20 octobre 2025
Trente ans, sept missions, une leçon difficile : la crise d’Haïti ne se résoudra pas par la force seule
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Trente ans, sept missions, une leçon difficile : la crise d’Haïti ne se résoudra pas par la force seule

Par Patrick Prézeau Stephenson*

PORT-AU-PRINCE — Les uniformes changent. Les mandats évoluent. La violence demeure. Depuis trois décennies, Haïti a accueilli une procession de missions des Nations unies et de coalitions étrangères promettant la stabilisation, la réforme de la justice et, plus récemment, le démantèlement des groupes armés. Elles ont obtenu des gains tactiques. Elles n’ont pas instauré une sécurité durable.

Le dernier tournant est le plus musclé à ce jour. Le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé une nouvelle Force de répression des gangs pour remplacer la mission multinationale de soutien à la sécurité dirigée par le Kenya. La décision intervient alors que s’aggravent la brutalité des gangs, les violations généralisées des droits humains et une urgence humanitaire touchant presque tous les aspects de la vie quotidienne. La nouvelle force — jusqu’à 5 550 personnes — est chargée d’agir aux côtés de la Police nationale d’Haïti et des forces armées, en menant des opérations guidées par le renseignement pour neutraliser les réseaux criminels, sécuriser les infrastructures essentielles et préserver l’accès humanitaire. La résolution a été adoptée par 12 voix pour, avec les abstentions de la Chine, du Pakistan et de la Russie. Le plan prévoit aussi la protection des groupes vulnérables, la réintégration des combattants de bas niveau et le renforcement des institutions haïtiennes, avec la mise en place d’un Bureau d’appui des Nations unies en Haïti chargé de la logistique, des soins médicaux, des transports, des communications et de la rotation des troupes.

Les enjeux sont familiers — et considérables. Une lecture étroite du problème — davantage de patrouilles, des raids plus massifs — risque de reproduire ce qui n’a pas fonctionné : la force sans légitimité, des opérations sans institutions, des manchettes sans relais durable.

Pris au pied de la lettre, trois décennies d’expérience indiquent autre chose sur ce qui fait « tenir » la sécurité en Haïti. Le centre de gravité n’est pas la puissance de feu. C’est la confiance — la conviction du public que la force est employée équitablement, que les tribunaux traitent les dossiers, que la police est payée et supervisée, et que les responsables politiques ne peuvent pas discrètement infléchir les missions à des fins partisanes.

L’arc de l’intervention

Depuis 1993, Haïti a enchaîné les déploiements onusiens : la Mission des Nations unies en Haïti, les missions d’appui et de transition, la mission d’appui civile, la longue mission de stabilisation, la mission d’appui à la justice et, depuis 2019, le bureau politique intégré. La mission d’appui à la sécurité dirigée par le Kenya est arrivée en 2023 sous l’autorité du Conseil et a été recentrée en 2025 au titre du Chapitre VII, le cadre coercitif de l’ONU.

Chaque mission a répondu à un moment distinct. Collectivement, elles ont buté sur des contraintes connues : mandats fragmentés, horizons politiques trop courts pour construire des institutions, une police nationale à qui l’on demande toujours plus avec moins, et une justice incapable de suivre le rythme des arrestations. La plus longue mission s’est achevée dans l’ombre du choléra et d’allégations d’abus sexuels qui ont brisé la confiance du public — rappel cinglant que la manière d’agir d’une mission compte autant que ses objectifs.

L’ennemi n’est pas seulement des hommes armés

Les groupes armés haïtiens fonctionnent comme des marchés dotés de muscles. Ils taxent les gares routières et les ports, ponctionnent le carburant et le fret, rançonnent usagers et commerçants. Ils connaissent le terrain et exploitent l’absence de services de base pour s’ancrer. Sous pression, ils se fragmentent, se déplacent et se recomposent.

Cet écosystème est durable parce qu’il est autant économique que militaire. Pourchasser les tireurs tout en laissant intacts les flux de revenus n’offre que des gains éphémères. C’est en perturbant le modèle économique — l’argent, la logistique et les protections politiques qui le soutiennent — que l’on modifie les incitations au sol.

Pourquoi nous échouons encore

Remises à zéro fréquentes des mandats. Les transitions de mission effacent périodiquement les relations et la mémoire institutionnelle. Les communautés apprennent à attendre le départ des internationaux.

