Le 9 mai 1945 demeure, dans de nombreux pays d’Europe orientale et en Russie, la date symbolique marquant la victoire sur l’Allemagne nazie. Alors que la reddition militaire fut initialement signée à Reims le 7 mai 1945, la demande soviétique d’un second acte formel à Berlin conduit à la ratification le 8 mai à 23 h 01, heure d’Europe centrale, soit le 9 mai à 01 h 01, heure de Moscou (Beevor, 2012). Cette différence d’heure donna naissance à deux traditions commémoratives distinctes, enracinées dans des perspectives politiques divergentes.
Du côté soviétique, cette date devint la Journée de la Victoire (День Победы), célébrée chaque année avec faste à Moscou. Elle symbolise non seulement la fin de la guerre, mais aussi l’héroïsme du peuple soviétique, souvent qualifié de « peuple-vainqueur » (Figes, 2007). Les pertes humaines subies par l’URSS — estimées à 27 millions de morts (Mazower, 2011) — expliquent en partie la centralité mémorielle de cette journée. Elle s’inscrit dans une politique de réécriture de l’histoire, servant à légitimer le pouvoir, de Staline à Poutine.
Dans les pays d’Europe occidentale, le 8 mai est resté la référence officielle, commémorée notamment en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis comme le Victory in Europe Day (VE Day). Cette disparité reflète les tensions de la Guerre froide naissante et l’émergence d’un récit occidental de la libération, souvent en opposition avec le récit soviétique centré sur la « Grande Guerre patriotique » (Werth, 2020).
Aujourd’hui encore, la mémoire du 9 mai est source de controverses mémorielles. Tandis que la Russie perpétue un culte de la victoire, les États baltes, la Pologne ou l’Ukraine dénoncent la répression qui suivit la défaite allemande et l’imposition du régime soviétique. Comme l’indiquent Snyder (2010) et Kéchichian (2022), le 9 mai est devenu un terrain de compétition symbolique, où s’affrontent des lectures nationales antagonistes de l’histoire contemporaine.
Les conflits contemporains, en particulier la guerre en Ukraine depuis 2014 et l’invasion de 2022, ravivent ces fractures. Le passé est mobilisé pour justifier les actions présentes. Le 9 mai devient alors plus qu’une date historique : un outil de pouvoir, de propagande et d’affirmation identitaire, à la fois domestique et internationale.
Références bibliographiques :
- Antony Beevor, La Seconde Guerre mondiale, Calmann-Lévy, 2012.
- Orlando Figes, Les Chuchoteurs. Vivre et survivre sous Staline, Denoël, 2007.
- Mark Mazower, Noir continent. L’Europe face aux ténèbres, Flammarion, 2011.
- Timothy Snyder, Terres de sang. L’Europe entre Hitler et Staline, Gallimard, 2010.
- Nicolas Werth, La Route de la Kolyma : voyage sur les traces du Goulag, Actes Sud, 2020.
- Jean-François Kéchichian, « 9 mai 1945, ou la guerre des mémoires », Politique étrangère, vol. 87, n°2, IFRI, 2022.

