25 septembre 2025
Nord-Ouest : le pari des énergies renouvelables
Actualités Société Techno

Nord-Ouest : le pari des énergies renouvelables

Dans le Nord-Ouest d’Haïti, l’obscurité ne s’étale pas seulement à la tombée du jour : elle y règne en maître. Pour une grande partie de la population de cette région enclavée, l’accès à l’électricité est un luxe rare. Les coupures fréquentes, l’absence de réseau, et la dépendance aux lampes Tet Gridap, aux bougies et aux générateurs polluants et coûteux affectent le quotidien des familles, freinent les activités économiques, et plongent écoles, hôpitaux et commerces dans l’ombre.

Pourtant, cette région recèle une richesse inestimable, gratuite, durable et abondante : le soleil, le vent et l’eau. En misant sur les énergies renouvelables, le Nord-Ouest pourrait transformer cette pénurie en opportunité. Cet article explore ce potentiel, en s’appuyant sur des données réelles, des exemples concrets, et des perspectives de développement.

Une richesse naturelle encore ignorée

Le Nord-Ouest est l’une des régions les plus ensoleillées d’Haïti, avec plus de 300 jours de soleil par an, et une irradiation moyenne avoisinant 7 kWh/m²/jour, selon des relevés climatologiques. Ce niveau d’ensoleillement dépasse les standards requis pour rentabiliser une installation photovoltaïque, même de petite taille.

Le vent, constant sur la côte nord, notamment à Môle-Saint-Nicolas et Bombardopolis, offre également un terrain idéal pour des éoliennes de moyenne puissance. De petites rivières et ravines dans les montagnes de Jean-Rabel ou de Chansolme pourraient aussi permettre l’installation de micro-centrales hydroélectriques, idéales pour l’alimentation de villages isolés.

Pourtant, ces ressources demeurent sous-exploitées. En l’absence d’un plan énergétique régional, la majorité des habitants reste dépendante de générateurs diesel, souvent partagés entre plusieurs foyers ou utilisés uniquement pour les occasions spéciales. Cette situation alimente la pauvreté énergétique.

Un investissement rentable à moyen terme

On croit souvent que les énergies renouvelables sont trop chères pour un pays comme Haïti. Mais les chiffres disent le contraire. Une centrale solaire de 1 mégawatt (MW), capable d’alimenter environ 800 foyers, coûte entre 890 000 et 1,1 million de dollars US à l’installation. Si elle vend son électricité à un tarif de 0,10 à 0,12 $ US/kWh, elle peut être rentabilisée en 5 à 7 ans.

Comparons : le coût moyen du kilowattheure fourni par un générateur au diesel en Haïti dépasse 0,35 $ US, sans compter les coûts de maintenance, les pénuries de carburant, et les risques environnementaux. Une étude de « Haiti Priorise », soutenue par le Copenhagen Consensus Center, montre que chaque dollar investi dans l’énergie renouvelable génère entre 2 et 4 dollars en bénéfices sociaux et économiques.

Des entreprises comme Sigora Haiti ont commencé à tester des mini-réseaux hybrides dans la région, combinant solaire, éolien et diesel. Ces expériences, bien que limitées, montrent que la technologie fonctionne. Ce qu’il manque, c’est un plan à l’échelle du département, soutenu par des investissements structurés et une volonté politique.

Des bénéfices concrets, bien au-delà de l’énergie

Bénéfices économiques

L’énergie renouvelable stimule directement l’économie locale. D’abord, en réduisant la facture énergétique des ménages, elle libère du revenu pour d’autres dépenses (alimentation, éducation, santé). Ensuite, elle permet l’essor des PME locales : ateliers de couture, salons de coiffure, boulangeries, cybercafés, peuvent fonctionner de façon continue, sans dépendre du diesel.

De plus, l’installation et l’entretien des infrastructures solaires et éoliennes créent des emplois qualifiés dans la région. Des jeunes peuvent être formés comme techniciens, électriciens ou installateurs solaires. Le secteur devient ainsi un moteur de formation professionnelle et d’emploi rural.

Bénéfices sociaux et culturels

Avec l’électricité vient la lumière — au sens propre comme au figuré. Les écoles peuvent prolonger leurs heures de cours, organiser des activités en soirée, et accéder à des ressources numériques. Les centres de santé peuvent garder des vaccins au frais, faire fonctionner leurs équipements médicaux, et assurer des soins d’urgence.

