La Drill : un rythme musical en plein feu en Haïti, une violence symbolique qui se veut être légitimée

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La musique occupe une place prépondérante dans la vie quotidienne de millions de personnes, agissant comme un vecteur d’émancipation humaine considérable. Pour certains, elle est perçue comme la plus haute forme d’expression que l’humanité ait jamais créée. En effet, de nombreuses personnes trouvent un soutien indéfectible dans la musique. L’industrie musicale a su s’ancrer profondément dans nos cultures grâce à une diversité de genres tels que la Pop, la Salsa, le Reggae, le Hip-Hop, le Trap, et la Drill, ce dernier genre étant au cœur de notre discussion parmi tant d’autres. Il est cependant difficile d’appréhender le fonctionnement d’une société sans une compréhension approfondie de sa culture musicale, qui, dans certains cas, peut s’avérer être le meilleur moyen de déchiffrer ses codes.

Depuis quelque temps, un genre musical en particulier, la Drill, fait sensation sur internet et inspire un grand nombre de jeunes à travers le monde. Née dans les années 2010, cette tendance a vu émerger plusieurs figures telles que Pac-Man, Chief Keef, Lil Reese, Fredo Santana, entre autres. Originaire de Chicago, une ville alors connue pour ses taux élevés de criminalité et de trafics illicites, la Drill s’est rapidement propagée à l’échelle mondiale. Toutefois, ce genre musical est souvent critiqué pour ses paroles violentes, reflétant une glorification des actes répréhensibles.

La Drill trouve particulièrement résonance dans les ghettos et les zones défavorisées, où elle peut engendrer frustration et incompréhension, variant grandement selon les milieux et les pays. En Haïti, les chants traditionnels et le Compas peinent à captiver l’intérêt des jeunes, qui préfèrent la Drill, souvent sous le regard désapprobateur de leurs parents. Ce style trouve souvent son centre dans la promotion de la violence et de la consommation de drogues, parfois sexiste et hostile à l’émergence d’une ère féminine, défie ouvertement l’État et le système en place, sans que les autorités ou le Ministère de la Culture ne semblent prendre de mesures concrètes.

Ne s’arrêtant pas là, ce style soulève la question de son influence sur les gangs locaux.

La drill contribue-t-elle dans l’évolution des gangs en Haïti? Plusieurs artistes haïtiens composent en ce rythme, ils maquillent la vie de criminel, la rendent attrayante, font miroiter le pouvoir et la liberté mal acquise mais jamais les mauvais côtés sans compter que de nos jours certains d’entre eux sont desgangsters de notoriété publique, ne s’agacant pas de métaphore pour décrire le gore des gangs. Et pourtant, à défaut d’être censurés, ils font fureur dans l’industrie musicale haïtienne des drillers, d’où l’objet de ce texte qui est une mise en question sur la consommation de cette dernière par la population en particulier les enfants à bas âges, fraîchement voué à l’apprentissage.

Selon l’UNICEF, 61% des enfants haïtiens n’ont pas accès à l’éducation primaire, la majorité vivant dans des conditions précaires, notamment dans les ghettos. Ces enfants sont quotidiennement exposés, directement ou indirectement, à la Drill, tandis que les 39% restants, bien que moins exposés, ne sont pas pour autant à l’abri de son influence. La Drill, avec son contenu souvent transgressif, remet en question les normes morales établies et gagne du terrain à une vitesse alarmante. Le pire ce n’est pas l’influence néfastes que cela peut avoir sur ses jeunes esprits, pouvant changer leur regard sur ce qui est acceptable ou pas, de trouver normal d’exercer ce genre de violence mais plutôt que cela en fasse de potentiels candidats à intégrer les gangs par voie de propagande. On explique à ses gamins défavorisés que la clé du salut est de tenir une arme, entre la misère sans espoir et la violence gratifiante le choix est vite fait.

La drill semble devenir une menace dans l’industrie musicale, à un point que les puissances étrangères y mettent quelques mesures de restrictions aux niveaux des textes. L’Angleterre a mis un terme à cette tendance tout récemment, un rythme jugé opposé aux normes sociétales. En Haïti, devrions-nous en faire pareille? Oui ou non? Avec des institutions faibles l’Etat ne peut se comporter en maître. Il suffit de tenir la jumelle pour constater les dégâts qui se font dans la jungle étatique. Nous commençons à légitimer la corruption qui est un handicap à notre développement économique et nous voila en faisant pareille avec la musique.

La drill est devenue un symbole de résistance, une fierté pour les hommes délaissés, les tueurs, les violeurs, les gangsters. Pour être juste, ne mettons pas en doute qu’il existe de bons côtés dans la drill. Mais dans notre société (Haiti) en toute conscience, les dérives de la Drill ne doivent pas passer inaperçu et dans une perspective future nous pouvons envisager les retombés néfastes qui en résulteraient d’ici quelques années.

Pour finir, la musique, reflet de la culture d’un peuple, doit être alignée avec les valeurs et normes morales de la société. Une société qui aspire à lagrandeur doit valoriser et harmoniser les divers aspects de sa culture, y compris musicaux, avec ses principes éthiques.

Evens MATHIEU

•Étudiant d’Histoire en Contre-chant à l’Institut Français D’haïti – IFH •Étudiant en Science Politique – INAGHEI •Étudiant en Science Juridique – FDSE

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