25 septembre 2025
Exclusivité Rezo Nòdwès – ONU – Extraits de l’intervention de Laurent Saint-Cyr à la 80ᵉ Assemblée générale
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Exclusivité Rezo Nòdwès – ONU – Extraits de l’intervention de Laurent Saint-Cyr à la 80ᵉ Assemblée générale

Madame la Présidente de l’Assemblée générale, Monsieur le Secrétaire général, Excellences, Mesdames et Messieurs, les chefs d’État et de gouvernement, Mesdames et Messieurs, les chefs de délégation, distingués délégués,

C’est avec gravité et beaucoup d’espoir que je porte la voix d’Haïti et la salutation d’un peuple digne et résilient qui, malgré les épreuves, revendique pour lui-même et pour l’humanité entière trois promesses universelles : le développement, le respect de la dignité humaine et la paix. La paix est aujourd’hui l’urgence absolue du peuple haïtien.

Au nom de ce peuple, je vous adresse, Madame la Présidente, mes plus sincères félicitations pour votre élection à la tête de cette Assemblée. J’exprime également ma gratitude au Secrétaire général António Guterres pour son engagement indéfectible en faveur de notre organisation et son soutien constant et multiforme à la République d’Haïti.

Mesdames, Messieurs, le thème de cette session, « Mieux ensemble, 80 ans et plus pour la paix, le développement et les droits de l’homme », honore l’œuvre remarquable accomplie au fil des décennies. Il rappelle aussi l’impératif de rester unis et résilients face aux crises sans précédent qui menacent l’avenir de la planète, la paix et la sécurité internationale. Aujourd’hui, la faim met en péril des millions de vies, des conflits se multiplient et l’extrême pauvreté s’intensifie, provoquant des migrations forcées qui ébranlent la stabilité internationale et mettent à l’épreuve la solidarité des nations. À ces défis s’ajoutent les changements climatiques, la montée du terrorisme, les atrocités de masse, la criminalité transfrontalière, le recul des droits humains, la désinformation. On ne peut fermer les yeux sur l’urgence de renforcer le système de santé, d’assurer une transition énergétique juste et de lutter contre les changements climatiques.

Les avancées technologiques comme l’intelligence artificielle doivent servir la paix, le développement et la dignité humaine. Mesdames et Messieurs, à seulement quatre heures d’ici, une tragédie humaine se déroule, l’une des plus graves de notre hémisphère. Chaque jour, des vies innocentes sont éteintes par les balles, le feu et la peur. Des quartiers entiers disparaissent, forçant plus d’un million de personnes à l’exil et réduisant à néant les investissements dans les infrastructures. Des milliers d’enfants sont privés de leur droit fondamental à l’éducation. Des milliers de jeunes sont condamnés au désespoir. Des centaines de femmes et de filles, violées, portent à jamais la marque de la violence dans leur chair et leur âme. Près de la moitié de la population est confrontée à une insécurité alimentaire aiguë. Le système de santé s’effondre. Des hôpitaux sont vandalisés, incendiés ou contraints de fermer leurs portes. Les médecins fuient. Des vies sont sacrifiées faute de soins. Même la prise en charge des personnes vivant avec le VIH ou la tuberculose est menacée.

Voilà le visage d’Haïti aujourd’hui : un pays en guerre. Une guerre qui n’est pas nouvelle. Une tragédie humaine aux portes de l’Amérique, à seulement quatre heures d’ici. Il faut le dire : en Haïti, une guerre est menée. Une guerre entre des criminels qui veulent imposer la violence comme ordre social et une population qui lutte pour préserver la dignité humaine et la liberté. La réponse doit être ferme et résolue. Aujourd’hui, la communauté internationale doit, aux côtés d’Haïti, déployer les moyens, non des demi-mesures, mais une action forte, coordonnée et immédiate. Le silence ou l’inaction ne sont pas une option. Nous devons agir vite pour protéger des vies, rendre l’innocence aux enfants, offrir un avenir à la jeunesse et permettre aux citoyens de décider de leur avenir par les urnes. Chaque minute perdue se traduit par des vies sacrifiées et un recul de la démocratie.

C’est la raison d’être du combat sans relâche que mènent nos forces de l’ordre et la mission multinationale d’appui à la sécurité. Beaucoup de policiers et de soldats sont tombés dans cette guerre contre les groupes criminels. Hommage à ces héros, haïtiens et kényans, qui ont payé de leur vie leur engagement pour le rétablissement de la paix et de la sécurité en Haïti. Aujourd’hui, alors qu’initialement étaient requis et promis des effectifs plus importants, il n’y a sur le terrain qu’un millier de membres de la mission multinationale. Leur bravoure, conjuguée à nos propres efforts, n’a pas suffi à contenir la crise sécuritaire. Pourtant, nous avons augmenté de 40 % le budget des forces de l’ordre, recruté de nouvelles promotions, renforcé nos effectifs, acquis du matériel et des équipements.

