13 octobre 2025
Garry Conille ou l’inconnu : Un leadership déconnecté des forces machiavéliennes en Haïti
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Garry Conille ou l’inconnu : Un leadership déconnecté des forces machiavéliennes en Haïti

« La meilleure victoire est celle qui est obtenue sans combat. », « La victoire appartient à ceux qui savent quand attaquer et quand se retirer. » Sun Tzu

En 2024, le départ de Garry Conille du poste de Premier ministre, pour la deuxième fois en douze ans, rappelle combien le contexte haïtien est complexe et intransigeant. Bien que Conille soit un homme de succès dans les organisations internationales, son expérience a montré qu’il manquait des qualités nécessaires pour naviguer dans les réalités politiques locales. Il a échoué à s’adapter aux complexités de la politique nationale haïtienne, marquée par des dynamiques de pouvoir et des alliances subtiles. Comme l’aurait souligné Machiavel, le pouvoir n’est pas seulement une question de compétence et d’éthique, mais de perception, d’adaptation, et de maîtrise des forces en jeu. Ce texte examine les raisons possibles de son échec en mettant en lumière sa difficulté à naviguer dans le jeu des forces en présence.

Une Loyauté Mal Calculée : La Leçon du “Prince” sur les Alliances et la Flexibilité.

Machiavel recommande dans Le Prince que le dirigeant soit prêt à changer de stratégie pour préserver son pouvoir et maintenir le soutien des forces influentes. La décision de Conille de protéger sa ministre des Affaires étrangères, en refusant sa convocation par le Conseil présidentiel de transition (CPT), peut être vue comme une erreur de jugement. En agissant ainsi, il a démontré une loyauté rigide, peut-être inadaptée à un contexte de crise où les alliances et le compromis sont essentiels.

En s’opposant publiquement à cette démarche, il a semblé privilégier une loyauté personnelle envers sa ministre, peut-être par souci d’intégrité et de solidarité ministérielle, au détriment de la collaboration avec le CPT. Cet acte a affaibli sa position vis-à-vis du conseil, qui lui avait pourtant donné carte blanche pour nommer les ministres régaliens et gérer le gouvernement.

Cette décision révèle une forme de naïveté ou de manque de pragmatisme dans ses relations avec le CPT, organisme essentiel dans ce contexte de transition. À l’échelle internationale, cette posture aurait peut-être été valorisée, mais dans le contexte de gouvernance complexe et fragile d’Haïti, elle est apparue comme une erreur de jugement.

Machiavel aurait conseillé de faire preuve de flexibilité et de pragmatisme, même si cela exigeait de sacrifier une alliance individuelle pour préserver l’approbation de l’entité qui lui avait accordé la gestion du gouvernement. Cette rigidité a affaibli sa relation avec le CPT et a renforcé l’image d’un Premier ministre déconnecté des dynamiques de pouvoir en Haïti, un défaut que Machiavel aurait vivement critiqué.

L’échec au CSPN : Le Manque de “Virtù” dans la Lutte contre l’Insécurité.

Dans Le Prince, Machiavel souligne la notion de “virtù” – cette qualité d’adaptation et de courage dont un chef doit faire preuve pour affronter les crises. Conille, à la tête du CSPN, n’a pas su ou voulu adopter une approche plus décisive pour lutter contre l’insécurité qui déstabilise le pays. Aucun territoire n’a été reconquis, et la violence continue d’engloutir Haïti. Ce manque de “virtù” a déçu, dans un pays où les citoyens attendent des victoires concrètes et visibles.

Ce manque de résultats peut être attribué à une certaine prudence excessive, influencée par son expérience onusienne où les droits humains sont au centre des préoccupations. En effet, il semble avoir craint la réaction des organisations internationales de défense des droits humains, ce qui a probablement limité ses actions et ses options pour restaurer la sécurité. Dans un contexte où des décisions plus fermes auraient été nécessaires, sa réticence à employer la force de manière décisive a été perçue comme un frein dans la lutte contre l’insécurité.

Machiavel aurait sans doute reproché à Conille une certaine prudence excessive, une hésitation à user de la force, même lorsque cela était nécessaire pour affirmer l’autorité de l’État. Dans un contexte où des actions fermes étaient attendues, Conille, marqué par une prudence héritée de ses années aux Nations Unies, s’est retenu, craignant la réaction des organisations internationales de défense des droits humains. Pour Machiavel, cette crainte aurait été une erreur ; un leader doit parfois risquer l’incompréhension de communauté internationale pour obtenir des résultats concrets et s’imposer au niveau local.

