MUSCADIN : LA BÊTE NOIRE DES GANGS ?
Par Ducasse Alcin
Cela fait plus d’un an depuis que le nom de Jean Ernest Muscadin est sorti de l’anonymat pour défrayer la chronique. C’est la nouvelle star des Haïtiens. Du moins un pan de la population en quête d’un sauveur pouvant aider à en finir avec le phénomène du banditisme dans le pays.
La scène mythique où on le voit dévaler les rues, muni de son kalashnikov, faisant la chasse aux sorcières le campe comme le plus preux des mortels au sein d’une population où tout le monde se terre, effrayé par les gangs. Pourtant, il semblerait que monsieur Muscadin ne possède aucune expérience militaire à son actif, encore moins une formation en police urbaine. Il est, tenez-vous bien, COMMISSAIRE du gouvernement !
Une vidéo devenant virale le montrait en train d’exécuter un certain Elvé Saint-Jacques, connu sous le sobriquet de Zo Pwason, appartenant à l’un des gangs les plus sanguinaires de la capitale.
Seulement quelques jours de cela, Musacdin a encore fait parler de lui lorsqu’il exécuta un dénommé Paul Jean-Yves, père deux enfants de 4 ans (jumeaux) dans des circonstances obscures. Selon ses propres termes, il trouva le jeune homme dans l’enceinte d’un centre hospitalier dans le sud où il rendait visite à son père alité. Motif : une dame qui a été violée par un bandit aurait identifié l’infortuné comme son assaillant.
Se fondant uniquement sur cette assertion, sans prendre le soin de mener une enquête, cela suffisait pour que le commissaire envoie le présumé « bandit » ad patres. Pour leur part, les parents de la victime s’inscrivent en faux contre la version des faits de Muscadin.
Le pouvoir du commissaire est tellement incommensurable que les familles des personnes exécutées n’ont même pas droit à leurs dépouilles. Car en plus de s’ériger en boucher, Muscadin s’improviserait aussi en croque-mort en ce qu’il se charge lui-même de l’inhumation de ses victimes. La superstition serait à la base de telles pratiques. « Kon-misè a sanble l pè pou yo pa fè ekspedisyon ak mò yo nan dada l ».
Ces actions ont soulevé une grande polémique. D’un côté on retrouve des citoyens qui les plébiscitent comme de l’héroïsme, de l’autre côté, il y en a ceux qui se questionnent sur la légalité des démarches du commissaire. C’est le cas, par exemple, de FJKL( fondasyon Je kale ) un mouvement de droits humains dirigé par Yolène Gilles.
Pour ce deuxième groupe, l’idée qu’un Commissaire du gouvernement—dont la mission est de faire respecter la loi et de déférer les cas par devant les juges d’instruction—-puisse s’arroger le droit d’exécuter les gens en public sans autre forme de procès, n’est ni plus ni moins qu’un acte barbare. Lequel acte ne fait que ternir davantage l’image de la République déjà vilipendée par les atrocités des malfrats.
Comment concilier ces deux points de vue antagoniques?
La question est très dilemmatique pour dire la vérité, dépendamment de quel angle vous la percevez.
D’entrée de jeu, on doit comprendre l’attitude des gens qui, essorés par les exactions des gangs et qui par désespoir de cause, s’érigent en un bloc monolithique pour soutenir le Commissaire. Car, ni la police ni le gouvernement n’en ont cure que la population soit livrée à la boucherie.
La sécurité des citoyens se relègue au cadet de leurs soucis. Lorsque ces gens se réveillent le matin, leur unique préocupation est de savoir quels manèges ils vont utiliser pour siphonner ce qu’il en reste des maigres ressources du pays. Ce serait donc une pure hypocrisie de feindre d’ignorer les raisons pour lesquelles les actions de Muscadin sont si bien accueillies par la population.
Cela dit, les bonnes intentions du Commissaire devraient-elles oblitérer ses démarches affreusement illégales pour autant ?
Les agissements de Muscadin ont beau être sincères il faut quand même les dénoncer pour ce qu’ils sont : arbitraires et dangereux.
La démocratie ne fonctionne pas sans garde-fou. Des balises doivent être établies pour nous préserver des dérives. Par exemple, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, cédant à la propension naturelle de prendre sa revanche sur son oppresseur, certaines victimes du régime Nazi s’en étaient prises à leurs bourreaux par des actes d’exécution sommaire. Mais des voix étaient montées au créneau pour dire non : on ne doit pas répondre à la barbarie par la barbarie. On ne devrait en aucune manière reproduire la sauvagerie des criminels. Quand on tombe dans ce piège, il est difficile d’établir une ligne de démarcation entre les scélérats et les gens civilisés.
Valérie Giscard d’Estaing avait un jour déclaré qu’il faut « laisser les choses basses mourir de leur propre poison ». Bien sûr, Cela ne veut nullement dire qu’on doit fermer les yeux sur les actes des bandits. Mais si l’on doit combattre la violence, cela doit s’inscrire dans un schéma légal. Il y a aussi la question de la présomption d’innocence. Quelqu’un ne peut être déclaré passible de mort que lorsqu’il aura été reconnu coupable par un tribunal. Et dire que le code pénal haïtien ne soutient pas la peine de mort !
ll est clair que Me Muscadin s’est ostensiblement démarqué de ses prérogatives en tant que Commissaire du gouvernement. Son rôle est de se servir du sceau de la justice pour sévir contre les malfrats, mais pas en se munissant de son glaive ou de son AR-15 pour imposer sa loi. La mort d’un bandit n’émeut personne, certes, mais l’on ne doit pas être effrayé de se positionner parmi la minorité qui dénonce le comportement de Muscadin pour ses violations flagrantes des lois de la République. Ses actions tracent un très mauvais précédent. Elles constituent une lugubre réminiscence de l’époque où Ti Boule, Samuel Jérémie, Franck Romain, Luc Désir, « Bòs Pent » et tant d’autres s’octroyaient le même droit de vie et de mort sur les gens.
Ducasse Alcin
Ducasse.ralcin@gmail.com