Une Constitution pour les nuls (et pour les experts consternés)
Aux juristes et aux amoureux du droit et de la syntaxe cohérente,
C’est avec un enthousiasme mêlé d’effroi que j’ai parcouru l’ »Avant-projet de la Constitution de la République d’Haïti – Mai 2025″. Et comme tout bon document fondamental censé garantir l’ordre, la clarté et la prévisibilité des institutions, celui-ci… n’a pas lu le manuel.
Ah, la légistique ! Cette science ingrate de rendre le droit lisible, logique et cohérent. Dans ce texte, elle est enterrée vivante, étranglée par les bras d’un comité visiblement en panne d’harmonisation terminologique, de rigueur rédactionnelle et, soyons honnêtes, de cohérence conceptuelle.
L’obsession de la répétition : le syndrome de l’article miroir
Pourquoi dire quelque chose une fois quand on peut le répéter sous trois formulations différentes et contradictoires ? L’article 1 proclame Haïti « indivisible, souveraine, indépendante, libre, démocratique et solidaire », tandis que quelques pages plus loin, on découvre que les départements, les communes, et bientôt chaque ruelle de Port-au-Prince auront leur gouverneur, leur plan de développement et leur droit quasi féodal à l’autogestion.
Autonomie, oui. On peut le comprendre. Mais, fragmentation schizophrénique ? Non.
Un chef d’opposition désigné par le Conseil électoral
Oui, vous avez bien lu. L’article 30-4 nous annonce que le chef de l’opposition ne résulte pas du jeu politique ou de la pratique démocratique… mais d’un calcul administratif. En cas d’égalité, on passe du nombre de députés au nombre de gouverneurs, puis de maires, puis – pourquoi pas ? – du nombre de points cumulés les terrains de golf de Trump. Voilà une manière tout à fait sérieuse de construire une opposition institutionnelle solide.
La durée de mandat : un festin de réélections à volonté
Le maire ? Rééligible à l’infini. Le gouverneur ? Rééligible à l’infini. Les sénateurs ? Pareil. Même les fonctionnaires de l’empire ottoman avaient plus de limites. L’alternance politique tant vantée en préambule est donc une chimère légitime, car rien n’empêche la constitution d’un club d’amis bien ancrés au pouvoir pour l’éternité.
La rédaction : entre archaïsmes, approximations et lyrisme légaliste
Le texte semble hésiter constamment entre la prose révolutionnaire de 1804 et le langage administratif d’un manuel de procédure de 1974. Exemples savoureux :
- « La loi électorale encourage la candidature des jeunes et des femmes ». Encourage ? Un texte normatif ne fait pas de coaching. Il prescrit ou il ne dit rien.
- « Tout projet peut être retiré tant qu’il n’a pas été définitivement voté. » Merci pour cette tautologie législative digne d’un exercice d’école primaire.
Le trop-plein d’intentions générales sans mécanismes effectifs
La Constitution promet tout : santé universelle (article 20), éducation gratuite à tous les niveaux (article 35-1), protection pour les personnes à besoins spéciaux, participation de la diaspora, quotas de 40 % de femmes… sans la moindre indication sur les moyens de mise en œuvre, les organes de contrôle ni les sanctions applicables en cas de manquement.
Ce texte est une déclaration de vœux pieux plus qu’un acte juridique structurant. On aurait pu l’intituler « Discours à la Nation – version PowerPoint ».
La cerise sur le gâteau : un Conseil Interdépartemental… pour faire quoi, exactement ?
Ah, ce mystérieux Conseil Interdépartemental (article 69) ! Il « étudie et planifie », il « assiste avec voix délibérative », mais son rôle réel, ses pouvoirs, sa composition, son financement ? Néant. On a ici une institution fantôme, qui semble exister uniquement pour donner l’impression d’un État en marche. Rappelons qu’un conseil qui ne décide rien, ce n’est pas de la décentralisation. C’est du théâtre administratif.
Entre ambition et improvisation, une Constitution à revoir sérieusement
Oui, il faut refonder les institutions haïtiennes. En tout premier lieu, respectons les procédures. Et, de grâce, présentons un texte intelligible, hiérarchisé, juridiquement fonctionnel et politiquement crédible.
Car à force de vouloir tout dire à tout le monde, on finit par ne rien garantir à personne – sauf peut-être aux juristes constitutionnalistes, qui y trouveront du travail pour plusieurs générations.
Josten Louinon