Une Stratégie Internationale Inadaptée : Leçon Machiavélienne sur l’Art de Gouverner “In Situ”

Garry Conille a semblé appliquer une méthode de gouvernance davantage adaptée à un contexte international qu’à la politique haïtienne. Plutôt que de chercher le soutien interne, il a misé sur l’appui de la communauté internationale, une dépendance que Machiavel aurait jugée dangereuse pour toute autorité locale. En s’isolant des forces internes et en sous-estimant l’importance d’une approche ancrée, Conille a laissé apparaître une certaine naïveté qui a miné sa légitimité.

Cette stratégie, efficace dans des contextes internationaux, s’est révélée inadaptée face aux besoins immédiats et aux défis internes d’Haïti. Cette dépendance à l’égard des soutiens internationaux et sa difficulté à négocier avec les acteurs locaux ont sapé sa légitimité nationale et l’ont éloigné d’une vision de gouvernance plus ancrée dans les réalités haïtiennes.

Machiavel aurait ici rappelé que “le prince qui est puissant par des alliés étrangers est faible en son propre pays.” Pour Machiavel, le véritable pouvoir se construit en s’appuyant sur les forces locales et en consolidant des alliances avec les acteurs du territoire. Ce manque de pragmatisme stratégique a donné une impression de détachement chez Conille, comme un homme étranger à la réalité haïtienne.

L’Incompréhension du Jeu des Forces : Machiavel et l’Importance des Appuis Internes.

Enfin, la théorie machiavélienne du pouvoir repose sur la compréhension et la gestion des forces en présence. En refusant de composer avec les acteurs influents, Conille a révélé une incompréhension des rapports de force qui a conduit à sa chute. Machiavel souligne que la survie d’un leader dépend de sa capacité à reconnaître les alliances clés et à entretenir des relations stratégiques. Ce manque de flexibilité dans sa gestion du pouvoir a renforcé les tensions avec le CPT et a rendu difficile toute tentative de créer un consensus autour de sa vision. Incapable de jongler entre les diverses pressions et influences, il a perdu la main face à des forces qu’il ne semblait pas avoir anticipées ni comprises

Plutôt que de bâtir des coalitions, Conille est resté ferme dans une vision idéaliste, se repliant sur la légitimité de son statut et de ses valeurs constitutionnelles dans un contexte particulier, sans comprendre les attentes et la nature des forces locales. Cette approche l’a conduit à l’isolement politique, laissant la voie ouverte à ses adversaires et sapant sa capacité à gouverner efficacement.

Sun Tzu aurait rappelé à Garry Conille que la gouvernance est un art de la patience et de la stratégie, où chaque décision doit être calculée pour maximiser son influence et minimiser les conflits inutiles. Pour Sun Tzu, un dirigeant doit toujours avoir un œil sur le long terme, savoir reconnaître les forces qui l’entourent, et avancer avec finesse pour gagner ses batailles sans affrontement direct.

Garry l’Inconnu, ou l’Absence de “Virtù” Machiavélienne en Haïti

Garry Conille quitte le poste de Premier ministre sans avoir compris les subtilités de la gouvernance en Haïti, comme ce fut le cas il y a 12 ans. À l’image de “Garry l’Inconnu”, il incarne un profil de leader compétent mais inadapté aux exigences locales. Son profil international, qui l’a aidé à réussir au sein des Nations Unies, n’a pas été suffisant pour surmonter les défis uniques de la gouvernance nationale, exigeant une compréhension fine des rapports de force locaux et une capacité à créer des alliances solides. Si Machiavel avait été son conseiller, il aurait sans doute insisté sur l’importance de s’ajuster aux forces en présence et de développer une flexibilité tactique, essentielle dans un contexte aussi complexe que celui d’Haïti.

L’expérience de Conille montre que la gouvernance locale nécessite non seulement des compétences techniques, mais aussi une virtuosité stratégique et un pragmatisme adapté. Ce départ rappelle aux futurs dirigeants que pour gouverner efficacement, il ne suffit pas de bien faire ; il faut aussi savoir jouer les bonnes cartes, au bon moment et avec les bonnes alliances. Ce départ nous pousse à poser cette question : le poste de premier ministre est-il indispensable en Haiti ?

Par : Barnabé FRANÇOIS

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