Ce capitaine noir, inconnu des grandes cours européennes, a défié les puissants généraux de Bonaparte avec l’audace d’un Spartacus tropical.
À l’ombre des géants que furent Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines ou Henri Christophe, il est des figures que l’Histoire, dans sa marche impitoyable, a reléguées aux marges. Jacques Maurepas, officier noir de l’armée indigène, fut de celles-là. Et pourtant, son nom, son courage, et sa mort — brutale, glaçante, tragique — méritent les honneurs d’une légende nationale.
Au cœur de l’année 1802, les tambours de la reconquête résonnent sur les côtes de Saint-Domingue. Bonaparte, dans un élan impérial, dépêche son beau-frère, le général Leclerc, à la tête d’une imposante expédition. Objectif : rétablir l’ordre colonial et réduire les aspirations d’indépendance qui enflamment l’ancienne colonie la plus riche des Amériques. Mais la flamme de la liberté, attisée par dix années de luttes et de sacrifices, ne s’éteint pas si aisément.
Dans le Nord-Ouest de l’île, un homme se dresse. Jacques Maurepas, soldat discipliné et loyal à Toussaint Louverture, commande Port-de-Paix, ville stratégique au bord de la mer des Caraïbes. Quand l’ombre des vaisseaux français s’étend sur l’horizon, il comprend que le combat est inévitable. Le 12 février 1802, dans un geste à la fois désespéré et grandiose, Maurepas fait incendier sa propre ville. Port-de-Paix est réduite en cendres, mais l’ennemi ne posera pas le pied sans douleur.
Replié dans les montagnes de Trois Pavillons, avec une poignée d’hommes, il résiste. Les Français lancent deux assauts successifs. Le général Jean Humbert puis Jean-François Debelle tentent de briser la forteresse de roche et de feu que Maurepas a érigée. En vain. Chaque fois, les troupes impériales essuient des pertes lourdes et humiliantes. Ce capitaine noir, inconnu des grandes cours européennes, défie les puissants généraux de Bonaparte avec l’audace d’un Spartacus tropical.
Mais la grandeur héroïque n’a pas toujours la récompense qu’elle mérite.
Acculé, encerclé, affamé, Maurepas finit par se rendre. C’est le 25 février. On lui promet la vie sauve, on lui offre même de rester à son poste, sous commandement français. L’homme accepte, peut-être dans un souffle de pragmatisme, peut-être pour épargner les siens. L’histoire, elle, ne lui pardonnera rien.
Peu après, une révolte éclate dans le Nord. Capois-la-Mort entre en insurrection. Maurepas est accusé, sans preuve, de connivence. Le couperet tombe. Le général Brunet l’arrête. Lui, ses soldats, son épouse, ses enfants. Ils sont conduits au Cap-Français. Là, sans procès, sans défense, sans appel, ils sont livrés à la barbarie.
17 novembre 1802. Au large, dans les eaux sombres de la rade, les corps sont lestés, précipités dans la mer comme de simples fardeaux humains. Rochambeau, l’homme à la poigne de fer et à l’âme d’acier, a ordonné l’exécution. Jacques Maurepas, vaillant soldat, père de famille, héros de Port-de-Paix, est englouti par les flots.
Et avec lui, une page bouleversante de la Révolution haïtienne.
Aujourd’hui encore, peu de statues, peu de rues, peu de livres rappellent son nom. Mais dans les silences profonds de l’histoire haïtienne, son écho résonne. Il est la voix des combattants sacrifiés, des fidélités brisées, des promesses trahies.
Jacques Maurepas ne fut ni le plus célèbre, ni le plus décoré. Il fut, en revanche, l’un des plus dignes. Et cela suffit à faire de lui un immortel.
“La liberté a parfois le goût du sang, du feu et de l’abandon. Mais elle ne meurt jamais dans le cœur des justes.”
— Hommage gravé sur une pierre oubliée de La Croix Saint-Joseph.
Elensky Fragelus


