De l’échec de l’élite haïtienne aux faiblesses opérationnelles de l’ONU : Haïti s’effondre

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Lundi 27 mars 2023 ((rezonodwes.com))–

Dans l’histoire des Opérations de paix de l’ONU , Haïti occupe une importante place
tenant compte de la teneur des résolutions du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée
Générale et du nombre d’OMP effectuées dans le pays. D’ailleurs c’est le seul pays
ayant connu autant d’interventions dans la région ; Son voisin, la République Dominicaine, n’a connu que de simples missions à petite échelle entre 1960 et 1970,
des pays de l’Amérique centrale avec l’ONUCA, en 1989, qui n’a pas vraiment duré et
soldé par un bilan acceptable .

Dans le cas d’Haïti, dès le coup d’État contre JB Aristide en 1991, elle a retenu grandement l’attention de la Communauté Internationale. Des missions multifonctionnelles se sont succédées avec pour ambition de construire un État moderne dans le pays en considérant divers éléments : Sécurité, Démocratisation et Droits humains , Développement et Appui Institutionnel…

Toutefois, après 3 décennies d’intervention la situation ne s’améliore pas ,elle ne fait
qu’empirer . Ainsi, certains observateurs avisés s’accordent sur le fait qu’au-delà des
facteurs externes que nous avons déjà évoqué dans nos écrits précédents, la mauvaise foi des acteurs haïtiens est l’une des principales causes de l’échec des OMP sur le long terme.

1- Aristide a délibérément choisi de dissoudre l’armée alors que la Mission internationale, à l’époque, avait pour mandat de réformer les Forces armées Haïtiennes à côté d’ autres objectifs. Ce qu’il faut retenir l’approche proposée par l’ONU était de réformer l’armée et de constituer une force de police indépendante alors que celle envisagée par le président d’Haïti était de se séparer de cette institution responsable de son coup d’État. La Mission Onusienne à l’époque devait faire face à cette lourde responsabilité de mettre en place une force de police capable de faire face aux défis de l’heure et du futur ; un pari risqué car Haïti n’a jamais pu se relever de cette décision irréfléchie de son président. Malgré les facteurs géopolitiques qui pourraient expliquer cette décision rien n’y obligeait l’ex président sinon le chili, le Venezuela etc auraient pu faire la même chose.

2- La force de police constituée avec la création d’unités spécialisées devant assurer la sécurité du territoire , des frontières terrestres et maritimes, compliquant son champs d’action en l’absence de l’armée a, de son côté, été l’objet d’attaques des forces politiques haïtiennes voulant la contrôler, l’instrumentaliser à des fins inavouables : infiltration , intégration des chimères, clientélisme … Aucun des efforts de la CI n’a été maintenu par les acteurs ,ils ont tout fait pour s’assurer de l’effondrement de la PNH jusqu’à aujourd’hui.

3- En matière d’appui institutionnel, des réformes ont été mises en œuvre: opérationnalisation de l’école de la magistrature , professionnalisation des ministères et administrations régionales, mise sur pied de nouvelles institutions visant à faire respecter la règle de droit et rendre efficace la bureaucratie haïtienne…

Malheureusement ,encore une fois ,les acteurs locaux ont bousillé le processus. Des
juges sont nommés dans le système par accointances oubliant si l’étranger avait déjà rendu opérationnelle une école devant former nos juges. Sans surprise ,le rapport du CSPJ ,récemment, met à nu le système judiciaire haïtien avec des juges sans diplôme de baccalauréat.

Le feu président lui-même avait déclaré qu’on l’a obligé à nommer 50 juges corrompus dans le système. Hommes politiques , entrepreneurs nomment des juges en Haïti pour faire libérer des bandits lorsqu’ils se font arrêter ; l’impunité règne dans le pays; Haïti se classe parmi les pays les plus corrompus de la région. Les acteurs ont montré leur incapacité à maintenir les efforts de la CI bien qu’insuffisants à cause de la complexité des Relations Internationales.

