Par Reynoldson MOMPOINT
Port-au-Prince, le 10juin 2025
Il paraît que le pays a d’autres priorités. Enfin, c’est ce qu’on nous répète dans les congrès, dans les studios climatisés, sur les plateaux télé où les mêmes visages récitent les mêmes absurdités. Mais pendant que la majorité du peuple marche à pied, s’entasse sur des « tap-tap » en sursis ou rêve d’un pont pour traverser une rivière, la Primature et les 9 Conseillers de Transition ont décidé, eux, que la priorité, c’est… voler.
Pas fuir, voler. Dans les airs. En toute élégance.
Onze millions de gourdes, non, onze millions de DOLLARS, mesdames et messieurs ! C’est le joli pactole que l’administration de transition a offert à la compagnie Sunrise Airways pour “la relance des vols intérieurs”. Onze millions pour que quelques privilégiés puissent éviter les routes défoncées qu’eux-mêmes refusent de réparer. Onze millions pour éviter les gangs qui contrôlent les nationales, gangs qu’eux-mêmes ont armés, financés ou tolérés. Onze millions pour aller de Port-au-Prince au Cap-Haïtien sans saluer la misère entre les deux.
Il y a quelque chose de profondément indécent dans cette affaire. Une insulte à la logique. Un crachat au visage des oubliés.
Et pendant ce temps ?
Les hôpitaux publics manquent de gaz, de seringues, et parfois même de médecins.
Les écoles nationales ferment les unes après les autres, sans manuel, sans cantine, sans enseignants payés.
La justice est en grève depuis des mois. Les tribunaux sont devenus des cimetières administratifs.
Et les agriculteurs, eux, regardent le ciel… mais pas pour monter dedans : pour pleurer la pluie qui ne vient pas, les routes qui n’arrivent jamais, et les marchés qui crèvent.
Mais les conseillers, eux, ont trouvé la solution : faire voler la nation, littéralement, pendant qu’elle s’effondre.
Quel est le lien entre Sunrise Airways et la Primature ? Qui sont les actionnaires, les prête-noms, les vrais bénéficiaires de ce pactole public ? Silence radio. Secret d’État. Et comme d’habitude, aucune commission indépendante, aucun appel d’offres transparent, aucune ligne budgétaire identifiable. L’opacité reste la règle, le vol est peut-être aérien, mais il n’en reste pas moins politique.
Le plus ironique dans cette histoire, c’est que ces mêmes dirigeants qui investissent dans les airs n’investissent jamais dans la terre. Ils veulent survoler le pays, pas le redresser. L’élite veut échapper à la réalité. Et le gouvernement de transition, lui, est là pour assurer le décollage… de ceux qui ne veulent plus mettre les pieds dans la boue de la vraie Haïti.
Ce n’est pas Sunrise Airways qui décolle. C’est le cynisme. C’est l’arrogance. C’est l’indifférence.
Et pendant qu’on distribue des millions à une compagnie privée pour relancer les vols, le peuple, lui, reste cloué au sol. Écrasé. Étranglé. Enterré.
Mais on nous dira encore que c’est « pour le développement du transport aérien intérieur ». Et on vous regardera droit dans les yeux pour le dire. Sans rire. Sans honte. Sans turbulence.
Reynoldson MOMPOINT