Sur le plan culturel, l’accès à l’électricité ouvre la porte à une plus grande diffusion de la musique, du cinéma local, de la création artistique numérique. Des activités communautaires nocturnes redeviennent possibles : débats, projection de films, répétitions musicales, etc.

Bénéfices environnementaux

Enfin, les énergies renouvelables permettent de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre et de limiter la pollution de l’air. Elles contribuent également à lutter contre la déforestation, en diminuant l’usage du charbon de bois pour la cuisson, notamment si des appareils solaires de cuisson ou des fours hybrides sont mis en place.

Les freins à lever

Malgré son potentiel, la transition vers les énergies renouvelables dans le Nord-Ouest se heurte à plusieurs obstacles majeurs.

Le premier est l’investissement initial, souvent trop élevé pour les collectivités locales ou les ménages ruraux. L’absence de mécanismes de crédit adaptés ou de subventions freine le déploiement de projets structurants.

Ensuite, le cadre réglementaire est peu incitatif. Les tarifs officiels de l’électricité fixés par l’EDH sont trop bas pour permettre à des entreprises privées de rentabiliser des investissements. De plus, il n’existe pas encore de législation claire sur les mini-réseaux décentralisés.

Enfin, le manque de ressources humaines qualifiées dans les domaines du solaire, de l’éolien et de l’hydraulique limite l’autonomie technique des projets.

Quelles solutions concrètes ?

Face aux nombreux défis énergétiques dans le Nord-Ouest d’Haïti, plusieurs pistes concrètes peuvent être envisagées pour répondre à la fois aux besoins des populations locales et aux exigences de durabilité et d’autonomie.

La première solution serait de créer des coopératives énergétiques locales, dans lesquelles les habitants ne seraient pas de simples consommateurs, mais de véritables actionnaires des infrastructures installées. En devenant copropriétaires de ces systèmes, les communautés renforcent leur sentiment d’appropriation du projet, ce qui augmente considérablement les chances de réussite et de durabilité. Ce modèle participatif permet également de redistribuer les bénéfices de l’électricité au sein même de la population, créant ainsi une dynamique d’économie circulaire.

Ensuite, il serait pertinent de lancer des projets pilotes dans deux ou trois communes stratégiques du département. Ces expérimentations auraient pour objectif de prouver la faisabilité économique, sociale et technique de solutions telles que les mini-réseaux hybrides (solaire + diesel, ou solaire + batteries). Une fois les résultats validés, ces projets pourraient être répliqués ailleurs dans la région. Le succès de ces initiatives servirait de vitrine pour convaincre de nouveaux partenaires techniques et financiers.

Un autre levier fondamental consiste à former des techniciens solaires locaux. Cela pourrait être mis en œuvre grâce à des partenariats solides entre lycées techniques du Nord-Ouest, ONG spécialisées dans l’énergie durable, et entreprises du secteur des renouvelables. En dotant les jeunes de compétences pratiques dans l’installation, la maintenance et la gestion de systèmes solaires, on crée non seulement des emplois locaux, mais aussi un savoir-faire indispensable à l’autonomie énergétique de la région.

Il faut également mettre en place un tarif incitatif spécifique pour les petits producteurs d’énergie renouvelable, notamment dans les zones rurales. Ce mécanisme pourrait être soutenu par l’État ou la régulation nationale via l’ANARSE. Il permettrait de garantir un prix d’achat juste de l’électricité produite, encourageant ainsi les initiatives privées ou communautaires à investir dans des projets à petite ou moyenne échelle.

Enfin, une piste prometteuse serait de mobiliser la diaspora haïtienne, en particulier les natifs du Nord-Ouest établis à l’étranger. Cette diaspora représente un potentiel financier, technique et humain considérable. Elle pourrait, par le biais de fonds de solidarité, de dons ciblés ou d’investissements à impact social, soutenir des projets d’électrification rurale ayant des retombées directes sur la vie des familles restées au pays.

Le Nord-Ouest d’Haïti est souvent présenté comme une région délaissée, défavorisée, et périphérique. Pourtant, en matière d’énergie renouvelable, il pourrait bien devenir un modèle de transition énergétique pour le pays tout entier.

Le soleil y brille. Le vent y souffle. L’eau y coule.

Ce qu’il manque, ce n’est pas la ressource. C’est l’organisation, la volonté, et l’investissement. En misant sur les énergies propres, le Nord-Ouest peut non seulement s’éclairer lui-même, mais aussi montrer la voie à un développement haïtien plus juste, plus vert, et plus durable.

Louis Mary Constant, ing

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.