Bwa Kale ou l’entrée en guerre du peuple haïtien

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par Jean Garry DENIS
Cap-Haitien, Haïti

Samedi 20 mai 2023 ((rezonodwes.com))–

Nous devons toujours rappeler pour les futures générations que la prépondérance des gangs dans le quotidien des familles haïtiennes est le résultat du plaidoyer de l’ex représentante des Nations Unies en Haïti, Madame Helen Lalim devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies en juillet 2020 en faveur de la fédération des gangs armés. Ce n’est pas un hasard !

C’est un travail d’expert , c’est le reflet d’un acte subliminal s’inspirant des théories de violence symbolique de l’école sociologique de Pierre Bourdieu. A travers ce comportement, la fonctionnaire onusienne visait à fournir un ancrage mental fort et un nouveau cadre de légitimation favorable aux bandits et au plan de dissémination du chaos du Core Group.

Toutefois on doit admettre que les bandits jouissant du soutien des officiels et des hommes d’affaires corrompus étaient déjà très puissants dans plusieurs points du territoire bien avant juillet 2020, mais ils étaient considérés jusqu’ici illégaux, illégitimes et marginaux. Mais avec le plaidoyer de Juillet 2020 au Conseil de Sécurité, les gangs ont pratiquement pris de l’ampleur et ont acquis une grande notoriété dans l’univers médiatique tant en Haïti qu’à l’étranger.

Ils ont fait montre d’une grande capacité de propagande dans les réseaux sociaux. Ce soft power à l’effet d’une bombe sociale a tout de même généré un certain niveau de sympathie dans certaines catégories sociales non nécessairement liées au milieu criminel. Ils ont pu nouer des relations solides avec le monde artistique en décrochant même des prix sur les réseaux sociaux (Youtube). Leurs signes ostentatoires de richesses et leurs complicités avec les officiels corrompus et les contrebandiers du secteur des affaires s’érigent en modèle pour des jeunes des quartiers vulnérables qui constituent leur principal bassin de recrutement.

Le peuple entre en guerre :
La résistance héroïque et acharnée de la population de concert avec la base de la police contre les bandits armés depuis le 24 avril 2023 dans le quartier de Canape Vert et sur tout le territoire national, a créé une nouvelle configuration dans les rapports de forces dans le cycle de violence en Haiti.

D’une situation de guerre larvée imposée par ces groupes et toute la machine de complicité du système corrompu, le brave peuple haïtien entre officiellement en guerre en l’absence de réponses adéquates des autorités publiques. Le peuple haïtien est livré à lui-même et son instinct de survie lui oblige à livrer une résistance aux bandits.

L’imagination créative du peuple haïtien en référence à la virilité et à la toute puissance de l’organe géniteur masculin désigne ce mouvement d’autodéfense populaire sous l’appellation ingénieuse de BwaKale. Ce mouvement spontané de pratiques de justice expéditive n’est pas sans conséquence pour les institutions et l’image du pays.

Il existe tout un corollaire de perception pour ce peuple déjà en proie à un ensemble de préjugés négatifs sur sa culture et son origine, de vengeances personnelles, d’erreurs sur les coupables, de traumatismes psychologiques, d’images chocs, etc., qui y sont liées.

Il y a longtemps les sociétés modernes ont dépassé cette forme de justice expéditive de la Loi du Talion Œil pour Œil, Dent pour Dent pour une justice institutionnelle, équitable et objective, respectant les conventions internationales en matière de droits humains.

Ce phénomène trouve son fondement dans le comportement prédateur des élites haïtiennes et le plan chaos de la communauté internationale depuis l’élection de Michel Martelly en 2012.

Les élites ont réduit le pays à un niveau d’extrême pauvreté avec une grave crise alimentaire où plus de 50% de la population est menacée de famine. Sous la tutelle du Core Group depuis 30 ans, la corruption est devenue la norme, la violence est applaudie, la Police s’est affaiblie pour renforcer les gangs aux plus hauts niveaux du pouvoir, entre autres.

C’est ce cocktail explosif qui explique la méfiance de la population envers les institutions et le recours à l’autodéfense légitime.

Le pouvoir actuel n’a montré aucune volonté de renforcer les forces de sécurité et de protéger la population des attaques des gangs criminels.

Au contraire, il encourage les policiers à postuler dans les programmes humanitaires mis en place par le Canada et les États-Unis pour fuir le pays.

A chaque massacre par des bandes armées, de hauts officiels du pouvoir actuel sont pointés du doigt par les organisations de défense des droits de l’homme. La nation a constaté comment le Premier Ministre Aryel a été forcé suite a de nombreux scandales après plus de 15 mois de révoquer deux Ministres qui étaient liés à des actes d’enlèvement, de trafic de drogue et de vente illégale d’armes de guerre.

Concernant le rôle de l’élite économique, le fonctionnement d’une économie criminelle à travers la violence de bandits détermine les règles du jeu de l’environnement économique, c’est le principal instrument de compétitivité en la matière.

La politique de chaos du Core Group pour l’organisation de fausses élections en vue d’imposer un nouveau Michel Martelly au pouvoir n’est un secret pour personne. Leur plan de génocide à travers leur soutien à ce pouvoir corrompu a été maintes fois dénoncé par divers secteurs de la vie nationale. Leurs coopérations avec le pays depuis plus de 30 années se révèlent improductives et ont plutôt contribué à reproduire les mécanismes de pauvreté. Durant ces derniers jours, l’Ambassade De France devient la risée des Haïtiens sur les réseaux sociaux en organisant une cérémonie faste et protocolaire après avoir fait don a la PNH de 17 motos ne valant même pas 20 mille dollars pour combattre l’insécurité. C’est le parfait exemple d’une coopération improductive et irrespectueuse.

Conclusion :

Malgré ses limites, ses dérives et sa spontanéité, le phénomène Bwakale est un puissant outil de résistance des masses populaires contre l’arrogance des bandits et leurs supports dans de nombreux cercles sociaux, économiques et culturels. Il a quand même fait reculer le Kidnapping à une proportion considérable et constitue un support moral pour la police nationale qui commence à engranger beaucoup de succès dans ses opérations contre les bandits armés.

Seul un gouvernement populaire digne de confiance d’une grande majorité de la population peut surmonter les entraves qui sont à la base du « Bwakale » en prenant des mesures pour soumettre a la justice les officiels et les criminels financiers en col blanc complices de ces groupes criminels.

Personne n’arrêtera la marche de l’histoire et le peuple vaincra!

Jean Garry Denis
L’auteur est Directeur Exécutif de l’Institut Haïtien d’Observatoire de Politiques Publiques (INHOPP)

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