Ambassadeur Raymond Joseph: La question des gangs doit être traitée sans délai, sinon Haïti ne survivra pas

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Quoi qu’en disent ses protecteurs, il n’y a aucune explication à l’indifférence du Premier ministre Arie Henry face à l’expansion de la domination des gangs en Haïti, écrit l’ancien ambassadeur d’Haiti à Washington, M. Raymond A. Joseph.

par Raymond A. Joseph :« The gang issue must be addressed without delay, other wise Haiti will be no more ».

Par Raymond A. Joseph

La crise multifacette en Haïti est due au pouvoir des gangs armés qui opèrent librement dans le pays, sans être perturbés par le Premier ministre de facto, Ariel Henry, qui fait preuve de nonchalance dans sa tâche de protéger la vie et les biens. Un article déchirant paru dans le Miami Herald le dimanche dernier, 10 septembre, par Jacqueline Charles, est l’un des derniers à attirer l’attention sur les actions des gangs armés qui dirigent désormais la majeure partie de la capitale haïtienne, étendant leur influence ailleurs, notamment dans la région de l’Artibonite, au centre-nord d’Haïti.

Intitulé « Les gangs d’Haïti prennent pour cible les enfants handicapés : ‘Tuez ces enfants pour abréger leurs souffrances, sinon nous le ferons' », l’article se penche sur un orphelinat où des enfants handicapés sont pris en charge et meurent à cause des gangs qui bloquent les artères principales, empêchant ainsi leurs soignants d’arriver à temps aux hôpitaux pour sauver leur vie. Un article bien documenté qui met en lumière les difficultés de la gestion d’un orphelinat pour les personnes handicapées en Haïti, en particulier près de Port-au-Prince, où les gangs contrôlent environ 80 % de la capitale et de ses environs. La conclusion de cet article est des plus troublantes.

Travaillant en Haïti depuis 1994, la fondatrice de l’orphelinat HaitiChildren, Susie Krabacher, originaire d’Aspen, Colorado, est citée comme disant que même si elle n’est pas la mère biologique de ces enfants, elle les a élevés depuis leur plus jeune âge, et la plupart d’entre eux l’appellent « Maman ». Et cette déchirante réalité : « Savez-vous ce que cela fait de perdre quatre enfants en deux semaines ? Nous avons eu des funérailles triples et nos pauvres petits… ceux qui sont atteints de handicaps mentaux, ils ne comprennent pas. … Et je ne peux pas aller enterrer mes propres enfants. » Cela s’est produit parce qu’elle n’a pas pu les emmener à l’hôpital à temps, bloquée par les gangs qui contrôlent la plupart des routes principales autour de Port-au-Prince.

La situation est désespérée à Carrefour-Feuilles, une communauté du sud de la capitale, où les habitants fuient leur quartier pour se protéger des gangs armés qui prennent le contrôle. Selon l’Agence France-Presse, le 16 août, « au moins 3 120 personnes ont fui le quartier », selon les estimations du Département de la Protection Civile Haïtienne. Et les responsables ajoutent que « d’autres sont susceptibles de suivre ». Cela fait suite aux attaques des gangs à la fin de juillet et en août dans le quartier plus aisé de Tabarre, où se trouve l’ambassade américaine, ainsi que l’empire en expansion de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, sur le boulevard du 15 octobre. Une situation dangereuse a contraint l’ambassade américaine à réduire ses services et à ordonner au personnel non essentiel de quitter le pays en juillet dernier. Comme rapporté la semaine dernière, tous les Américains en Haïti sont désormais priés de partir.

Non seulement l’ambassade américaine, mais aussi les ambassades de France et du Canada en Haïti ont réduit les services qu’elles fournissent habituellement en raison de la réduction du personnel, depuis que les employés non essentiels ont été renvoyés chez eux. Il est même question que certaines représentations diplomatiques en Haïti ferment toutes leurs opérations et déménagent à Santo Domingo, en République dominicaine, pour protéger leurs employés.

Malgré cette situation, les États-Unis continuent de renvoyer des Haïtiens en Haïti, provoquant un tollé. Jacqueline Charles, du Miami Herald, qui mérite un prix pour sa couverture des crises haïtiennes, a abordé cette question dans un article du lundi 11 septembre. Alejandro Mayorkas, le secrétaire à la Sécurité intérieure, a accusé « le ciblage des Américains à Port-au-Prince » d’avoir poussé le Département d’État à « ordonner aux familles des diplomates américains et au personnel non essentiel de quitter le pays en juillet ». Et considérez ceci, comme le rapporte le Miami Herald : « Mayorkas a décrit la menace ciblée contre les Américains là-bas [en Haïti] pour justifier pourquoi le DHS continue de renvoyer des ressortissants haïtiens dans le pays. » En d’autres termes, alors que les Américains sont secourus des gangs, des Haïtiens sans papiers aux États-Unis sont envoyés dans l’enfer que le pays est devenu, sous le regard des Nations Unies présentes dans le pays depuis 2004, avec l’arrivée de la MINUSTAH, la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti, suivie de deux autres missions, la MINUJUSTH, ou Mission d’Appui à la Justice en Haïti, et l’actuelle Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti, le BINUH, selon son acronyme français.

