PORT-AU-PRINCE / SAINT-MARC — 2 décembre 2025.
Des attaques coordonnées menées par des groupes lourdement armés ont plongé l’Artibonite dans un chaos prolongé au cours du week-end. Des hommes, des femmes et des enfants ont été tués dans plusieurs localités, tandis que des habitations ont été incendiées, poussant des centaines de personnes à fuir vers la côte dans la nuit de dimanche.
Selon des appels d’urgence relayés par la Police nationale, près de la moitié du territoire de l’Artibonite serait désormais sous contrôle de groupes criminels. Les agressions ont notamment visé Bercy et Pont-Sondé, deux zones déjà fragilisées par plusieurs assauts récents.
L’un des syndicats de police, SPNH-17, a dénoncé sur X « la perte des deux plus grands départements du pays », qualifiant la situation de « plus grave faillite sécuritaire de l’histoire récente ».
La présence des unités spécialisées reste concentrée à Port-au-Prince, où opèrent déjà des contingents kenyans dans le cadre de la mission soutenue par les Nations unies.
Fuite vers Saint-Marc et colère populaire
À Pont-Sondé, le responsable local Guerby Siméus a confirmé une dizaine de morts, dont une mère et son enfant. Aucun renfort policier n’était encore arrivé lundi matin, tandis que les assaillants circulaient toujours dans la zone.
Les rescapés ont afflué vers Saint-Marc, où une foule exaspérée a exigé une réponse étatique effective. « Donnez-moi les armes, j’irai me battre », a déclaré un survivant, René Charles, illustrant le basculement croissant vers des formes d’autodéfense populaire.
Devant l’hôtel de ville, certains ont menacé de « faire justice eux-mêmes », estimant que les alertes formulées dès la semaine dernière n’avaient suscité aucune action gouvernementale.
Autodéfense, épuisement humanitaire et effondrement administratif
Le militant Charlesma Jean Marcos a rappelé que les habitants avaient prévenu les autorités de l’imminence d’une invasion criminelle. Selon lui, seuls les groupes d’autodéfense ont tenté de contenir les assaillants, malgré des moyens dérisoires.
Entre les personnes dormant à la belle étoile, les enfants séparés de leurs familles et la pénurie de nourriture, la pression humanitaire devient insoutenable. Plus de la moitié de la population haïtienne se trouve déjà en situation d’insécurité alimentaire grave, accentuée par les routes coupées et les déplacements massifs de population.
Gran Grif, un acteur criminel structurant
Les attaques de vendredi et samedi ont été attribuées au groupe Gran Grif, actif entre le Centre et l’Artibonite et responsable du massacre d’octobre 2024 à Pont-Sondé, qui avait fait plus de cent morts.
Des vidéos filmées en direct par les assaillants ont circulé sur les réseaux sociaux tout au long du week-end.
Le chef du gang, Luckson Elan, a récemment été sanctionné par le Conseil de sécurité de l’ONU et par les autorités américaines. Prophane Victor, ancien député accusé d’armer des jeunes dans la région, fait partie des figures politiques sanctionnées dans le même dossier.
Un rapport des Nations unies indique que les homicides ont plus que triplé dans l’Artibonite et le Centre en un an, passant de 419 victimes entre janvier et août 2024 à 1 303 sur la même période en 2025.
Une gouvernance silencieuse face à l’effondrement régional
Dans une réaction publiée sur X, Fritz Alphonse Jean, membre du Conseil présidentiel de transition, a dénoncé un pouvoir exécutif « incapable de répondre aux urgences sécuritaires depuis plus d’un an ».
Il évoque « un pays où le sang coule, où la vie et les biens disparaissent sans réaction institutionnelle ».
Le contraste entre les déclarations officielles du duo Saint-Cyr/Fils-Aimé et l’emprise croissante des groupes criminels renforce l’impression d’un État réduit à un rôle formel, incapable de maîtriser le territoire comme d’assurer la protection minimale des populations.

