Reynoldson Mompoint
Port-au-Prince
Le 30 avril 2025
On connaît la chanson : Moïse Jean-Charles, fils autoproclamé de Dessalines, pourfendeur de la bourgeoisie, flagelleur de l’international, grande voix du peuple opprimé. Mais à mesure que le rideau tombe, les projecteurs révèlent autre chose : un politicien comme les autres. Pire : un prestidigitateur de la trahison, un virtuose du camouflage. Et c’est sous Jovenel Moïse que son art atteint le niveau olympique.
Quand Jovenel prend le pouvoir en 2017, l’ex-maire de Milot, troisième des présidentielles de 2015, s’installe dans une posture double-face. En façade, opposant intransigeant. En coulisse, silence radio. On attendait qu’il cogne. Il chuchotait. On espérait la rue. Il méditait. Quand la foule voulait l’action, il sortait à contresens. Toujours à contretemps. Toujours à contre-peuple.
Pendant que le G9 arrosait les quartiers populaires de balles, pendant que La Saline saignait, pendant que Bel Air flambait, l’ex sénateur du Nord se contentait de communiqués tièdes, de marches muettes. Oui, il critiquait. Mais jamais trop fort. Comme s’il avait peur de rompre un pacte invisible.
Certains parlaient déjà de « gentlemen agreement » entre le PHTK et une opposition domestiquée. Il était question des passe-droits à l’aéroport, des visas en coulisse, des diplomates indulgents. Trop lisse pour un rebelle. Trop docile pour un insurgé.
7 février 2021 était une date-charnière. Le mandat de Jovenel, selon la lecture majoritaire de la Constitution, devait s’arrêter là. L’opposition s’enflammait. Et Moïse ? Absent. Silence pesant. Discret comme un poisson-pilote dans le courant du pouvoir.
Le même chef de Pitit Dessalines qui criait “Aba Ameriken” sous le soleil de Delmas se retrouvait désormais à négocier, en sourdine, sous les néons feutrés des ambassades. La révolution change de ton quand les visas sont mis de la partie.
Puis vient le 7 juillet 2021. Jovenel est supplicié. Le pays plonge. Et Moïse Jean-Charles, lui, passe en mode prophète. Il dénonce mollement. Accuse sans nommer. Jamais il ne frappe à la racine. Jamais il ne convoque ses bases. Pourquoi ? Parce qu’il a déjà un œil sur la suite. Parce qu’un autre fauteuil lui fait envie : celui de la transition.
Et le voilà qui entre dans le gouvernement d’Ariel Henry. Intérieur, Douane, Justice sont ses parts du gâteau. Puis s’en prend à ce même Ariel dans des marches prétendument populaires, orchestrées avec les mêmes parrains, juste à cause d’une baisse de ses privilèges. Pour enfin s’asseoir dans le Conseil Présidentiel de Transition en 2024. La boucle est presque bouclée. L’hypocrisie est totale.
Moïse Jean-Charles a traversé les couloirs de Préval, caressé les silences de Martelly, édulcoré sa critique de Jovenel, pour finir… conseiller présidentiel. Non plus en tribun enragé, mais en homme d’appareil. Assis à la même table que ceux qu’il traitait hier de « macoute modern ». Recyclé parmi les oligarques qu’il promettait de balayer.
Et dans sa politique de survie, il grogne contre une transition dont il s’est lui-même accaparé les secteurs névralgiques : la justice, la sécurité, tout ce qu’il peut instrumentaliser pour neutraliser ses adversaires. Pendant ce temps, la feuille de route du ministère de l’Agriculture devient un marché noir, bradée en faveur de son trafiquant d’anguilles, aujourd’hui soupçonné de trafic d’organes, selon les révélations du journaliste anti-corruption Djovany Michel.
Moïse Jean-Charles ? Un cancre recyclé de Fanmi Lavalas et de Lespwa. Un Conzé plus retors que Jean-Baptiste.
Il avait juré : « M pa gen poum chita ak okenn ènmi pèp la. » Aujourd’hui, il siège à leurs côtés.
Reynoldson Mompoint