Par Patrick Prézeau Stephenson
25 Septembre, 2025
Introduction : La naissance de l’UMPOPOV et la politique de la victimisation
À Port-au-Prince, alors qu’Haïti ploie sous le poids de la décadence politique, de l’insécurité rampante et de l’effondrement institutionnel, le lancement de l’« Union Militaire Police Population Victime » (UMPOPOV) par l’ancien commissaire de police Patrick Belizaire ouvre un nouveau chapitre dans la réponse civique à la crise. L’ambition de l’UMPOPOV — unir militaires, policiers et victimes autour du renouvellement intellectuel et culturel — apparaît, à première vue, comme un antidote attendu à l’inertie qui paralyse le corps politique haïtien. Pourtant, derrière cette façade, le cadrage de cette coalition révèle les failles de la psyché haïtienne, perpétuant un « état d’esprit victimaire » qui risque d’enfermer le récit national et d’empêcher tout progrès réel.
La limite du front des victimes et le syndrome de Stockholm dans la culture politique haïtienne
Si la constitution d’une coalition pour les victimes traduit une reconnaissance tardive des séquelles de la violence étatique et des gangs, la prémisse même de l’UMPOPOV est emblématique d’un malaise plus profond. En mettant la victimisation au centre de l’identité collective — motif ressassé à l’envi dans le discours civique et politique haïtien — le mouvement risque de renforcer la passivité psychique et politique qui a longtemps entravé la capacité d’Haïti à se définir elle-même. Comme nous l’avons soutenu dans notre précédent travail sur le « Syndrome de Stockholm » haïtien, ce récit ne se contente pas de refléter la souffrance des Haïtiens ; il reproduit et normalise activement leur statut de victimes perpétuelles, fermant la porte à toute possibilité d’action et de transformation.
Anatomie de la coalition des « victimes » : Cartographie du traumatisme, du pouvoir et de l’identité
L’initiative de Belizaire n’est pas dénuée de mérite. L’inclusion d’anciens membres des forces de sécurité, d’acteurs de la diaspora tels que Jeff Paul, et de voix de la jeunesse, reconnaît l’ampleur des personnes affectées par la défaillance systémique haïtienne. Son appel à une « seconde révolution » — fondée sur le renouvellement mental et culturel plutôt que sur la résistance armée — marque un déplacement de la violence vers l’introspection. Pourtant, l’architecture rhétorique de l’UMPOPOV, comme son nom l’indique, reste ancrée dans la victimisation. En rassemblant « militaires », « policiers » et « population » sous la bannière des « victimes », le mouvement écrase la complexité des distinctions sociales et des histoires de complicité, de résistance et de résilience en une identité unique et passive.
Cette confusion est problématique. Elle réduit les citoyens haïtiens à des objets de pitié, plutôt qu’à des sujets de leur propre histoire. La figure de Belizaire lui-même — survivant d’une attaque armée, revenant de la diaspora, produit d’Haïti rurale et urbaine — incarne l’ambiguïté de l’agentivité et de la victimisation. Pourtant, son récit, comme celui de l’UMPOPOV, demeure circonscrit par la logique du traumatisme. L’élan visant à « unir les victimes » est compréhensible, mais il perpétue involontairement les blessures psychiques qu’il prétend guérir.
Les limites de la victimisation : Perpétuer la paralysie psychique et politique
Le principal danger de l’état d’esprit victimaire réside dans son caractère auto-réalisateur. En mettant en avant la souffrance comme mode d’engagement civique et politique, les mouvements tels que l’UMPOPOV risquent de renforcer la passivité et la résignation que Belizaire lui-même dénonce. La « seconde révolution » est invoquée comme rupture avec la stagnation mentale, mais sa fondation — une coalition de victimes — réinscrit la mentalité qu’elle prétend dépasser.
Notre analyse précédente du « Syndrome de Stockholm » en Haïti mettait en lumière la façon dont l’exposition répétée à la violence et à la trahison de l’État et des acteurs internationaux a engendré une culture d’acquiescement et de survie psychique. Les Haïtiens, dans cette lecture, ne sont pas simplement victimes ; ce sont des otages d’un système qui les oblige à s’identifier à leurs bourreaux — qu’ils soient politiciens, policiers ou bienfaiteurs étrangers. L’émergence de l’UMPOPOV ne remet pas en cause cette dynamique ; elle la reconfigure sous une forme de mobilisation civique, mais laisse intacte l’architecture mentale sous-jacente.
Vers un nouveau récit : Agentivité, pluralité et imagination politique
Pour qu’Haïti échappe à l’attraction du récit victimaire, ses mouvements politiques et civiques doivent aller au-delà du rassemblement des blessés. Ils doivent cultiver des espaces d’agentivité, de pluralité et de reconstruction imaginative. Le défi n’est pas seulement de reconnaître la souffrance du peuple, mais de reconfigurer les Haïtiens en tant qu’acteurs historiques capables de forger leur destin.
L’accent mis par l’UMPOPOV sur la jeunesse et la diaspora ouvre cette possibilité, mais reste entravé par la narration initiale. Pour dépasser le syndrome de Stockholm, les mouvements haïtiens doivent articuler une vision qui transcende le traumatisme, embrasse la complexité, et mobilise toute la palette de l’identité haïtienne — rurale et urbaine, victime et survivant, intérieur et extérieur.
Conclusion : Repenser Haïti au-delà de la victimisation
L’initiative de Patrick Belizaire témoigne de la résilience et de la créativité de la société civile haïtienne. Elle reflète une soif de renouveau et une reconnaissance des blessures psychiques qui hantent la nation. Pourtant, tant que l’imaginaire politique haïtien reste captif de la logique de la victimisation, la promesse d’une « seconde révolution » restera lettre morte. La tâche à venir n’est pas simplement d’unir les victimes, mais d’émanciper la psyché haïtienne des contraintes de la souffrance passive, et de forger un nouveau récit d’agentivité, de pluralité et d’espérance.
Références
[1] Stephenson, Patrick P. 2025. Harnessing Minds Before Weapons: A Haitian Blueprint https://prezeau.blogspot.com/2025/09/mobiliser-les-esprits-avant-les-armes.html
[2] Stephenson, Patrick P. 2023. An Exploration of the Haitian Psyche and Stockholm Syndrome https://prezeau.blogspot.com/2023/11/une-exploration-de-la-psyche-haitienne.html
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