Échec et mat des criminels à cravates : la panacée

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Ti-Makak, Ti-Baka, Ti-Dyab, Ti-Satan, Ti-Sansal, Ti-Grapyay, Ti-Salopri. Combien de ces petits monstres faudrait-il décimer pour que la sécurité et la sureté publique soient rétablies et deviennent un acquis durable pour assurer la stabilité du pays ? La destitution d’une dizaine, d’une centaine ou d’un millier de ces « criminels à sapates » ne suffiraient pas. En d’autres termes, la solution ne se trouve pas dans cette approche superficielle qui ne cible que les auteurs matériels sans pointer le curseur régulateur sur les auteurs intellectuels des crimes commis à la République historique.

Une comparaison du niveau de vie des délinquants et des moyens sophistiqués dont ils disposent révèle à quel point la chaîne de participation criminelle est complexe en Haïti. Il y a évidence d’une complicité omniprésente d’auteurs intellectuels (les assassins invisibles) dans la plupart des infractions perpétrées par les auteurs matériels (les bandits visibles). Aujourd’hui, le motif principal n’est plus dissimulé. Des projets électoralistes visant la pérennisation de la bêtise dans les couloirs officiels couplée de l’ambition affairiste vers des enrichissements illicites en sont la cause.

L’analyse des turbulences des derniers temps a permis d’établir qu’une palanquée d’anciens caméléons politiques – sénateurs, députés, ministres, présidents – ne peuvent respirer que l’oxygène immunitaire répandue par la bulle officielle. En dehors de ce repère favorable à l’impunité, ils s’évanouissent. En conséquence, ces caïds sanguinaires sont déterminés à tout concocter, y compris à faire des pactes diaboliques, pour maintenir leurs fesses aux fauteuils prestigieux de la sphère publique. Telle est la principale explication à la distribution aveugle des armes lourdes et munitions dans les quartiers défavorisés truffés de jeunes vulnérables. Plusieurs années dans cette pratique politique archaïque, et voilà comment Haïti en est arrivée à ce stade psychotique d’une instabilité chronique.

Le chômage et l’oisiveté étant des vecteurs de désespoir, nombreux jeunes prometteurs sont enclins à se faire enrôler par des groupes de gangs. Ils sont devenus des proies faciles pour les animaux politiques détraqués qui les convoitent pour des missions de kidnapping, meurtres, blocages et déblocages des artères en fonction du moment. Les plus zélés avaient naïvement crû que « leur avenir se dessine derrière des barricades » jusqu’à ce qu’ils découvrent que l’avocat « bouda chire » avide de l’argent facile, toujours à califourchon entre changement du système et statuquo, les a mordus de travers. Fort souvent, ce sont les répugnances provoquées par les mensonges et le manque de conviction des prétendus leaders qui donnent naissance à des projets de vengeance sociale du genre « Bwa mare », « Bwa chofe » ou « Bwa kale ». En ces temps de modernité, la politique a le devoir de se sincériser pour que les infrastructures et l’accès aux services de bases ne soient plus une utopie. Quand la politique veut, le social peut. Les clés de la république doivent définitivement se trouver entre des mains propres.

Détruire le mal à travers ses racines

Certes, détruire les petits monstres engendrés par la gourmandise des avares de l’élite économique et politique crasseuse s’avère un acte courageux édicté de concert entre la PNH et la population. La légitime défense étant un droit sacré, personne ne doit rester bras croisé devant le vol, le viol et le kidnapping s’il à l’option « Bwa kale » de se débarrasser de son tyran. Tout en évitant des erreurs tragiques de culpabiliser des innocents, il est donc de bonne guerre d’affronter et mettre en échec les assassins et kidnappeurs qui prennent en otage des bidonvilles et des villes de la Cité.

Cependant, sans supprimer le concepteur du tableau monstrueux, cet effort quoiqu’immense ne produira que des effets temporaires. Dans une quête de réponse soutenable, le jeu doit être animé autrement. Le rétablissement d’un climat attractif au tourisme, aux investissements locaux et étrangers requiert de privilégier la méthode définitive d’arracher les racines perverses qui sapent le développement du pays. Il s’avère plus stratégique d’anéantir les intellectuels du crime, ceux qui fournissent en permanence des ressources financières et matérielles aux bandits pour perturber la paix publique. À cet effet, si les sanctions internationales ne seraient pas d’emblée d’une grande utilité, elles peuvent servir de référence pour identifier des receleurs et des complices de l’extrême criminalité ayant cours au pays, notamment au cours de la dernière décennie.

