.

Et pourtant, c’est au nom de la réforme constitutionnelle que l’on justifie encore des missions à l’étranger. L’annonce, pour le 1er août 2025, du déplacement de M. Frinel Joseph au Canada afin de présenter l’avant-projet de Constitution à la diaspora haïtienne, s’inscrit dans cette logique de décrochage entre la symbolique institutionnelle et les urgences concrètes. Une diplomatie d’apparat, réduite à une mise en scène itinérante, prétend suppléer à une autorité qui peine à s’ériger dans la légalité comme dans la légitimité.

Dans un pays où tout s’effondre, pourquoi continuer à financer des tournées sans mandat et sans cap ? La question n’est plus simplement rhétorique : elle engage la responsabilité morale et politique de ceux qui, en lieu et place de la reconstruction nationale, persistent à mettre en scène leur propre fiction institutionnelle.

Cet éventuel déplacement, vivement dénoncé par Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), est officiellement justifié par le Ministère des Affaires étrangères comme une opération de « sensibilisation » destinée à la diaspora haïtienne. En réalité, il s’apparente à une dilapidation ostentatoire des deniers publics, destinée à conférer une légitimité illusoire à un texte constitutionnel dont la légalité, tant dans la forme que dans le fond, reste hautement contestée. Le Conseil présidentiel de transition (CPT) mobilise pour ce dessein près de 182 millions de gourdes allouées aux médias, dans un climat dépourvu de véritable débat démocratique, d’inclusion sociale authentique et de respect élémentaire du pluralisme.

La Commission de Venise du Conseil de l’Europe s’est montrée sans équivoque : une autorité dépourvue de mandat électif ne saurait organiser un référendum constitutionnel. Ce principe fondamental a été rappelé à l’attention de M. Frinel Joseph, conseiller-observateur, qui persiste, en guise de foi autoproclamée, à méconnaître l’essence même de la Loi fondamentale d’un État fragilisé. Tandis que les fondements de la légalité constitutionnelle sont foulés au pied, d’autres voix spirituelles — telles celles des révérends Malory, Gregory et Roche — s’élèvent en prières ferventes, accomplissant un jeûne de trois jours, implorant la délivrance d’Haïti des mains d’un pouvoir dénué de conscience.

Quelle dénomination attribuer à un exécutif qui engage des ressources publiques pour soutenir un projet rejeté par les acteurs sociaux et dépourvu de fondement juridique, tout en excluant toute consultation inclusive ? L’intégrité de la chose publique y trouve une atteinte grave ; la rigueur juridique, une méconnaissance patente. Le Comité de pilotage de la conférence nationale, institué en violation manifeste de l’accord du 3 avril, sous la présidence controversée de l’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles, illustre une nouvelle dérive institutionnelle. Pierre Espérance souligne à juste titre que confier la direction d’une initiative aussi décriée à un personnage au passé controversé équivaut à valider un dispositif entaché dès son origine.

Dans un contexte où les établissements scolaires ferment leurs portes, où le secteur hospitalier est à l’agonie et où des milliers de déplacés survivent dans des abris précaires, les déplacements de Frinel Joseph et les missions dites de « pédagogie constitutionnelle » relèvent davantage d’une fuite en avant que d’une stratégie étatique cohérente. Cette gouvernance, caractérisée par une dépense incontrôlée, un discours sans mandat légitime, et une imposition sans fondement démocratique, ne peut qu’aggraver la déliquescence nationale.

Haïti ne peut se satisfaire d’une consultation constitutionnelle de façade, orchestrée par une élite délégitimée et qui, sous le masque d’une prétendue légitimité morale ou religieuse, dissimule son absence criante de légitimité politique. La rigueur constitutionnelle, la refondation institutionnelle, l’instauration de la justice sociale et la reconstruction nationale doivent impérativement redevenir les fondements inaltérables de toute démarche politique digne de ce nom. S’écarter de ces exigences fondamentales ne conduira qu’à approfondir le fossé déjà béant entre l’État et la nation.

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