Nations Unies, 25 septembre 2025 – À la tribune de la 80ᵉ Assemblée générale de l’ONU, le président du Conseil présidentiel de transition (CPT), Laurent Saint-Cyr, a prononcé un discours solennel et appuyé, mêlant constat dramatique, appels pressants à l’action internationale et plaidoyer pour un avenir démocratique. Se présentant « avec gravité et beaucoup d’espoir », il a déclaré porter « la voix d’Haïti et la salutation d’un peuple digne et résilient » qui, malgré les épreuves, revendique « trois promesses universelles : le développement, le respect de la dignité humaine et la paix ».
« Haïti, pays en guerre »
Après avoir salué la présidente de séance et le Secrétaire général António Guterres, Saint-Cyr a élargi son propos aux menaces globales : faim, pauvreté, migrations forcées, climat, terrorisme, désinformation. Puis il a ramené l’attention sur Haïti, décrivant sans détour un pays dévasté : « Innocent lives are extinguished by bullets, fire, and fear. Entire districts disappear. Thousands of children are deprived of their right to education. Hundreds of girls and women raped. Nearly half of the population faces acute food insecurity. The health system is collapsing. »
« This is the face of Haiti today, a country at war », a-t-il insisté, à seulement « quatre heures d’ici ».
Mission multinationale et impasse sécuritaire
Le président du CPT a rendu hommage aux policiers haïtiens et aux soldats kényans morts dans les combats contre les gangs, « héros qui ont payé de leur vie l’engagement pour le rétablissement de la paix ». Mais il a reconnu l’échec relatif de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) : « seulement un millier de membres sur le terrain », dont l’action, malgré leur bravoure, « n’a pas suffi à contenir la crise ».
Malgré l’augmentation de 40 % du budget de la police, le recrutement et l’acquisition d’équipements, Saint-Cyr a estimé que « Haïti se trouve à l’épicentre d’une menace régionale inédite », avec des réseaux criminels transnationaux lourdement armés. Selon lui, seule une « force robuste disposant de moyens logistiques et financiers adéquats » pourra restaurer la sécurité. Il a remercié les États-Unis et le Panama pour leur initiative au Conseil de sécurité en faveur d’une résolution établissant une force de « suppression des gangs ».
Appel à la solidarité internationale et critique des blocages
Saint-Cyr a dénoncé toute tentation d’utiliser la complexité de la crise comme prétexte à l’inaction, aux blocages géopolitiques ou à de « négociations sans fin » qui profitent aux criminels. Il a salué les positions de l’OEA, de la CARICOM et des États ayant soutenu Haïti dans ses précédentes crises, avant d’appeler à un haut niveau de coopération régionale contre le trafic d’armes, de munitions, de drogues et de financements. « Silence or inaction is not an option », a-t-il martelé.
Le Conseil présidentiel de transition et l’agenda électoral
Plaidant la légitimité de la transition, il a rappelé que le CPT est né d’un « consensus politique », soutenu par la CARICOM et d’importants partenaires. Son agenda prioritaire demeure l’organisation d’élections « libres et crédibles ». À ce titre, il a indiqué que 85 % des centres de vote sont déjà identifiés, 70 % du personnel électoral mobilisé et un financement national de 65 millions de dollars garanti. « The Haitian people must be able to choose its leaders », a-t-il déclaré, tout en reconnaissant que la sécurité reste « le plus grand obstacle ».
Économie, réparations et diaspora
Le discours a ensuite abordé la relance économique : mise en place de deux pôles de développement (Nord et Sud) autour de l’agro-industrie, du textile, des énergies renouvelables, du tourisme et des services. Haïti a sollicité le renouvellement de la loi américaine HOPE/HELP et le lancement de projets urbains pour créer des emplois et réduire la pression migratoire.
Sur le plan mémoriel, Saint-Cyr a rappelé qu’en 2025 tombe le bicentenaire de la « rançon de l’indépendance » imposée à Haïti par la France. Saluant la déclaration d’Emmanuel Macron et la résolution de l’Assemblée nationale française du 5 juin 2025, il a affirmé que « justice et vérité » appellent désormais des mesures concrètes. « France, pays des droits de l’homme, a l’occasion d’écrire une nouvelle page », a-t-il dit, annonçant la création d’un Comité national pour les réparations et restitutions. Enfin, il a souligné « l’inestimable contribution de la diaspora haïtienne », malgré les sentiments ambivalents qu’elle nourrit envers l’État.
Migrations, justice et chute patriotique
Saint-Cyr a aussi insisté sur la dignité des migrants : « Behind every migrant, there is a face, a family, a story, and a contribution to the host country. » Il a plaidé pour une circulation régulière des personnes et des biens, en particulier par voie aérienne. Sur le plan institutionnel, il a mis en avant le décret du 16 avril 2025 créant deux pôles judiciaires spécialisés : l’un pour les crimes financiers complexes, l’autre pour les crimes de masse et les violences sexuelles.
En conclusion, il a rejeté toute idée de « Haiti fatigue » : « Silence would not be neutrality, it would be complicity. » Dans un registre lyrique et patriotique, il a rendu hommage à « un peuple parmi les plus résilients au monde », digne héritier des idéaux de liberté et de solidarité, affirmant que sa mission était de « rendre espoir » et appelant la communauté internationale à « bâtir la paix en Haïti, pour les Caraïbes, pour les Amériques, pour l’humanité ».
Une rhétorique entre réalisme et mise en scène
Par ce discours, Saint-Cyr a tenté d’ancrer la crise haïtienne dans une lecture régionale et universelle : menace transnationale, enjeux migratoires, mémoire coloniale. Mais si son appel à une « force robuste » et à des élections crédibles traduit une volonté d’engager la communauté internationale, il reste fragilisé par la faible légitimité interne du CPT et la dépendance totale vis-à-vis des bailleurs étrangers. La dénonciation des « discours sans suite » pourrait bien s’appliquer aussi à l’élite haïtienne elle-même.
cba