À l’heure où nos moindres clics sont analysés, nos goûts prédits, nos comportements modélisés, la question se pose avec une acuité grandissante : peut-on encore résister aux algorithmes ?
Ces suites de calculs invisibles orientent désormais nos recherches, nos lectures, nos relations, nos achats — jusqu’à nos opinions politiques. Ils sont le cœur battant d’un système numérique façonné pour capter notre attention, engranger des données, et les monétiser.
En Haïti, ce singulier petit pays des Caraïbes, où le téléphone est souvent notre seul outil d’accès au monde numérique, cette question est encore plus vitale : est-ce qu’on peut vraiment garder le contrôle ? Est-ce qu’on est condamnés à rester des consommateurs passifs de ce que Facebook, TikTok ou YouTube décident de nous montrer ? Est-ce qu’on va se laisser effacer devant cette sous-culture sans prendre fait et armes pour notre âme et nos spécificités?
En effet, tout n’est pas joué. Une résistance est possible. Elle prend plusieurs formes, parfois techniques, parfois politiques, souvent discrètes, mais réelles. Cette résistance commence par un changement de regard : comprendre que les algorithmes ne sont ni neutres, ni inévitables.
Des alternatives existent. Les logiciels libres et les moteurs de recherche alternatifs (comme DuckDuckGo ou Qwant) offrent une porte de sortie. Contrairement aux géants technologiques qui dominent le monde, ces plateformes s’engagent à ne pas tracer leurs utilisateurs. Ils ne collectent pas vos données personnelles à des fins publicitaires, et leurs résultats ne sont pas influencés par vos précédentes recherches. Certes, leur efficacité est parfois moindre, mais l’éthique a un prix. Et leur amélioration dépend aussi du soutien des utilisateurs.
Au niveau collectif, la résistance passe par la régulation. L’Union européenne a déjà pris des mesures importantes : le RGPD (Règlement général sur la protection des données) a permis de mieux encadrer la collecte des données personnelles, d’imposer une certaine transparence, de garantir un droit à l’oubli.
Plus récemment, le DSA (Digital Services Act) est allé plus loin encore, en imposant des obligations aux grandes plateformes sur la modération des contenus, la publicité ciblée, ou encore l’accès aux données pour les chercheurs. Ces cadres juridiques restent perfectibles, mais ils ouvrent un espace d’action démocratique face aux géants du numérique.
Il existe aussi des gestes simples, à la portée de chacun, pour se réapproprier son autonomie numérique.
Se « dégoogliser » progressivement — c’est-à-dire limiter sa dépendance à l’écosystème Google — en remplaçant Gmail par ProtonMail, YouTube ou Tiktok par PeerTube, Google Maps par OpenStreetMap, Chrome par Firefox, Twitter par Mastodon.
Installer des bloqueurs de pub, des extensions anti-traçage, et refuser les cookies par défaut. Apprendre à paramétrer ses appareils et ses applications, pour ne pas tout accepter sans réfléchir. Choisir des réseaux sociaux plus éthiques, ou tout simplement… se déconnecter de temps en temps.
Résister aux algorithmes, ce n’est pas rêver d’un retour en arrière. C’est exiger un progrès technologique qui respecte notre humanité, nos libertés, notre droit à l’opacité. C’est retrouver une souveraineté numérique trop longtemps abandonnée à quelques entreprises.
C’est peut-être, à terme, réinventer le numérique que nous voulons.
Daniel Alouidor