Hancy Pierre | Construire des oasis sur du sable mouvant : Perspectives après le mouvement ‘Bwa Kwa’ du Canapé Vert survenu le 24 avril 2023

0
147

Un an plus tard, soit le 24 avril 2024, le mouvement d’autodéfense du Canapé Vert s’installe. Le contrôle du territoire local et les pratiques de vigilance communautaire sont intériorisés et partagées dans la population.  La population est encore sur le qui-vive et l’extension du mouvement dans d’autres points se trouve déroutée. Le support des unités de police est mitigé. Mais l’aménagement du territoire local se fait exclusivement suivant les besoins immédiats d’autodéfense et de sureté au détriment de toute intégration des infrastructures urbanistiques existantes.

Le 24 avril 2023 rappelle la tentative d’incursion d’assaillants dans la 1è section communale de Turgeau, ce, en pleine nuit. Ce qui a été contré par la vigilance de la population suivie de pratiques de justice expéditive des riverains de Canapé Vert à une dizaine de personnes présumées bandits et suspectées de renforts auxquels assaillants. L’incursion intervient comme pratique courante de déstabilisation de la population puis sa réinstallation comme bouclier humain, sous la coupe d’une intégration communautaire perverse animée par de caïds.

La ville se trouve depuis lors déshabillée de sa carapace de sécurité pour garantir le droit à la vie. Il s’impose la course au grappillage pour assurer la veille de la ville même pas sa survie. Une ville décampée de ses joies que les citoyennes et citoyens tentent de retrouver en construisant des oasis d’autodéfense sur du sable mouvant.

Les décors de Françoise Choay dans son livre intitulé « Urbanisme, utopie et réalités. Une anthologie » (1965) se sont déjà dépassés. Ils se sont défilés au prix de barrages des ilots urbains dans des contrées d’un immense désert qui dessine la frayeur. C’est l’innovation au 24 avril 2023, en guise d’autodéfense de la population. C’est beaucoup plus que « l’Utopie » de More (2003) ni même les communautés promues par Las Casas pour se garder de contacts menaçants et enclins aux vices et à la corruption nées de l’avarie. C’est l’avènement de « Villas-araignée », piégé à la libre circulation de personnes et de biens. Ce qui vient allonger la liste des types de villes définis par Feu Dr  Jean Rénol ELIE que nous profitons pour saluer ses productions scientifiques vivantes notamment ses apports à la compréhension de la question de la décentralisation et participation citoyenne.

Dr ELIE a évoqué des bourgs devenus de villes tels : des bourgs étoiles, des bourgs ronds, des bourgs longs, des bourgs ports, des bourgs gués, des burgs dortoirs, des bourgs comptoirs, des bourgs sites, des bourgs refuges ou des cites et des villages refuges, les camps ou les villages de tentes (Elie,2012 :21-68). C’est la primatie d’un urbanisme maquillé sous l’emprise de « villes-araignées « après le 24 avril 2023.

Des tentes érigées après le 12 janvier 2010 sont de palais dans « l’Eldorado » par rapport aux propriétés jadis décorées suivant des architectures-modèles.

C’est l’anticipation à une ville en autarcie avec la fermeture de son principal aéroport international enclavé par une intégration urbaine perverse. L’aménagement de territoire alternatif tient lieu à préserver des oasis d’autodéfense en se passant de toutes autres infrastructures complémentaires de services communautaires. Aussi dans certains cas des herbes décomposées, de déchets de toutes sortes servent-ils à ériger des portes d’entrée aux nouvelles villes miniaturisées. Les contre- projets ne manquent pas à plus d’uns qui exploitent les ravins, les drains et les égouts comme refuge. C’est la présence de l’architecture d’une ville maquillée et, qui sert de stratagème dans des cachettes de toutes sortes enfouies et méconnaissables.

Des égouts à bouche perdue relient les ilots urbains. Comme de vases communicants, les scènes pluvieuses à Port-au-Prince défient tous les plans et déroutent l’urbanisme maquillé par ci et par là. Car les panneaux de signalisation routière et les objets urbanistiques ont d’autres fonctions au prix du pragmatisme de l’autodéfense active de la population. Qu’en est-il de la circulation de véhicules qui doivent emprunter les voies urbaines sinon on les voit se détourner dans leur mouvement. C’est l’allure d’une « ville- araignée « de la fiction qui se dessine. Tout un chacun emprunte des détours de corridors de la nouvelle ville maquillée.

