Il est un pan entier de l’appareil d’État haïtien que l’on oublie souvent de questionner, tant son insignifiance semble aller de soi : la diplomatie. Depuis les quatre dernières décennies, ce secteur, censé porter la voix du pays dans le concert des nations, s’est enlisé dans l’inefficacité, le clientélisme et l’improvisation. Plus de trois décennies plus tard, le constat est accablant : Haïti, nation fondatrice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est absente de la scène internationale — quand elle ne s’y couvre pas de ridicule.
D’un outil stratégique à un butin politique
La diplomatie est l’art de défendre les intérêts d’un pays à l’étranger. C’est un levier de développement, de rayonnement et de souveraineté. Mais en Haïti, elle a été vidée de sa substance.
Depuis 1986, chaque gouvernement de transition, chaque régime improvisé, chaque pouvoir issu de compromis boiteux a vu dans le ministère des Affaires étrangères une machine à récompenser les fidèles, un butin à distribuer à ses courtisans.
Ambassades surpeuplées de personnels sans compétence, consulats devenus agences de voyages familiaux, postes vendus à prix d’or à des hommes d’affaires sans scrupules, nominations de maîtresses, d’anciens candidats ou d’anciens hauts dignitaires déchus : la diplomatie haïtienne s’est transformée en théâtre d’absurdité. Elle a cessé d’être un instrument au service de la République pour devenir un club privé au service de quelques-uns.
Une image internationale laissée à l’abandon
Résultat : Haïti ne parle plus au monde. Ou plutôt, le monde parle d’Haïti en des termes de plus en plus déshonorants, et … personne ne répond. Aucun récit stratégique, aucun positionnement international.
Silence sur les scènes multilatérales. Silence sur les forums économiques. Silence dans les grands débats mondiaux sur la migration, l’environnement, les droits humains.
La parole haïtienne est inaudible. Et lorsqu’elle tente d’émerger, elle est décrédibilisée par l’amateurisme de ses porteurs.
Pendant que d’autres petits États bâtissent des diplomaties dynamiques — qu’on pense au Costa Rica, au Cap-Vert, au Rwanda —, Haïti continue d’envoyer des émissaires sans feuille de route, sans formation, sans mandat clair. On ne défend pas une nation avec des improvisateurs.
Un corps diplomatique à reconstruire
Le pays ne manque pourtant pas de talents. Dans les universités, dans la diaspora, dans la jeunesse haïtienne formée à l’étranger, on trouve des profils brillants capables de porter haut les intérêts du pays. Mais ils sont tenus à l’écart. Car intégrer le réseau diplomatique haïtien ne dépend pas du mérite, mais de l’appartenance. Il faut plaire, être introduit, payer parfois. L’excellence n’est pas un critère. Elle est même un obstacle dans un système qui valorise la médiocrité par peur d’être éclipsé.
Plus qu’un échec administratif, la déliquescence de la diplomatie haïtienne est une faillite politique. Elle témoigne du renoncement de l’État à toute stratégie extérieure. De l’abandon de son rôle dans le monde. Et, plus profondément, de la perte de sa souveraineté intellectuelle et morale.
Un enjeu vital pour le futur
Repenser la diplomatie haïtienne n’est pas un luxe. C’est une nécessité existentielle. Dans un monde globalisé, marqué par les rapports de force, la compétition économique et la guerre de l’information, un pays qui ne se projette pas au-delà de ses frontières est condamné à la marginalité. Il ne suffit pas de supplier d’envoyer des soldats de l’ONU ou de fournir l’aide internationale pour exister. Il faut construire un discours, définir des alliances, défendre des valeurs, promouvoir une vision.
La diplomatie haïtienne, si elle veut renaître, doit être arrachée aux mains des trafiquants d’influence pour être rendue aux serviteurs de la République. Elle doit redevenir une école d’exigence, une fabrique de stratégie, une vitrine d’intelligence.
Le chantier est immense, mais il commence par un mot : volonté.
Daniel Alouidor