Quel est le montant exact débloqué pour ces trois jours de retraite ? Ce CEP, chargé d’organiser des élections dites crédibles, libres et transparentes, patati patata est-il prêt à rendre public le budget alloué à cette initiative, alors même qu’une grande partie de la population lutte quotidiennement pour se nourrir ?
Le Conseil Electoral Provisoire (CEP) d’Haïti a entamé une retraite exécutive au Cap-Haïtien, en partenariat avec la Fondation Internationale pour les Systèmes Electoraux (IFES). Officiellement, cet événement de trois jours, du 3 au 6 décembre 2024, vise à consolider les bases de l’organisation des prochaines élections, un exercice qui, dans un contexte d’effondrement sécuritaire total, revêt plus un enjeu symbolique qu’une réalité imminente.
Alors que la capitale Port-au-Prince est en proie à une violence extrême, que des gangs font la loi dans une grande partie du pays, l’idée même d’organiser des élections paraît irréaliste à une majorité d’Haïtiens. Le CEP, institution fragmentée et incomplète, offre une partition déconnectée des besoins urgents du pays. La fuite de la capitale vers la relative tranquillité du Cap-Haïtien symbolise une évasion plus large des responsabilités essentielles, notamment la réaffirmation de la souveraineté démocratique face à une crise existentielle.
Les conseillers électoraux, emmenés par Jacques Desrosiers et la vice-présidente Schnaïda Adély, affirment vouloir évaluer les infrastructures électorales, notamment les Bureaux Electoraux Départementaux (BED) et les Bureaux Electoraux Communaux (BEC) dans le Nord. Cependant, cette approche manque de pertinence dans un pays où les infrastructures étatiques les plus élémentaires sont inexistantes ou échappent au contrôle du gouvernement.
Le rôle de l’IFES est en outre à reconsidérer. Présenté comme un partenaire technique clé pour assurer la crédibilité et la transparence du processus, cet organisme, au contraire, ne peut pas compenser les lacunes structurelles et institutionnelles du CEP. De même, cet organisme ne peut effacer le profond scepticisme de la population à l’égard d’un processus jugé imposé par la pression internationale plutôt qu’enraciné dans la volonté nationale.
L’insécurité reste le talon d’Achille de tout projet électoral. Dans ses déclarations, Jacques Desrosiers a insisté sur la séparation des responsabilités : le CEP est chargé d’organiser les élections, tandis que les autorités compétentes sont chargées de sécuriser le pays. Cette dichotomie ne tient pas compte du fait que l’incapacité des forces de l’ordre à garantir la sécurité compromet directement la faisabilité et la crédibilité du processus électoral. Comment envisager une élection libre et transparente dans un pays où se déplacer d’une commune à l’autre peut se faire au péril de sa vie ?
Par ailleurs, la symbolique de cette retraite n’échappe à personne. Alors que le pays est paralysé par l’insécurité et une économie moribonde, que des chefs de gangs notoires comme Barbecue gardent une influence omniprésente, les membres du CEP fonctionnent dans une bulle détachée des souffrances quotidiennes de la population. Cet éloignement physique et symbolique du terrain traduit une crise de représentativité et d’efficacité.
La CEP promet un dialogue inclusif, mais les annonces de consultations avec la société civile et les acteurs politiques ont suscité peu d’enthousiasme. Dans un contexte de méfiance et de manque de légitimité des institutions, ces initiatives encourent le risque d’être perçues comme des manœuvres cosmétiques sans impact réel.
La question demeure : les élections promises peuvent-elles vraiment avoir lieu ? Et si oui, dans quelles conditions ? La retraite du Cap-Haïtien pourrait bien n’être qu’une nouvelle étape d’un processus déjà discrédité, où les espoirs de solutions concrètes s’éloignent de plus en plus. Pendant ce temps, la population haïtienne continue de subir les effets dévastateurs d’une mauvaise gouvernance, d’une insécurité galopante et d’une communauté internationale souvent accusée d’être complice de l’inertie nationale.
Les enjeux de cette retraite vont bien au-delà des discussions logistiques sur le matériel électoral ou le découpage électoral. Ils touchent au cœur de la crise haïtienne : l’absence d’un Etat capable, légitime et répondant aux aspirations réelles de son peuple. A ce titre, l’organisation d’élections risque d’être un exercice futile, visant davantage à maintenir les apparences démocratiques qu’à résoudre les problèmes de fond du pays.
Guyno DUVERNE
duverneguyno@gmail.com



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