18 mars 2025
Vers une nouvelle standardisation du « créole haïtien » !
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Vers une nouvelle standardisation du « créole haïtien » !

Avertissement : Ce texte tient seulement à attirer l’attention sur la problématique du nom de la langue haïtienne tout en invitant à une plus grande standardisation (par exemple en forgeant des exonymes originaux pour les pays). Pour des propositions plus concrètes, cela pourra faire l’objet d’un autre texte.

Pourquoi notre langue s’appelle communément encore « le créole haïtien », ou tout simplement « créole (kreyòl) » surtout par les haïtiens eux-mêmes ?

Tout d’abord, il faut dire que le terme « créole  » ne désigne pas le nom d’une langue de façon générale, mais se définit plutôt comme une langue ayant pris naissance à partir de mélanges d’autres langues dans le contexte historique des contacts entre peuples différents.

Quant au « créole haïtien », il s’est forgé au XVII ème siècle pour répondre à la nécessité de communication entre les colons français et les esclaves — qui eux parlaient diverses langues, car provenant de tribus distinctes d’Afrique.

Les colons voulaient se faire comprendre des esclaves, et ces derniers voulaient se faire comprendre entre eux : ainsi naquit le « créole haïtien « , mélange du français et de langues africaines — sans oublier les traces indiennes, espagnoles et anglaises.

À partir de là, il faut comprendre que le « créole » n’est pas un autonyme, mais de préférence un type linguistique, au même titre que le dialecte, le sabir, le pidgin, ou les langues standardisées.

Voilà pourquoi, il n’y a pas un « créole », mais plusieurs, qui peuvent être à base lexicale française, anglaise, espagnole, arabe, etc. Et parmi les créoles à base lexicale française, pour les distinguer, on doit généralement ajouter un épithète qui est similaire au gentilé du peuple qui le parle. C’est pourquoi, quand il faut préciser de quel créole antillais il en est, on dit : « créole haïtien », « créole martiniquais », « créole guadeloupéen », « créole guyanais », etc.

C’est justement là où se situe notre problématique. Pourquoi, pour parler de ces langues, en l’occurrence le « créole haïtien », le mot « créole » doit-il s’imposer ? Pourquoi, au lieu de dire « créole haïtien » ou « créole » — tout simplement pour désigner cette langue — ne dit-on pas seulement « haïtien »? Alors qu’on sait que beaucoup de langues maternelles, qui possèdent en plus le statut officiel, se nomment par leur autonyme tel que « English », « Deutsche », « Rousskiy » ( « Русский » en translittération cyrillique), entre autres, — lesquels ont leur équivalent en exonyme français respectif qui est « anglais », « allemand », « russe ».

Certes, notre langue est bien issue d’un processus de créolisation, mais ce créole pourrait bien avoir son nom propre. Par exemple, quand il s’agit de nombreux dialectes, on ne juxtapose pas ce substantif au côté du gentilé du peuple qui le parle ou du toponyme de la région où il est parlé. Ainsi on ne dit pas usuellement  » dialecte bavarois », « dialecte souabe » pour parler de dialectes allemands, ou encore « dialecte napolitain », « dialecte sicilien », « dialecte vénitien » pour parler de dialectes italiens. Encore moins, on ne dit simplement « dialecte » pour alluder à ces variantes qui sont bien des dialectes. On voit bien que ces exonymes français n’avaient pas besoin de se chaperonner du mot « dialecte ».

Même si telle langue est un créole, utiliser à chaque fois le mot « créole » pour la désigner ne serait-il pas un artifice pour instiller furtivement dans les esprits qu’il s’agit d’une langue de seconde zone dans l’univers linguistique ou au sein d’une population ? Cela n’engendrerait t’il pas des complexes inconscients (quoique pas nécessairement ) pour ses locuteurs ? Ne compliquerait-il pas des travaux de standardisation en cantonnant beaucoup, y compris des linguistes, dans un paradigme qui tend à conserver des procédés basiques de simplification de la langue lexificatrice (c’est-à-dire dire celle dont est issu le créole )?

Si l’enrichissement d’une langue passe par une certaine complexité ou une certaine sophistication, alors vouloir simplifier ou laisser notre langue sous sa forme la plus simplifiée sur le plan grammatical, syntaxique, orthographique, etc, — quand bien même on agrandirait le vocabulaire par l’insertion de nouveaux mots — inhiberait son développement et relèverait encore plus de créolisation. Par conséquent, étant toujours un créole, on s’adonnerait au réflexe de l’appeler « créole haïtien », ou « créole » tout court.

Inversement, il ne s’agit pas de se lancer dans un processus de « décréolisation », laquelle se caractérise par une reconvergence vers la langue lexificatrice, en l’occurrence le français. D’ailleurs, en Haïti, on constate assez souvent cette transition — quoique incomplète — vers la décréolisation dans les milieux académiques, soit pour se distancer au niveau des articulations des mots par rapport à ceux qui n’ont pas fait des études supérieures par exemple, ou encore par adoption d’un sociolecte, voire par présomption. Et d’autre part, parce que le mot que le locuteur cherche n’existe pas dans le vocabulaire du « créole haïtien » et qu’il ne veut pas se hasarder à apporter une modification phonétique et morphologique « créole » à un mot emprunté au français, en laissant celui-ci intact.

Dans les deux cas, « créolisation » ( que je définis comme la simplification d’une langue dérivée d’une autre) et « décréolisation », rendent notre langue trop « tributaire » ou trop « proche » du français. Cela empêche des innovations grammaticales, ou plus largement linguistiques. Ceci dit, il n’est pas question de couper les ponts avec le français, en cessant d’être influencé par celui-ci — l’anglais par exemple est significativement influencé par le français en termes de vocabulaire, (jusqu’à 30% des mots d’origine française,) pourtant ça n’en fait nullement un créole à base lexicale française. 

L’important c’est de faire évoluer notre langue dans une voie qui n’est pas encore tracée et de connaître des transformations révolutionnaires. En somme, il convient de s’aventurer dans une démarche qui s’écarte à la fois de la « créolisation » et de la « décréolisation ». Cette démarche doit répondre à une standardisation innovante et singulière.

Cela passe par exemple par trouver un nom propre à notre langue. Si on omettait seulement le mot « créole » de l’expression « créole haïtien », on aboutirait à la dénomination « haïtien ». Autrement dit, on appellerait notre langue tout simplement « haïtien ». Mais ce faisant, elle serait orpheline de son propre autonyme, car le mot « haïtien » n’étant que l’exonyme français pour la désigner. Par ailleurs, si on ne change que la morphologie, en adoptant une plus « créole » comme « ayisyen », cela n’en demeurerait pas moins un exonyme français, du moins sur le plan phonétique, et ce serait tomber dans ce que j’appelle la « créolisation » simpliste du français.

Comme nous disions, la standardisation novatrice, qui consiste à ériger de nouvelles règles grammaticales, syntaxiques, orrhographiques, morphologiques tout en s’affranchissant en ce sens du français, sera consubstantielle à la conception d’un autonyme original pour notre langue.

N.B.: Ce texte pourrait faire l’objet d’une réédition pour plus d’approfondissements et de perspectives.

Boris Charles,

Port-au-Prince,

11 février 2025

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