La Communauté internationale responsable du chaos en Haïti et la communauté internationale, avec les États-Unis en tête, continuent de soutenir leur homme à Port-au-Prince. Cyniquement, certains analystes affirment que le Premier ministre de facto, le neurochirurgien Ariel Henry, fait exactement ce que veulent ses mentors de la communauté internationale, à savoir la destruction totale du pays. À terme, cela conduira à une Haïti privée de sa souveraineté. Ensuite, les étrangers assumeraient le contrôle total du pays par le biais d’une autre occupation de la première nation noire libre au monde, tout comme celle des États-Unis qui a duré 19 ans, de 1915 à 1934. Pourquoi ? Pour exploiter les richesses souterraines d’Haïti en minéraux, du cobalt, de l’iridium, de l’or et même d’importantes réserves de pétrole.

Quoi qu’en disent ses protecteurs, il est impossible d’expliquer la nonchalance du Premier ministre face à l’expansion de la domination des gangs en Haïti. Il n’a rien fait pour les contrer depuis sa nomination le 20 juillet 2021 par le syndicat étranger des ambassadeurs occidentaux à Port-au-Prince, mieux connu sous le nom de Groupe CORE, qui l’a placé en poste via un tweet.

On aurait pu penser que le Premier ministre, qui fait également office de Président d’Haïti, aurait pris des mesures peu de temps après sa prise de fonctions contre les gangs lourdement armés qui avaient chassé près de 20 000 citoyens de leurs foyers pour prendre le contrôle de Martissant, la banlieue sud de la capitale, la porte d’entrée de quatre des dix départements d’Haïti, comme sont appelés les mini-états d’Haïti. Ainsi, le Grand Sud d’Haïti a été isolé de la capitale.

Comme pour dire que les gangs à Martissant, qui ont établi leur contrôle le 1er juin 2021, ne sont pas de son ressort, car cela s’est produit sous le règne du président Jovenel Moïse, avant son assassinat le 7 juillet, le Premier ministre accepte tranquillement d’être coupé du contact terrestre avec 40 % du territoire sur lequel s’étend supposément son autorité. Et ses mentors étrangers continuent de le soutenir à fond.

Mais c’est sous son propre règne qu’Ariel Henry a été humilié, ayant été privé de beaucoup de son autorité par les gangs qui ont isolé le Grand Nord de la capitale, en établissant leur quartier général à Canaan, à quelques kilomètres au nord de Port-au-Prince, sur la Route Nationale No 1. Comme nous l’avons montré la semaine dernière, il a également perdu la mobilité sur la Route Nationale No 3, menant à la frontière entre Haïti et la République dominicaine, car le redouté gang 400 Mawozo contrôle cette région.

Un mouvement national pour destituer Ariel Henry est compréhensible en Haïti. Dans un message vocal de 20 minutes le dimanche, un prêtre, dit-on, appartenant à l’église de la Caridad à Port-au-Prince, a parlé avec éloquence en créole, demandant un changement immédiat de la situation, car « Nous ne pouvons plus le supporter ! » Comme si les habitants de Jérémie, dans le département de la Grand’Anse en Haïti, dans la région du sud-ouest d’Haïti, avaient entendu le message, ils sont passés à l’action le lundi 11 septembre. Ils ont accueilli le Premier ministre en lançant une avalanche de pierres sur les véhicules de son convoi. Dans la mêlée, son ministre de l’Éducation, Nesmy Manigat, qui l’avait invité à l’ouverture de l’école dans la région, a dû regretter ce retournement de situation, à propos duquel le chef de la police, Frantz Elbé, présent pour le voyage, n’a pas été d’une grande aide. Apparemment, leurs véhicules blindés les ont protégés du pire.

Fait intéressant, les manifestants à Jérémie ont continué de crier « Bwa Kale » en créole, le nom d’un mouvement de rébellion anti-gangs qui a commencé le 24 avril à Canapé Vert, une banlieue de Port-au-Prince, lorsque les habitants avaient arrêté 14 membres de gangs menottés par la police et avaient versé de l’essence sur de vieux pneus qu’ils avaient allumés, provoquant la mort instantanée des bandits.

Le Premier ministre a appelé à la retenue du mouvement qui pourrait plonger le pays dans une guerre civile. Mais il est resté silencieux sur l’expansion des gangs. Ainsi, un nouveau slogan en créole lancé par le peuple devrait être pris au sérieux : « Lagè kont gang a sapat ! Lagè kont gang a kravat ! » (Guerre contre les gangs en sandales ! Guerre contre les gangs en cravate !)

article extrait de Haiti-Observateur
édition du 13 a 19 septembre 2023

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