Nous devons nous rendre à l’évidence : Haïti se trouve à l’épicentre d’une menace régionale inédite. Des réseaux criminels puissants et lourdement armés cherchent à déstabiliser le pays et à dominer les économies de notre espace commun. La nouvelle ligne de front de ce combat se trouve chez nous, en Haïti. Si nous ne les affrontons pas sur notre sol, il sera illusoire de les contenir ailleurs dans la région. C’est pourquoi nous devons afficher la même détermination, la même fermeté et la même unité que celles dont nous avons fait preuve dans la lutte contre le terrorisme. Haïti ne peut et ne pourra relever seul un tel défi. Aujourd’hui, il est impératif de mobiliser une force robuste disposant de moyens clairs et de ressources matérielles, logistiques et financières adéquates.

En cette matière, les leçons de l’expérience de la MMAS et les recommandations des experts haïtiens doivent être mises à profit. Nous avons également besoin d’une coopération internationale renforcée, fondée sur le partage de renseignements et des contrôles douaniers rigoureux afin de stopper le flux d’armes, de munitions, de drogues et de financements vers les gangs. La paix ne pourra être restaurée que si nos partenaires régionaux veillent à ce que leur territoire ne serve plus de point de départ ou de transit à ces trafics. Les approches qui n’ont pas porté de fruits hier ne sauveront pas Haïti aujourd’hui. Il est impératif d’écouter la voix du peuple haïtien, d’oser des solutions nouvelles, fortes et adaptées aux réalités du terrain. En ce sens, nous souscrivons pleinement aux efforts engagés pour transformer la mission multinationale d’appui à la sécurité. Nous appelons également à la solidarité de toute la communauté internationale et, plus particulièrement, à l’engagement des membres du Conseil de sécurité pour un vote favorable à la résolution établissant une force de suppression des gangs. C’est pourquoi je veux exprimer, au nom du peuple haïtien, ma profonde gratitude aux États-Unis d’Amérique et au Panama pour cette initiative.

Ces ennemis menacent Haïti et toute la région. La complexité de la crise haïtienne ne doit pas servir de prétexte à un pillage sans fin, à des négociations interminables ou à des blocages dictés par des considérations géopolitiques. Chaque jour, une décision profite aux groupes criminels. L’urgence nous oblige à être proactifs, à dépasser les divisions pour agir ensemble, au service des valeurs qui nous unissent : la paix et la dignité humaine. Haïti accueillera avec intérêt l’organisation d’une réunion de haut niveau pour surmonter les obstacles et avancer concrètement.

À cet égard, nous saluons les pays et la région qui continuent de nous apporter leur soutien inestimable, notamment à travers leurs prises de position dans les organisations régionales comme l’OEA et la CARICOM. Nous apprécions leurs valeurs de justice, leur approche auprès des partenaires du Conseil de sécurité pour une véritable solution à la crise sécuritaire en Haïti. Nous rendons également hommage à tous les États qui, lors de crises passées, se sont tenus à nos côtés et dont nous espérons pouvoir compter à nouveau sur l’engagement. Ensemble, nous pouvons et devons résoudre cette crise qui dure depuis trop longtemps. Douze millions de femmes, d’hommes et d’enfants attendent cet engagement.

Mesdames et Messieurs, le Conseil présidentiel de transition est né d’un consensus politique, fruit de négociations intenses entre les forces vives de la nation. Ce Conseil, dont la mise en place a été soutenue par d’importants partenaires internationaux et facilitée par d’éminentes personnalités de la CARICOM, expose un agenda clair dont le cœur est l’organisation d’élections libres et crédibles. Je le répète : libres et crédibles. Malgré les multiples défis liés à la crise sécuritaire, le processus électoral, pour lequel le CPT et le gouvernement affichent une réelle volonté politique, a connu des avancées significatives. Le Conseil électoral provisoire a déjà identifié plus de 85 % des centres de vote, mobilisé plus de 70 % du personnel électoral, et un financement national de 65 millions de dollars est garanti. Le Conseil présidentiel de transition collabore étroitement avec la mission multinationale d’appui à la sécurité, l’OEA et la CARICOM.

Pour maintenir une cohabitation politique productive, des efforts constants sont nécessaires et continueront d’accroître le dialogue avec les différents secteurs de la vie nationale, afin de renforcer le consensus et d’éviter un vide fatal à la démocratie et à la stabilité. Le peuple haïtien doit pouvoir choisir ses dirigeants. L’État veut organiser des élections crédibles. Notre plus grand obstacle demeure l’instauration de la sécurité. L’appel urgent et solennel que nous lançons une fois de plus pour résoudre la crise sécuritaire en Haïti ne doit pas rester lettre morte, ni sombrer dans des discours et promesses non tenues. En Haïti, la paix ne peut plus attendre. Mesdames et Messieurs, la période de transition ne nous permet pas d’engager toutes les grandes réformes structurelles dont le pays a besoin. Mais la crise humanitaire actuelle doit être traitée.

