2 octobre 2025
Haïti – Après le « travail bien fait » des gangs, l’avant-projet Constitution PHTK/CPT parachève le démantèlement de l’Etat — Bon pour la poubelle (BPLB)
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Haïti – Après le « travail bien fait » des gangs, l’avant-projet Constitution PHTK/CPT parachève le démantèlement de l’Etat — Bon pour la poubelle (BPLB)

se pa tout sa ki parèt bèl ki bon

La technocratie n’est pas un sauf-conduit pour légiférer sans consultation, ni une légitimité pour redéfinir l’État par décret

Le texte de l’avant-projet de Constitution PHTK-CPT rendu public le 20 mai 2025 appelle une lecture critique rigoureuse. Sous des dehors de prétendue modernisation administrative et de décentralisation, il introduit un système de gouvernance locale dont les implications, à la fois juridiques, économiques et géopolitiques, menacent les fondements même de la souveraineté nationale. La création de la fonction de gouverneur élu dans un territoire de moins de 27 850 km², équivalant à un État de taille moyenne, interroge profondément. Ce choix, tant sur le plan terminologique qu’institutionnel, révèle des intentions qui dépassent la simple organisation administrative.

L’introduction de gouverneurs élus, investis de pouvoirs exécutifs étendus sur les ressources du territoire, ne répond à aucun modèle éprouvé dans les petites républiques unitaires. A l’échelle d’Haïti, cette décentralisation extrême équivaut à une fragmentation du pouvoir d’État. En effet, ces gouverneurs ne seront pas révocables par le pouvoir central, ce qui soulève une double problématique : une dilution de la souveraineté de la République et l’instauration de potentats locaux aux prérogatives quasi-étatiques. Une telle structure reproduit les travers dénoncés depuis la période post-indépendance, où les chefs de provinces devenaient, de fait, des seigneurs territoriaux.

Le nœud de cette architecture réside probablement dans le contrôle des ressources minières. Dans un pays dont le sous-sol est riche — et convoité —, confier la gestion des concessions minières à des entités locales indépendantes du pouvoir central équivaut à une privatisation politique de la rente nationale. Ce mécanisme détourne le principe d’inaliénabilité du domaine public et crée un espace contractuel favorable aux entreprises transnationales, qui pourront négocier directement avec ces autorités locales. A terme, Port-au-Prince, capitale désinstitutionnalisée, deviendra une façade sans pouvoir réel. Le scénario dans lequel des diplomates, investisseurs ou émissaires internationaux atterrissent directement à l’aéroport du Cap-Haïtien ou aux Cayes (Aéroport International Voltaire) pour traiter avec des gouverneurs autonomes n’a rien de fictif : il est le miroir des États faillis où la balkanisation du pouvoir est encouragée pour mieux piller les ressources.

Une Constitution pour démanteler l’État après le travail “bien fait” par les gangs – Un projet bon pour la poubelle (BPLB)

L’expansion incontrôlée et souvent violente des groupes armés en Haïti a provoqué un affaiblissement profond de la capacité de l’État à exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. Ces groupes, qualifiés de gangs, ont progressivement pris le contrôle de zones stratégiques, déstabilisant les institutions publiques locales et paralysant les fonctions régaliennes telles que la sécurité, la justice et la gestion administrative. Ce phénomène s’apparente à ce que Pierre Clément et Jérôme Valluy décrivent comme une « capture de l’espace public par des acteurs non étatiques » (Clément & Valluy, 2019). En conséquence, un vide institutionnel s’est créé, avec l’émergence d’une gouvernance parallèle informelle et autoritaire, échappant à tout contrôle démocratique. La fragmentation du territoire et l’érosion de la souveraineté nationale sont ainsi devenues des réalités tangibles, confirmées par les rapports des Nations unies sur la situation sécuritaire en Haïti (MINUSTAH, 2017). Par ce « travail bien fait », les gangs ont contribué à la déstructuration de l’appareil étatique, minant la légitimité et la cohésion nationale.

L’avant-projet de Constitution PHTK-CPT sournoisement et juridiquement formalise cette désintégration institutionnelle. Plutôt que de renforcer l’unité et la souveraineté, ce texte qui enterre la légistique institue un modèle de gouvernance décentralisée à forte autonomie locale, notamment par l’élection de gouverneurs dotés de pouvoirs étendus sur les ressources minières. Hans Kelsen dans sa théorie de la norme fondamentale (Grundnorm), la Constitution doit garantir la cohésion et la pérennité de l’ordre juridique (Kelsen, 1960). Or, ce projet Martelly-Jovenel-Fritz Jean-Fils Aimé… fragilise cette cohésion en conférant aux gouverneurs des pouvoirs quasi souverains, difficiles à contrôler ou à révoquer par l’autorité centrale. Cette configuration rappelle la doctrine sur la fragmentation de l’État décrite par Michel Foucault dans ses analyses de la gouvernance décentralisée, où la souveraineté se dissout dans des micro-pouvoirs locaux (Foucault, 1976).