4- En matière politique, des réformes ont été initiées pour apprendre aux acteurs les règles de la démocratie mais encore une fois en 2000 le parti au pouvoir a tout fait pour fragiliser le processus ( fraude massive , violence électorale, répression politique)
plongeant le pays dans une grave crise qui nécessite encore une fois la venue de l’étranger en 2004 sur les mêmes problèmes qu’il croyait avoir déjà aidé à résoudre malgré les nombreux appels de la CI à une entente entre les protagonistes. Pourtant, dans presque tous les rapports des représentants du Secrétaire Général , il a été mentionné que, la situation est loin d’être stable en Haïti, il faut que les acteurs haïtiens maintiennent les efforts en vue de parvenir à la stabilisation du pays.

5- Aujourd’hui encore la situation s’empire suite à l’assassinat de Jovenel Moise qui s’en alla seul sans secours de la part de son 1er Ministre ai , Directeur Général de la PNH … L’opposition à son pouvoir qui ne voulait pas discuter avec lui, prétextant qu’il est le problème ,assiste avec complicité à l’effondrement du pays tout en s’assurant du maintien de leurs privilèges au sein de ce nouveau régime.

6- La CI n’a jamais voulu adopter en première intention une approche d’intervention armée robuste en Haïti, les premières déclarations sont toujours : il faut une solution haïtienne à la crise. Malheureusement à chaque mission civile dépêchée dans le pays pour faciliter une entente ,la finalité est l’échec ( crise en 1991, 2000, aujourd’hui encore). Les acteurs haïtiens montrent leur incapacité à résoudre eux-mêmes le problème du pays.

Le drame pour Haïti est le fait qu’aucune organisation internationale ni puissance étrangère ne peut résoudre les crises intra étatiques d’autres pays sans une assise locale. La Somalie en est un exemple parfait ;Haïti est sur le point de le devenir. En ayant toujours tendance à croire que c’est l’ONU ou encore le Canada, les Etats Unis et la France qui doivent faire à notre place ce que nous devrions faire nous-mêmes, nous nous constituons comme obstacles à la résolution durable de la crise haïtienne.

Or ,le système international est imparfait ,les Relations Internationales sont dirigées que
par des intérêts. L’ONU comme organisation internationale est limitée, son opérationnalisation sur le terrain dépend de la contribution des Etats en termes de financement d’opérations et constitution de troupes. Comme le rappelle mon professeur Franck PetiteVille , les accords spéciaux par lesquels les Etats membres des Nations Unies auraient dû , en vertu de la charte (article 43), mettre des forces armées à disposition du conseil de sécurité n’ont jamais été conclus ni pendant ni après la Guerre Froide .

De plus, comme l’avait décrit également le chercheur A. James ,le maintien de la paix est une activité secondaire de gestion de conflits ,il ne peut pas imposer la paix n’ayant pas de marge de manœuvre pour influencer les négociations de paix et qu’il est dépendant du bon vouloir d’autres acteurs pour sa mise sur pied et son succès.

Le professeur R. Hatto à ce sujet précise qu’il est donc futile de demander davantage à une organisation qui est par essence limitée dans ses possibilités d’action. Ultimement ce sont les Etats membres et surtout les 5 Membres Permanents du Conseil de Sécurité qui sont responsables de l’inaction ou l’inefficacité de l’ONU.

Cette inaction ou inefficacité s’explique par le fait que pour mettre des Operations de Paix sur pied , l’ONU est dépendante des États membres et surtout de ceux disposant de veto.

Le hic surtout est qu’à la suite des crises des OMP multifonctionnelles et des problèmes
institutionnels au sein de l’ONU, les OMP intéressent de moins en moins d’États , les pays contributeurs de Troupes et de Policiers sont moins attirés par cette idée. Dans l’histoire de l’ONU plusieurs OMP ont connu de graves problèmes financiers car les États qui financent n’ont pas maintenu leur engagement ; cela a provoqué le retrait de plusieurs PCT et PCP. Le budget des OMP à l’ONU a connu d’importants arriérés de paiements; la somme mise à disposition des PCT ne peut pas couvrir les dépenses; les pertes matérielles ne sont pas généralement remboursées à un taux juste et équitable.

Les dépenses militaires sont énormes pour les Etats; c’est pour cette raison qu’à
la suite des critiques des OMP , les pays scandinaves et également le Canada qui
y contribuaient grandement ont observé une trêve car le système de financement
leur est trop désavantageux et leurs soldats font face à d’énormes risques.
Les Etats n’arrivent pas à supporter le coût des opérations . De plus ,il ne s’agit
pas de la défense de leurs territoires ni de leurs intérêts stratégiques dans
certains cas. L’opinion nationale a provoqué une réduction considérable de
Troupes auprès de l’ONU.