Cinétique sans tribunaux. Les arrestations dépassent la préparation des dossiers ; la détention provisoire enfle ; les victimes voient peu de justice.

Substitution plutôt que partenariat. Les unités étrangères se substituent souvent à la Police nationale d’Haïti au lieu de s’y intégrer pour la professionnaliser.

Atteintes aux civils et opacité. Dans des quartiers denses, un mauvais raid peut anéantir des mois de construction de confiance — surtout sans reddition de comptes publique et rapide.

La corruption comme système. Douanes, marchés publics et exonérations servent de monnaie politique à travers les factions. Les visages changent ; l’architecture des rentes demeure ; la violence s’adapte.

Ce qui doit être différent maintenant

Cette fois ne pourra être différente que si l’autorité s’accompagne de la primauté haïtienne, de garde-fous stricts et de métriques transparentes.

Mettre les Haïtiens en tête. La police nationale et les forces armées doivent conduire les opérations, avec des unités vérifiées et une inspection interne protégée. La nouvelle force doit démultiplier l’efficacité policière, non s’y substituer.

Privilégier la précision à la présence. Les opérations guidées par le renseignement et la perturbation ciblée des nœuds de revenus sont plus efficaces — et plus sûres pour les civils — que les ratissages généralisés.

Protéger les civils au grand jour. Règles d’engagement claires, couvre‑feux calés sur les horaires des marchés, réparation rapide en cas de dommages et bilans d’incidents publiés à échéance fixe.

Étrangler l’argent. Sanctionner les facilitateurs, exposer les rackets de protection, assainir frontières et ports grâce aux données ouvertes et à des audits externes.

Publier les jalons. Évaluer les progrès à l’aune des corridors ouverts, des enlèvements en baisse, des dossiers traités et des unités vérifiées déployées — non au nombre de mois écoulés ou de raids comptés.

La politique de la légitimité

La base juridique du nouveau déploiement peut être solide ; son assise politique est fragile. Les autorités de transition n’ont pas de ratification parlementaire, et le public a de bonnes raisons d’être sceptique face aux uniformes étrangers. Voilà précisément pourquoi le contrôle public importe. Une cellule de pilotage conjointe — réunissant la direction de la police, des responsables municipaux, une société civile accréditée et les commandements de la mission — devrait fixer et publier des priorités mensuelles. Un médiateur indépendant devrait suivre les plaintes et formuler des recommandations de renvoi qui ne puissent être enterrées.

Rien de tout cela ne satisfera ceux qui exigent un retour immédiat aux urnes. Mais « voter d’abord, réparer ensuite » a déjà échoué. Une sécurité qui permet la vie quotidienne — des bus qui roulent, des cliniques ouvertes, des marchés qui commercent — crée les conditions pour qu’un scrutin crédible ait un sens.

À quoi ressemblerait la réussite dans un an

Dans un an, la réussite ne ressemblera pas à un défilé. Pas de miracles. Juste le travail prévisible de l’art d’État rendu visible. Ce sera une routine. Les principaux corridors seront ouverts presque tout le temps, un fait mesurable par les comptages de trafic et les volumes de marché, non par des communiqués. Les enlèvements auront diminué de moitié dans la métropole et le long de ces axes, tendance confirmée par plusieurs observateurs indépendants. La police et les forces armées aligneront plusieurs unités vérifiées, pleinement équipées, conformes aux standards de préparation et d’intégrité ; les affaires internes cloront les dossiers en quelques semaines, pas en saisons. Les procureurs auront engagé des poursuites prioritaires contre les financiers et logisticiens qui rendent la violence lucrative. Les contrats et les synthèses d’opérations seront publiés chaque mois au vu de tous, et le public pourra les lire — et y croire.

La leçon la plus dure

La leçon la plus dure de ces 30 dernières années est aussi la plus simple : les missions qui se comportent en visiteurs mieux armés perdent à long terme. Celles qui contribuent à bâtir des institutions haïtiennes disciplinées et responsables — et acceptent elles-mêmes l’examen public — peuvent gagner.

La force peut dégager des rues. Seule la légitimité les maintient. En Haïti, c’est la différence entre une intervention de plus et le début d’une sortie.

*Patrick Prézeau Stephenson is a Haitian scientist, policy analyst, financial advisor and author specializing in Caribbean security and development.

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Kilès nouye :  Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti

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