En ce sens, la réforme constitutionnelle, qui doit impérativement être soumise au Parlement conformément à l’article 284-3, risque de pérenniser un morcellement territorial et politique, au détriment de la stabilité démocratique et de l’intégrité territoriale d’Haïti, ce qui légitime un rejet critique fondé sur une analyse de droit comparé.

Ce projet mafieux ne cherche nullement à restaurer l’unité nationale ; il consacre plutôt sa dissolution méthodique. Il ne s’agit plus d’une simple dérive administrative, mais d’une rupture systémique : le territoire haïtien est méthodiquement reconfiguré en une mosaïque de zones franches à gouvernance autonome, où des gouverneurs — avatars contemporains des anciens chefs de section — exerceraient un pouvoir non révocable, sans obligation de rendre compte à l’autorité centrale. Une telle configuration, juridiquement instable, politiquement explosive et éthiquement intenable, relève d’un projet à écarter sans équivoque : bon pour la poubelle (BPLB).

En droit constitutionnel comparé, les expériences de balkanisation déguisée sous couvert de décentralisation sont nombreuses et instructives. En Somalie, la reconnaissance de facto des États fédérés (Puntland, Jubaland) a consacré l’effacement de l’autorité centrale sans reconstruction politique. En Libye post-Kadhafi, l’absence de coordination verticale entre les villes (Misrata, Benghazi, Tripoli) a favorisé des entités miliciennes se dotant d’un pouvoir fiscal et militaire local. L’arrêt « Reference re Secession of Quebec » (Cour suprême du Canada, [1998] 2 R.C.S. 217) rappelle que toute réorganisation profonde d’un État doit respecter les principes de continuité institutionnelle, de respect de la démocratie et de la primauté du droit. De même, dans l’affaire « South Sudan Referendum Act (2011) », la communauté internationale n’a reconnu la scission que parce qu’elle s’appuyait sur un processus constitutionnel rigoureux, validé par l’État central — ce qui n’est pas le cas ici.

Ce projet, porté par les cercles proches de M. Fritz Jean, ancien gouverneur de la Banque de la République d’Haïti et universitaire reconnu, soulève des enjeux éthiques et politiques majeurs. Il ne saurait être unilatéralement imposé à une nation dont le tissu intellectuel est remarquablement dense et pluraliste. La formation de M. Jean dans les universités nord-américaines ne constitue nullement un monopole de compétence. D’éminentes personnalités telles que M. Fils-Aimé, M. Jerry Tardieu, parmi tant d’autres Haïtiens diplômés des plus grandes institutions académiques d’Europe et d’Amérique, témoignent de la diversité des expertises disponibles. En ce sens, l’expertise technocratique ne saurait valoir brevet de souveraineté normative, ni autoriser la reconfiguration unilatérale de l’État en dehors d’un véritable processus démocratique et délibératif.

Ce projet trahit une vision conjoncturelle de la norme suprême. Or, une Constitution engage l’avenir sur plusieurs générations. Selon la théorie de Hans Kelsen, la Constitution établit le socle de l’architecture institutionnelle et des rapports entre les détenteurs du pouvoir et la société. Elle ne saurait donc être envisagée comme un simple instrument conjoncturel, assujetti aux contingences politiques du moment, mais doit assurer une continuité, une cohérence structurelle et une légitimité partagée à long terme. Implanter un dispositif institutionnel instable et potentiellement fragmentaire équivaut à compromettre l’horizon démocratique et institutionnel d’au moins trois ou quatre générations d’Haïtiennes et d’Haïtiens.

Ce texte constitutionnel ne saurait être réduit à une simple réforme institutionnelle ; il s’agit d’un véritable acte de refondation, redéfinissant en profondeur la nature même de l’État haïtien. Loin de renforcer l’unité nationale ou de répondre aux exigences démocratiques exprimées depuis plusieurs décennies, il institue les conditions d’une fragmentation autoritaire du territoire et d’une captation progressive des ressources nationales hors de tout contrôle républicain. En cela, il rompt avec les principes fondamentaux de l’État unitaire et de l’indivisibilité de la souveraineté. Une telle entreprise appelle un rejet sans équivoque. Comme le rappelle à juste titre l’adage populaire haïtien : se pa tout sa ki bèl ki bon. Ce projet, au regard de ses implications structurelles, relève moins de l’innovation constitutionnelle que du sabordage étatique. Il est, en toute rigueur, bon pour la poubelle — BPLB.

cba

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