Les faits historiques ont montré dans une itération surprenante que cette pratique périphérique d’attaquer un mal séculaire en aval s’apparente à couper quelques branches d’un mauvais arbre géant. On en coupe une qui asphyxie le Sud, une autre se repousse au Nord. Au moment de cibler celle du Nord, le Sud a déjà le temps de faire fleurir une nouvelle branche qui ombrage le bien-être social. Un véritable cercle vicieux. La triste histoire se répète ; Haïti expérimente des troubles sociopolitiques qui s’amplifient à travers le temps. De Kadav à Lanmò, de Ti-Kouto à Ti-Manchèt, de Labanyè à Métayer, de Ti-Kenkenn à Grenn-Sonnen, de Dread-Wilme à Tèt-Kale, de Bout-Janjan à Kakout ; les acteurs et bandits ne font que changer de noms. Par contre, au cours des trois récentes décennies, Haïti ne fait que tourner la même série, avec de subséquents épisodes plus odieux que les antécédents.

Les décisions institutionnelles de réinsertion sociale ou les exaspérations populaires qui amènent à l’extermination des délinquants des rues ne sont jamais à la hauteur de l’ampleur de ce problème enraciné dans des desideratas politiques et économiques souterrains. Tant et aussi longtemps que les racines maléfiques de l’arbre corrosif demeurent fertiles, il ne tarde jamais à faire bourgeonner d’autres branches pernicieuses. De ce fait, des solutions en amont s’imposent. C’est à la souche que la société doit briser les tiges et les racines de cet arbre destructeur. Une telle opération salvatrice passe par l’éradication de la mafia économique et des assassins à cravates qui capturent les fauteuils stratégiques pour obstruer les programmes de mobilité sociale au pays. Trop de temps, d’argent et de talents gaspillés, Haïti doit prendre la résolution de briser la boîte de pandore responsable de son asphyxie. 

Légitime défense n’est pas offense

Appliquer la légitime défense pour sauver des innocents exposés aux outrages des criminels ne s’associe pas à la violence. Tout en admettant la non-soutenabilité du mouvement en aval, il faut avouer également qu’écarter des ivraies parmi les bons grains n’est pas un coup d’épée dans l’eau. En effet, le décès d’un bandit notoire tend à créer un vent de panique dans le camp de tous les autres bandits qui traumatisent la population. Comme à la suite d’une pierre larguée dans une niche de guêpes, des bases criminelles sont sur le point de s’effondre. Après le voyage en enfer de Ti-Makak, exécutant de plusieurs policiers et citoyens paisibles, il s’ensuit des déplacements démographiques fous, dans une ambiance psychotique qui s’installe cette fois à l’endroit approprié, chez les assassins. À l’instar de l’intrépide mouvement de 1986, la population se réveille de sa léthargie pour forger son destin. Par la loi de la majorité souffrante révoltée contre la minorité odieuse, les armes et munitions des tortionnaires sont impuissantes devant la fureur populaire. Cela chauffe. Les bandits se déguerpissent en des stratagèmes improvisés pour laisser leurs zones de confort démoniaques vers d’autres destinations. Les récents évènements au Canapé-Vert laissent présager que la probabilité d’atteindre un refuge « provincial » est très minime car la population et les forces de l’ordre sont aux aguets.

Très longtemps déjà, il fallait foutre un coup de pied ferme dans cette fourmilière cruelle. En effet, les nouvelles stratégies policières combinées de la fougue de la population pour mettre en déroute les malfrats et kidnappeurs échappés au contrôle du régime politique en place ont donné des fruits. Quelle est cette bêtise d’accepter que des artères vitales du pays soient dénommées par des représentants d’État, « des localités perdues » ! Il faut arrêter avec ce sophisme de la faiblesse de l’État quand de toute évidence on assiste plutôt à une connivence perfide des brasseurs économiques et imposteurs politiques avec le banditisme musclé. En plus que la violence légitime devrait cibler les malandrins des grands chemins, elle doit remonter aux complices et auteurs intellectuels du crime, d’ici et d’ailleurs.

