Il est toujours recommandé d’éviter de bâtir sur des fondations vermoulues, un principe qui s’applique dans tous les domaines, et dans tous les pays, sauf en Haïti. Depuis déjà, quelques années, dans la gestion politique de l’État, c’est la méthode privilégiée des acteurs, de concert avec leurs tuteurs étrangers défendant la politique de leurs pays respectifs. Au bout de cinq mois d’un gouvernement, qui a échoué sur toute la ligne, Garry Conille, qui avait succédé à un autre médecin, forcé de quitter le pouvoir, pour les mêmes raisons, a été éjecté du pouvoir, lui-même révoqué par le Conseil présidentiel intérimaire, qui l’avait nommé. Celui-ci a reproduit textuellement le même modèle de pouvoir, dans le choix du nouveau chef de gouvernement, qu’avait mis en place les décideurs étrangers.
Ne dit-on pas que « Les mêmes causes produisent les mêmes effets » ? Placé aux commandes du gouvernement, à l’instigation présumée de la communauté internationale, le Dr Garry Conille, a quitté sa haute fonction onusienne, à l’UNICEF, pour devenir Premier ministre, succédant à un autre médecin urologue, Ariel Henry. Nommé Premier ministre, après l’assassinat de Jovenel Moïse, en sa résidence, à Pèlerin 5, dans les hauteurs de Pétion-Ville, le 7 juillet 2021, par le CORE Group (groupe de diplomates occidentaux), agissant sous la dictée de Washington, sa mission s’est révélée une vraie catastrophe. Aussi a-t-il été bloqué à l’étranger, par Washington, lors d’une double mission officielle, au Kenya et à la rencontre annuelle des pays de la CARICOM. Les Américains avaient profité d’un soulèvement quasi général des gangs armés, à cette occasion, au début du mois de mars, pour condamner Dr Henry à l’exil permanent, aux États-Unis.
Dans le cadre de son ingérence, dans les affaires d’Haïti, particulièrement l’intervention de l’ex-secrétaire d’État américaine Hillary R. Clinton imposant son choix présidentiel, en la personne de Michel Joseph Martelly, Washington met carrément en veilleuse la Constitution haïtienne. Si les États-Unis avaient manigancé la création d’un exécutif monocéphale pour remplacer Jovenel Moïse, avec le choix d’Ariel Henry comme président et Premier ministre, ils ont modifié autrement l’équipe décisionnelle haïtienne pour remplacer ce dernier. Par le biais de la CARICOM, comme suppléante, est mis sur pied un conseil présidentiel de neuf membres (dont deux sans droit de vote), avec autorité de nommer un Premier ministre, ayant suggéré le choix de Garry Conille, pour surveiller de près la gestion de l’État, au profit de la communauté internationale. Tout cela, encore à l’encontre de la Charte fondamentale du pays.
La cohabitation impossible du Conseil présidentiel de transition (CPT) avec le Premier ministre d’implantation exogène, suite à une succession de conflits, s’est soldée par la révocation du chef de gouvernement par la majorité des présidents conseillers. Cette décision semble traduire un geste indépendant, par rapport à la communauté internationale ayant l’habitude de toujours mettre le nez dans les affaires d’Haïti. En tout cas, le renvoi du Dr Conille, suivi de son remplaçant par l’homme d’affaires Alix Didier Fils-Aimé, jusqu’ici, semble passer comme une lettre à la poste. Sans doute en voulant exprimer le souci du CPT de répéter ce que les « pays amis » veulent entendre, à savoir le suivi de la feuille de route du Premier ministre destitué : le rétablissement de la sécurité, la réponse humanitaire, la relance économique et l’organisation d’élections justes, transparentes et démocratiques.
Lors de l’investiture du nouveau gouvernement, le Premier ministre Fils-Aimé s’est prononcé en ces termes : « Nous devons concentrer nos efforts sur un objectif fondamental : restaurer la sécurité pour redonner espoir à notre peuple », exhortant, de surcroit, les nouveaux ministres à agir sans tarder pour relever les nombreux défis auxquels se trouve confronté le pays. À son tour, le coordonnateur du CPT, Leslie Voltaire, le représentant du Parti Fanmi Lavalas de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, au sein de l’organisme présidentiel, n’est pas en reste, présentant la sécurité comme étant la « priorité absolue ». À cet effet, il précise : « La sécurité est le socle sur lequel repose la reconstruction de notre société. Chaque ministre doit prendre des mesures concrètes pour s’attaquer à ce problème ».
Mais, là où le bât blesse, les deux branches de l’Exécutif donnent l’impression de parler d’une seule et même voix. Quand on sait que Garry Conille et les membres du CPT, en sus d’Ariel Henry avant eux, s’étaient exprimés dans le même sens, rien n’autorise à croire qu’ils passeront de la parole aux actes. On en veut pour preuve les dernières victimes d’assassinats, de kidnappings, de viol, de vol, de braquage en sus d’autres territoires perdus, actes criminels commis sous le régime du CPT et de Garry Conille, aussi après le déploiement de la MMAS.