Le couvre-feu s’installe déjà avant son officialisation par les autorités depuis le vide politique 29 février 2024. On se croit dans des démêlées du jeu traditionnel de marelle pour atteindre les voies d’accès principales. On est contré sur son chemin par de tapis- simulacres. Derrière les rideaux s’ouvrent les accès ; Il y en a beaucoup qui s’alignent et s’entrecroisent dans laquelle architecture quand derrière des rideaux longent et se détournent des chemins qui pourraient être exploités pour l’autodéfense et pour se camoufler face à l’étranger. Entretemps de contre -projets font foirer les murs, les pans, les façades, les clôtures et tout autre obstacle.

Du saute-mouton des envahisseurs pour se démarquer et se perdre dans l’espace immédiat face aux forces de l’ordre. Tout se moule alors dans la foulée des attaques des infrastructures d’écoles, d’hôpitaux, d’églises, de bibliothèques, de places publiques, de gares routières, de bistrots pour le dancing, des restos. Il ne reste que des oasis construites à l’ombre des forfaits, matraquages et menaces qui mettent tout le monde sur le qui-vive sous l’œil des maires et des ministres de l’intérieur et des collectivités territoriales.

C’est cette carapace qui enveloppe la nouvelle « ville -araignée » qui créé la frayeur qui crache et cache un paysage engouffré. L’autodéfense s’est masquée par ci et par là pour se parer aux contrecoups et attaques meurtrières des uns ou des autres dans leurs projets inavouables. Qu’en est-il de l’esthétique, de décors, des fleurs, des animaux domestiques !

Construire des oasis sur du sable mouvant de la zone métropolitaine de Port- au -Prince depuis le 24 avril 2023 c’est s’enfiler dans des fanaux de Noel pas même une étable délaissée.

Dans la ville somnambulant, les demeures ne restent qu’aux nouveaux musées. Des tintamarres de casseroles remplacent le retentissement des klaxons des véhicules que des cloches d’églises et les sirènes des bateaux désertés dans des carcasses du port international de Port au Prince. Des fouilles à longueur de la nuit, de sentinelles aux barrières des ilots urbains prêts à affronter la peur de ceux qui font la chasse des populations installées et défaites de leur milieu de vie. La navette quotidienne pour contempler les décombres et le squelette des demeures laissent faire du deuil aux nantis, aux hébergés ainsi que des locataires de partout.

Il ne reste des garnisons occupées par de vaillants désœuvrés qui s’exercent dans leurs premières occupations. La bourgade ne tes pas indifférente dans l’appel à une solidarité mécanique qui impose des affectivités sans faire la part des choses des rôles divers et de leur complémentarité ville est phagocytée dans des méandres d’une culture urbaine détournée. La ville est amputée de ses membres qui l’anime comme lieu de divertissements, de civilité et d’attractions mondaines (Laborit, 1977 : 175) sous le coup de la surveillance des autorités locales proches des citoyens et citoyennes dans leur quartier.

Les oasis s’ouvrent sur des impasses liées aux camps de concentration du reste du paysage. Ne parle-t-on de prison à ciel ouvert pour décrire la situation sécuritaire chaotique de la ville de Port-au-Prince.

Repères bibliographiques

CHOAY Françoise (1965), Urbanisme, Utopie et réalités. Une anthologie, Seuil, Paris.448p

ELIE Jean Rénol (2012), « l’habitat en Haïti : évolution, carences et risques in Revue les Cahiers du CEPODE NO 3, Editions CEPODE, Port-au-Prince.

LABORIT, Henri (1977), L’homme et la ville, Editions Flammarion, France.214p.

MORE Thomas (2003) , l’Utopie, J’ai Lu. 124p.

PIERRE, Hancy (2023), « Haïti, de la rébellion à l’appropriation du droit à l’autodéfense active et responsable : le mouvement de Canapé Vert du 24 avril 2023 « in le National du 11 mai 2023.

PIERRE, Hancy (2023) Haïti-Mouvement de rébellion et d’autodéfense de Canapé Vert du 24 avril 2023 : secousses et effets spéciaux in le National le 18 juillet 2023

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.