L’Edito du Rezo
A bien des égards, le CPT incluant les brauqurs de la BNC et Alix Didier Fils-Aimé, à l’instar des gangs armés a sapat qui imposent leur loi par la terreur, participent à la mise en péril des fondements de l’État haïtien. Tous deux opèrent en dehors du cadre légal, ignorant délibérément les normes constitutionnelles, et sapent ainsi l’autorité légitime du droit.
Après le drapeau, le déni de la Constitution : vers un coup de force juridique à visage transitionnel. La crise haïtienne relève moins d’un déficit constitutionnel que d’une impasse politique et éthique. Ce n’est pas tant le texte de 1987 qui est en cause que l’incapacité chronique — voire la volonté délibérée — des autorités successives à en garantir la mise en œuvre. Elles ont systématiquement opté pour l’arbitraire, l’exception érigée en norme et l’érosion continue de l’État de droit.
A peine les cérémonies du 18 mai clôturées dans la précipitation — commémorant les 222 ans du drapeau haïtien, emblème de la souveraineté conquise et de l’affirmation nationale —, les autorités de la transition, agissant sur la base d’un accord dépourvu de fondement constitutionnel, s’engagent dans une démarche juridiquement incertaine : la remise officielle, ce mercredi à la Villa d’Accueil à Musseau, d’un projet de nouvelle Constitution, élaboré par le président du comité de pilotage de la Conférence nationale, Me Enex Jean-Charles, et son équipe, à l’intention du Conseil Présidentiel de Transition (CPT).
Or, cette démarche entre en contradiction flagrante avec les prescriptions de la Constitution de 1987. Celle-ci ne reconnaît à aucun organe, encore moins à un pouvoir de fait, la compétence pour rédiger une nouvelle Constitution. La Charte fondamentale prévoit uniquement la possibilité de révisions, dans un cadre précis et selon des procédures rigoureuses.
Par ailleurs, même dans l’hypothèse – déjà contestable – où ce texte viendrait à être validé, aucun référendum ne pourrait légalement se tenir avant un délai minimal de dix-huit mois, temps requis pour préparer une consultation populaire dans un climat de transparence, de stabilité et de débat démocratique.
Une telle précipitation conduit inévitablement à s’interroger sur un enjeu fondamental : quel sens donner à l’élaboration d’une nouvelle Constitution quand, depuis 1987, aucune des grandes lois d’accompagnement prévues pour structurer et fortifier la République (telles que les lois organiques sur la décentralisation, l’organisation des collectivités territoriales, ou le fonctionnement des institutions indépendantes) n’a jamais été adoptée ? Le problème d’Haïti n’est pas tant constitutionnel que politique et moral. La faillite ne réside pas dans le texte de 1987, mais dans l’incapacité – ou la mauvaise foi – des gouvernants successifs à en assurer l’application, préférant la dérive permanente, l’exception institutionnalisée et le mépris de l’État de droit.
Plus encore, cette tentative de substitution constitutionnelle dans un contexte de vide institutionnel manifeste une volonté persistante de contourner le pacte républicain pour renforcer des structures de pouvoir sans enracinement populaire. Elle traduit, au fond, une forme d’aliénation politique : celle d’une élite dirigeante qui, refusant la discipline républicaine, cherche à se légitimer par des artifices de procédure. Une élite qui, sous prétexte de réforme, n’aspire qu’à reproduire des logiques autoritaires et coloniales, sans jamais se soumettre à l’exigence démocratique ni à la souveraineté du peuple haïtien.
Derrière l’apparente technicité de ce projet constitutionnel se profile donc un renoncement. Renoncement à la mémoire des luttes, à l’idéal démocratique de 1987, et à la rigueur de l’État de droit. À force de dévoyer les textes pour servir des intérêts conjoncturels, les dirigeants actuels ne font que creuser davantage le fossé entre le pouvoir et la nation, entre la loi et la légitimité, entre la souveraineté et la servitude.