L’utopie de la réinsertion

C’est dommage que nous ne puissions implémenter de meilleures stratégies pour résoudre le problème de l’insécurité par le projet utopique d’une prise de conscience généralisée des criminels pour déposer les armes et se réinsérer socialement. Le pardon demeure une vertu divine à encourager. Il aurait requis une prise de conscience du fautif pour éviter que du sang soit coulé. Malheureusement, l’effritement de la confiance dans le contrôle de ce système judiciaire pourri qui met souvent en péril la vie d’un policier qui aurait arrêté un malveillant ne favorise pas la bonne pratique de fermer l’animal enragé dans une cage.

La sanction pénale étant un « First-Best » pour le coupable, le policier ou le juge auraient préféré remettre les cas antisociaux à la justice si leurs vies ne se trouvaient pas hypothéquer par des menaces même d’en-haut. La plupart des gros bandits sont des récidivistes bien souchés qui boivent dans les mêmes verres que des anciens ministres, sénateurs, députés et présidents. Ainsi, les ignobles collusions de plusieurs grands commis de l’État dans les conflits et les délits rendent difficile à un observateur – simple ou des droits humains – de condamner des actions police-population qui convergent vers la pratique « Muscadine » de transformer les refuges convoités par les bandits notoires en des cimetières pour eux.

Dans une approche holistique, qu’il soit paisible ou turbulent, personne ne devait périr de manière indigne. Cependant, s’il faut choisir de manière exclusive entre laisser vivre des citoyens paisibles et des délinquants qui sabotent la paix sociale en violant, en volant et en tuant, tout le monde sait la bonne et l’unique option. Périssent les assassins, que soit sauvée la société.

Tandis que notre passé devait nous enseigner des leçons salutaires sur les répercussions désastreuses des alternatives de l’enrichissement illicite, de nombreux jeunes garçons prometteurs se font déshumaniser par des crapules politiques pour précipiter dans la précocité l’ultime évènement du diagramme de Lexis, la mort. C’est bien dommage qu’après trois décennies Haïti se voit dans la pénible obligation de jouer la scène similaire de la carbonisation de ses propres fils devenus des tortionnaires de leurs propres frères.

Les faits historiques ont révélé que Ti-Manchèt et Ti-Kouto terrorisaient les bidonvilles avant que naissaient Ti-Ponya, Ti-Fatra et Ti-Valpa. Avant Ti-Je on recensait Gwo-Je, Nen-Kankan, Ti-Zo, Ti-Pye et Ti-Zotèy dans des quartiers dépourvus d’écoles, d’hôpitaux et de centres de loisir. Dans ces bidonvilles diabolisés Ti-Lapli pleuvait à la suite d’un Gwovan ; Mawozo est un sosie de Koyo ; alors que Grenn-Sonnen préparait le chemin vers le destin tragique à Grenn-Plen et Grenn Ponmenen.

Cette suite logique périlleuse augure qu’après Izo et Tizo les passagers et les piétons croiseront à coup sûr des queues de poissons dans les axes routiers si des réponses efficaces ne sont toujours pas fournies en profondeur à ce mal endémique. Par réponse en profondeur, les sanctions internationales du Canada et des USA contre de sempiternels contrebandiers économiques et racketteurs politiques ont déjà mis la société au parfum. Évidemment, un petit voleur d’un régime de bananes mérite d’être sanctionné. Mais pas moins qu’un ordonnateur qui dépose sur son compte bancaire en Suisse et en Floride des millions de dollars des coopérations ou du trésor public destinés initialement à la construction d’infrastructures sociales, d’hôpitaux et d’écoles publiques. Chacun doit être jugé à la hauteur de ses actes. À l’instar des sociétés modernes, Haïti doit adopter cette dynamique de résolution en amont.

S’attaquer aux va-nu-pieds qui sapent la paix de la cité tout en minimisant des dommages collatéraux envoie un signal d’espoir aux élèves, étudiants et professeurs assoiffés de reprendre le chemin de l’école. Le démantèlement des gangs fait rêver nos Madan-Sara impatientes de voyager d’une province à l’autre pour renouer avec la pratique d’alimenter les marchés et supermarchés. La diaspora nostalgique, stressée dans les incessantes requêtes de cotisation aux rançons des kidnappings, hallucine de pouvoir visiter sa famille. Cependant, une volonté manifeste de la solution soutenable du problème de l’insécurité et de ses effets économiques pervers requiert d’indexer les auteurs intellectuels – ces animaux politiques, et ces hommes de mauvaises affaires – pour les mettre hors d’état de nuire.

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

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