En 122 ans, des millions de dollars : le prix payé par Haïti pour son indépendance en tant que premier pays Noir au monde

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La France contraint Haïti à payer une dette exorbitante en échange de la reconnaissance de son indépendance. Apres l’indépendance, on estime que sur les 425 000 esclaves, seuls 170 000 sont restés pour travailler à la reconstruction du nouveau pays

Il y a 220 ans, Haïti est devenue la première nation indépendante d’Amérique latine, la plus ancienne république noire du monde et la deuxième plus ancienne république de l’hémisphère occidental après les États-Unis.

Ces résultats font suite à la seule révolte d’esclaves réussie de l’histoire de l’humanité. Il y a de quoi être fier d’une nation qui figure depuis longtemps en tête d’autres listes bien plus douloureuses. Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques et l’un des plus pauvres du monde, selon toutes les organisations qui établissent de tels classements, y compris la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Le pays, dirigé par des conzes et des apatrides sans colonne vertebrale pour la plupoart, nommés par la communauté internationale, est actuellement embourbé dans une crise politique et sociale massive, sans président depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, et avec le Premier ministre Ariel Henry contraint de démissionner cette semaine sous la pression des gangs armés qui contrôlent la capitale, Port-au-Prince.

Haïti a été victime de l’esclavage, de la révolution, de la dette, de la déforestation, de la corruption, de l’exploitation et de la violence. Sans parler de la colonisation, de l’occupation américaine, des révoltes, des coups d’État et des dictatures jusqu’à l’arrivée en 1957 de François « Papa Doc » Duvalier, qui a imposé l’un des régimes les plus corrompus et répressifs de l’histoire moderne, qui a duré 28 ans et a causé de nombreuses atrocités et détournements de fonds.

Il n’est pas surprenant que ni les infrastructures, ni l’éducation, ni la santé, ni aucun autre bien public n’aient été une priorité.

Et ce, dans un pays qui a la malchance d’être situé sur la principale ligne de faille entre les plaques tectoniques nord-américaine et caribéenne et sur la principale trajectoire des ouragans de la région, ce qui rend les catastrophes naturelles encore plus désastreuses.

Au milieu de tant de malheurs, il en est un qui apparaît incongru aux yeux des contemporains : pour avoir déclaré son indépendance, Haïti a dû payer une lourde indemnité à la puissance coloniale dont il s’est libéré.

De Ayiti à Hispaniola en passant par Saint-Domingue

Christophe Colomb est arrivé sur l’île qui abrite aujourd’hui les républiques d’Haïti et de la République dominicaine en décembre 1492.

Assumant qu’il s’agissait d’un territoire de la couronne espagnole, Christophe Colomb nomma l’île Hispaniola ou Hispaniola, rencontra les indigènes, qui étaient des Taïnos, les appela « Indiens » et passa avec eux son premier Noël dans le Nouveau Monde.

Si l’exploitation des gisements d’or et la production de sucre ont d’abord enthousiasmé les colonisateurs, la découverte d’énormes richesses sur le continent américain a fait baisser l’intérêt pour Hispaniola, en particulier pour la partie occidentale de l’île.

Les boucaniers anglais, hollandais et français se disputent ce que les Taïnos appelaient Ayiti.
Ceux qui voyageaient sous le drapeau de Louis XIV, le « Roi Soleil » français, ont progressivement pris le contrôle de ce coin de l’île et, en 1665, la France l’a officiellement revendiqué et l’a baptisé Saint-Domingue.

Trente ans plus tard, Madrid cède officiellement un tiers d’Hispaniola à Paris.

La perle des Antilles

Les Français ont fait de Saint-Domingue l’une des colonies les plus riches du monde et la plus lucrative des Caraïbes.

En 1789, 75 % de la production mondiale de sucre provenait de Saint-Domingue, tout comme une grande partie de la richesse et de la gloire de la France.

La « perle des Antilles » produisait également du café, du tabac, du cacao, du coton et de l’indigo, et occupait la première place mondiale pour la production de chacune de ces cultures à un moment ou à un autre au cours du XVIIIe siècle.

L’énorme richesse produite par la fabuleuse colonie a été obtenue en important des dizaines de milliers d’esclaves par an et en mettant en œuvre un système d’esclavage sévère.

La révolution des gens de couleur de Saint-Domingue

L’écho de la Révolution française de 1789 atteint la riche colonie où les « gens de couleur » et les esclaves commencent à se demander comment la Déclaration des droits de l’homme s’applique à leur situation.