Nous soutenons la relocalisation des familles. Nous exprimons notre profonde gratitude aux partenaires internationaux mobilisés dans le cadre de la réponse humanitaire, et accueillons avec grand intérêt les initiatives de ceux qui, comme l’Association des États de la Caraïbe, choisissent de se joindre à ce mouvement. Mais notre stratégie ne se limite pas à l’assistance immédiate. Nous devons passer de l’aide à l’investissement. Dans ce sens, la volonté du gouvernement est d’initier le développement de deux grands pôles économiques, le Grand Nord et le Grand Sud, autour de secteurs stratégiques tels que l’agro-industrie, le textile, les énergies renouvelables, le tourisme et les services. Haïti doit continuer à compter sur ses partenaires clés pour traverser cette période difficile et relancer son économie. Nous appelons à leur soutien en mettant en place des mécanismes concrets tels que le renouvellement de la loi HOPE HELP ou le lancement de projets de rénovation urbaine qui créeront des emplois, permettront de sortir durablement de l’impasse humanitaire et réduiront les pressions migratoires haïtiennes dans la région.

Mesdames et Messieurs, en 2025, nous commémorons le bicentenaire d’un ordre imposé à Haïti : le paiement d’une rançon pour la reconnaissance de son indépendance. Notre voix s’élève pour réclamer réparation, non dans un esprit de revanche ou d’amertume, mais avec une volonté de justice et de vérité. Nous avons accueilli avec satisfaction la déclaration de la Présidence française, qui reconnaît la nécessité d’ouvrir des espaces de dialogue et de vérité historique, ainsi que la résolution de l’Assemblée nationale française du 5 juin 2025, reconnaissant l’injustice de cette rançon. Haïti a mis en place le Comité national sur la réparation et la restitution. Nous demandons que ces avancées soient suivies d’actions concrètes. La France, pays des droits de l’homme, a aujourd’hui l’opportunité d’écrire une nouvelle page de son histoire avec Haïti, en honorant les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité qui nous unissent.

Mesdames et Messieurs, je tiens à souligner l’inestimable contribution de la diaspora haïtienne à travers le monde et les sentiments souvent difficiles qu’elle nourrit à notre égard. En tant que réalité multidimensionnelle, nous appelons à la patience et à la compréhension de nos partenaires et amis, afin que nos sentiments soient toujours traités avec respect et dignité. Derrière chaque migrant, il y a un visage, une famille, une histoire et une contribution au pays d’accueil. Haïti réaffirme son engagement en faveur du dialogue bilatéral et de la coopération, dans un esprit de bon voisinage et de respect mutuel, afin d’identifier des solutions équilibrées et durables aux problèmes de l’île. La circulation sûre et régulière des biens et des personnes, en particulier par voie aérienne, est essentielle à un avenir et une prospérité partagés.

Mesdames et Messieurs, Haïti mérite la paix et la prospérité. Un avenir fondé sur un système judiciaire indépendant, une éducation universelle, des soins de santé accessibles à tous et une économie qui offre à chacun les mêmes opportunités de réussir. Cet avenir exige des réformes, une justice indépendante et courageuse, et la fin de l’impunité. Le 16 avril 2025, nous avons adopté un décret instituant deux pôles judiciaires spécialisés : l’un pour la répression des crimes financiers complexes, l’autre pour la répression des crimes de masse et des violences sexuelles. Nous avançons vers leur efficacité. Nous sommes prêts à poursuivre sur cette voie. Ce n’est pas le moment de céder au sentiment de « Haiti fatigue ». La communauté internationale n’a pas le droit d’ignorer la situation en Haïti. Face à l’ampleur de cette crise, le silence ne serait pas neutralité, il serait complicité.

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de rendre hommage au peuple haïtien. Le représenter ici est le plus grand honneur de ma vie. Au-delà de ma fonction de président du Conseil de transition, je suis un citoyen haïtien, authentique, engagé et profondément attaché à cette terre. Une terre de liberté, de dignité, de courage et de talent. Haïti n’est pas une nation condamnée à la résignation. Nous sommes un grand peuple, une solidarité de femmes et d’hommes qui se sont sacrifiés pour leur pays et pour l’humanité. Haïti n’est pas un territoire libre pour les criminels armés, mais une nation debout, composée de familles dignes et résilientes qui, chaque jour, malgré les épreuves les plus dures, luttent pour un avenir meilleur. Je rends hommage à mes compatriotes, qui comptent parmi les peuples les plus résilients de la terre. Ils méritent mieux. Leur redonner espoir est ma seule mission. Voilà pourquoi, dès maintenant, j’en appelle à vous : tenez-vous aux côtés d’Haïti. Nous devons bâtir la paix en Haïti, pour les Caraïbes, pour les Amériques, pour l’humanité tout entière. Je vous remercie.

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