En effet, les acteurs politiques d’Haïti, des héritiers politiques de Martelly, de Moïse, d’Henry ou de Connille n’ont jamais cessé de faire de telles promesses à la nation. Mais le pays a fini par constater que la volonté, ou les moyens de leurs actions annoncées n’étaient jamais au rendez-vous. La gouvernance par des actions et décisions concrètes éclairées étant impossibles, la gent du pouvoir, à tous les niveaux, en Haïti, a recours au bluff, une politique généreusement et universellement appliquée, et adoptée même par la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS). Car, à l’instar de la PNH diffusant des rapports mensongers sur leurs opérations antigangs, les organes de presse du Kenya, citant les autorités de ce pays, ont fait de fausses relations par rapport à leurs opérations, sur le terrain, en Haïti, qui n’ont rien à voir avec la réalité.
Après tout ce qu’on a constaté, dans la gestion de la crise multidimensionnelle haïtienne, par les gouvernants de notre pays, et les dispositions d’ingérence des étrangers, dans les décisions d’État haïtiennes, il s’agit d’une vaste conspiration à l’encontre d’Haïti, chaque partie défendant ses intérêts personnels, ou la politique et la diplomatie de leurs pays. Voilà la tolérance, d’un côté comme de l’autre, pratiquée au profit de l’un l’autre.
Toutes ces libertés prises au détriment de la Constitution haïtienne, avec l’étroite collaboration de traitres politiques haïtiens alliés à des pays étrangers ayant recours à des actes de corruption comme appas, favorisent de telles dérives. Mais il est honteux que des pays comme les États-Unis, qui prétend être un modèle de démocratie et de rectitude dans la gouvernance, se prêtent à ces pratiques avilissantes. En voulant mettre au rancart la Charte fondamentale de notre pays, les États tuteurs font fi également de la souveraineté d’un pays indépendant, le second, derrière les États-Unis d’Amérique, à avoir acquis ce statut dans l’hémisphère occidental. Cet État a mené cette stratégie, en connaissance de cause, car sachant où il voulait en venir avec la première République noire de la planète.
De toute évidence, la mise en veilleuse de la Constitution haïtienne n’a pas l’air de conforter la politique des États-Unis et celle de leurs alliés. Car depuis qu’a été lancé le « modèle de gouvernance Ariel Henry », le système trébuchait, les contradictions dont il était entaché éclatant progressivement, jusqu’au constat de son échec. La formule Henry trouvée intenable, voilà proclamée la fin de son administration. Mais la communauté internationale n’a pas jugé nécessaire de renoncer à la politique d’ostracisme de la Constitution haïtienne, qui est reconduite à la faveur de l’éjection d’Ariel Henry de la primature.
Voilà donc mis sur pied un autre gouvernement en violation de la Charte fondamentale : Une présidence rotative avec un Premier ministre. Le choix d’Alix Didier Fils-Aimé comme Premier ministre, et l’investiture donnée aux nouveaux ministres constituent la preuve de l’échec de l’expérience Conille. Mais les Américains et leurs alliés ont raté une autre occasion de rectifier le tir. Encore une fois, Washington participe à la violation de la Constitution haïtienne ayant écarté le peuple haïtien dans le choix de ce dernier Premier ministre.
Dans ce contexte, Haïti-Observateur avait dénoncé l’illégalité de la présidence multicéphale ayant déclaré celui-ci un échec annoncé d’avance. Selon l’hebdomadaire de New York, cela constitue, non seulement une violation de la Constitution, mais encore un instrument de blocage administratif. Car, arguait H-O, les neuf membres du Conseil présidentiel ne s’entendraient jamais sur les décisions de l’administration, en sus de représenter neuf personnes à surveiller par rapport à la tentation de corruption.
Autant dire, nous l’avons prononcé, et nous le répétons encore : la réponse à la question de savoir qui doit assurer la gestion du gouvernement intérimaire se trouve à la Cour de cassation, tel que prescrit par la Constitution de 1987. L’expérience a été prouvée avec satisfaction, à deux reprises, dans l’histoire récente d’Haïti, avec la première femme présidente d’Haïti, Ertha Pascal Trouillot, après le coup d’État contre le président Jean-Bertrand Aristide, le 28 septembre 1990. Le scrutin organisé sous l’administration de celle-ci a été proclamé « première élection démocratique », qui s’était tenue en Haïti; et l’intérim assuré par le tandem Alexandre-Latortue. Les élections, qui ont octroyé son premier mandat présidentiel à René Préval, étaient pilotées par le juge de la Cour de cassation Boniface Alexandre, président, et le fonctionnaire des Nations Unis Gérard Latortue, Premier ministre.
Faut-il donc croire que, voulant orchestrer le chaos, en Haïti, la communauté internationale a décidé de bouder ces deux modèles d’administration intérimaire ? En clair, celle-là se trouve à bout de ressources et d’imagination pour renverser la vapeur, en Haïti. Mais le peuple haïtien crie halte-là, place à notre Constitution !