En 1791, un homme d’origine jamaïcaine, Boukman, devient le chef des esclaves africains d’une grande plantation à Cap-Français.

Sur le modèle de la révolution française, le 22 août de cette année-là, les esclaves détruisent les plantations et exécutent tous les Blancs vivant dans la région.

C’est la première action d’un soulèvement qui se transforme en guerre civile puis en bataille frontale contre les forces de Napoléon Bonaparte, et qui mettra 12 ans à atteindre son objectif : chasser les Français.

Le 1er janvier 1804, Haïti déclare son indépendance et Jean-Jacques Dessalines devient son premier souverain, d’abord en tant que gouverneur général, puis en tant qu’empereur Jacques Ier d’Haïti, titre qu’il se donne lui-même.

Dessalines ordonne la mise à mort de tous les Blancs.

C’est ainsi que le massacre d’Haïti a eu lieu entre le début du mois de février et la mi-avril de cette année-là, causant la mort de 3 000 à 5 000 hommes et femmes blancs de tous âges.
N’ayant pas l’intention de cacher ce qui s’est passé, Dessalines fait une déclaration officielle : « Nous avons rendu à ces véritables cannibales guerre pour guerre, crime pour crime, indignation pour indignation. Oui, j’ai sauvé mon pays, j’ai vengé l’Amérique ».

Le bilan

La longue lutte pour l’indépendance a donné aux esclaves une autonomie, mais elle a aussi détruit la plupart des plantations et des infrastructures du pays. Le coût humain est également énorme : on estime que sur les 425 000 esclaves, seuls 170 000 sont restés pour travailler à la reconstruction du nouveau pays.

La vengeance contre les Blancs, prise après la capitulation de la France, a suscité le mépris de nombreuses nations. Aucune ne reconnaît Haïti sur le plan diplomatique.

De plus, ce qui s’était passé à Saint-Domingue était le pire cauchemar de toutes les puissances qui avaient des colonies dans le voisinage, et elles ont donc laissé Haïti en « quarantaine » pour éviter la contagion.

C’est ainsi que l’inimaginable se produisit.

Le 17 avril 1825, le président haïtien Jean-Pierre Boyer signe l’ordonnance royale de Charles X.

Une voie à sens unique

L’ordonnance promettait à Haïti la reconnaissance diplomatique de la France en échange d’une réduction de 50 % des droits de douane sur les importations françaises et d’une indemnité de 150 millions de francs (environ 21 milliards de dollars d’aujourd’hui), payable en cinq versements.

Pourquoi une indemnité ?

Parce que le nouveau pays devait indemniser les planteurs français pour les biens qu’ils avaient perdus, non seulement les terres mais aussi les esclaves.

Et si le gouvernement haïtien ne signait pas l’accord, le pays resterait non seulement isolé diplomatiquement, mais serait bloqué par une flottille de navires de guerre français déjà au large des côtes haïtiennes.

Ces 150 millions de francs-or équivalent au revenu annuel du gouvernement haïtien multiplié par 10. Il n’est donc pas surprenant que, lorsqu’il s’agit d’effectuer le premier paiement, Haïti doive emprunter.

La France n’y voit aucun inconvénient, à condition que l’emprunt soit contracté auprès d’une banque française.

La dette de l’indépendance

C’est ainsi que commença officiellement ce que l’on appelle la dette de l’indépendance.

Une banque française a prêté à Haïti 30 millions de francs – le montant de la première tranche due – et a déduit automatiquement 6 millions de francs pour les commissions.

Avec ce qui restait, soit 24 millions de francs, Haïti a commencé à payer des réparations à la France, c’est-à-dire que l’argent est passé directement des coffres de la banque française au Trésor français.

À ce moment précis, Haïti doit 30 millions de francs à la banque française et 6 millions de francs de plus en dette totale envers la France qu’avant le premier paiement.

C’est une spirale sans fin pour rembourser une dette énorme qui, même réduite de moitié en 1830, est trop élevée pour le pays caribéen.

Il a dû emprunter des sommes considérables auprès de banques américaines, françaises et allemandes à des taux d’intérêt exorbitants, ce qui l’a contraint à consacrer la majeure partie de son budget national aux remboursements.

Finalement, en 1947, Haïti a fini d’indemniser les propriétaires de plantations de la colonie française qui était autrefois la perle des Antilles. Il aura fallu 122 ans pour rembourser la dette de l’indépendance.

source : BBC News Mundo

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