S’il est toujours possible pour l’ONU de mobiliser des troupes , notamment ,auprès de
certains pays de rangs inférieurs- à noter que les membres du Conseil de Sécurité participent rarement à des OMP en termes PCT – la qualité des soldats et des
policiers est un défi majeur.

L’ONU se trouve obligée d’accepter des troupes de certains pays qui ne sont pas assez
bien préparées pour faire face à des missions complexes : l’une des causes de l’échec
de certaines interventions.

Mais là encore comme on le dit ,l’ONU n’a pas les moyens de sa politique. Les crises qu’elle a permis de résoudre ont été le fruit d’un engagement réel avec les acteurs locaux qui ont pu embrasser le projet et maintenir les efforts car, l’organisation ne peut pas tout faire , elle ne peut pas contrôler les dérives des États contributeurs et également de ceux qui financent .

Aujourd’hui on le voit dans le cas d’Haïti, malgré les appels du Secrétaire Général de l’ONU , du Haut commissaire aux Droits de l’homme rien a été fait car, les Etats mieux placés à supporter le coût financier de l’opération(malgré le budget des OMP) et à contribuer par l’envoi des troupes peinent à prendre cette responsabilité.

Ce que les haïtiens doivent comprendre, les gouvernements hésitent toujours à envoyer leurs soldats à servir dans des missions de l’ONU où leurs intérêts ne sont pas en jeu. Comme certains théoriciens nous le rappellent, le maintien de la paix continuera pour les années à venir de reposer sur une conception pluraliste de la société internationale par laquelle les États interviennent pour maintenir l’ordre et la stabilité, plutôt sur une conception solidariste qui défend l’idée qu’il est d’intervenir lorsque les droits humains sont bafoués. ( cela explique clairement l’intérêt de la CI pour l’Ukraine car il s’agit de maintenir l’ordre et surtout d’importantes ressources sont en jeu; non pas une question de pitié).

A rappeler que les acteurs internationaux croient dans l’urgence de l’urgence; lorsque la situation haïtienne sera intenable à leurs yeux – elle l’est déjà pour les haïtiens- ils décideront malgré eux d’intervenir et ce n’est ni la demande D’Ariel Henry ni les mouvements haïtiens qui le faciliteront mais parce que la paix et la sécurité de la région notamment des pays voisins sont menacées.

Comme il est clair qu’on ne pourra pas y arriver tout seul ,à partir de ce moment, les
acteurs haïtiens doivent en profiter pour résoudre définitivement la crise haïtienne à travers une approche basée sur la sécurité humaine en tenant compte des différentes facettes de l’insécurité pour instaurer une paix durable dans le pays.

Ce que les haïtiens doivent savoir ,le monde est en crise ,il y a des tensions au niveau du sahel et d’autres régions du monde, l’ONU peine à mobiliser les fonds pour agir. L’étranger ne viendra pas tout changer, cela n’a jamais été le cas nulle part. Haïti a la chance d’être dans une région pacifique ,elle n’a pas de problèmes profonds (conflits religieux, ethniques,…), elle dispose d’une diaspora plutôt bien intégrée et surtout d’une population majoritairement jeune. Malgré l’imperfection du système international , nous pouvons y arriver mais il faut tout d’abord un plan et surtout songer à résoudre le problème des clivages internes qui est à la base de nos malheurs.

Mathias L.DEVERT
MS Sciences Po Grenoble
(Politique et Pratique des Organisations Internationales)
mathiasdevert@gmail.com / +33 0695971653

Supports bibliographiques
R. Hatto , le Maintien de la Paix: l’ONU en action, Armand Colin, 2015
C.P. David , Afghanistan ,Haïti, Darfour : les Missions de Paix sont-elles encore
possibles ?, observatoire sur les missions de paix chaire Raoul-Dandurand, 2009
F. Petiteville, le Multilatéralisme, Montchrestien, 2009
D. Dutard, introduction à la sécurité internationale, Presse Universitaire de
Grenoble, 2018
Site du Département des Opérations de Maintien de la paix de l’ONU

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