NOUS SOMMES FOUS DE LIVRES, MAIS NOUS NE SOMMES PAS FOUS : CE 8 JUIN, POUR CETTE ÉDITION DE LIVRES EN FOLIE, DES CHOIX ET DES DÉCISIONS
Ce 8 juin va se présenter comme un dilemme dramatique pour certains, identifiés comme intellectuel(le)s, écrivain(e)s, journalistes, qui participeront en personne à la version 2023 de Livres en folie, une solide institution dans le milieu culturel haïtien…
• Se rendre à Livres en folie ce 8 juin 2023, poser à côté d’un certain invité d’honneur connu comme ancien pilier d’un certain régime honni, serrer une certaine main douteuse, et s’entendre prodiguer, ironie suprême, des conseils de sagesse sur la sécurité…
• Ou se rendre chez un auteur, disons le peintre et dramaturge Franckétienne à Delmas ce 8 juin lors de sa grande exposition-vente, poser pour des photos, acquérir quelques livres, une peinture, et sortir avec la satisfaction de repartir avec la tête droite, et les mains … propres.
J’ai contacté deux vieilles connaissances à ce sujet. Ils ont tous deux 87 ans, ont beaucoup dit, et ont encore beaucoup à dire. Et pour cause : ce sont des anciens invités d’honneur de Livres en Folie. Franckétienne, rencontré un vendredi 20 mai 1983, à Delmas 31. Invité d’honneur, 2012. L’auteur, conteur, fabuliste, parolier Jean Claude Martineau [Koralen], rencontré pour la première fois en janvier 1991 à Boston. Invité d’honneur 2021.
Leurs voix, leurs écrits, leurs protestations ont longtemps fait partie de ces barricades morales érigées face à une dictature de trente ans, dont les suppôts –invité d’honneur inclus– en ont assuré la continuité sanglante jusqu’en 1988, comme peuvent en témoigner maintes victimes, ou les prisonniers ensanglantés de la Toussaint, exhibés à la Télévision nationale en 1998.
Koralen ? Francketienne ? Ils ne sont pas nécessairement des saints. Qui l’est ? Mais j’entends des deux côtés un certain thème : leurs noms risquent maintenant de se retrouver dans un même panthéon littéraire, que celui d’un représentant d’un système qu’ils ont combattu. Par un amalgame intellectuellement impossible à imaginer.
J.C. Martineau, se demande si les jeunes, écoliers, universitaires, seront sujets à étudier comme modèle exhibé dans les médias, un invité d’honneur qui maintenant se réclame intelligemment du titre d’écrivain, semble éviter le titre de militaire, après une carrière militaire dont les services assidus ont été élogieusement appréciés par les dictateurs eux-mêmes… À quand la célébration des tortionnaires qui trouvent dans leurs crimes, l’inspiration et la crédibilité nécessaire pour pondre des chefs-d’œuvre ?
Il ne s’agit point de boycotter une institution, une entreprise commerciale privée ; il ne s’agit point de contester une participation (il y a eu d’autres personnalités controversées). Mais de questionner une dérive –une décision, un choix « invité d’ « honneur »– qui peut faire dérailler la crédibilité de l’institution et du concept, dans l’âme de ceux qui nourrissent l’espoir que quelques institutions demeurent le bastion d’une certaine décence académique qui fait cruellement défaut au niveau de la chose publique.
Ce 8 juin va donc se présenter comme un dilemme pour certains :
• Se rendre à Livres en folie ce 8 juin, poser à côté d’un certain invité d’honneur ?
• Ou se rendre chez Franckétienne à Delmas 31 ce 8 juin lors de sa grande exposition-vente, et poser avec lui pour des photos, acheter un livre, un tableau ; ou placer en ligne la commande d’un livre de Martineau, « Le Serment des Aradas » ?
Ceci ne devrait point être un dilemme dramatique : je m’en vais acquérir les deux, un livre, une petite peinture, en ce 8 juin, même de loin…
Charlot Lucien
Boston, 6 juin 2023
