Ce que Pestel a apporté à la révolte de Goman

0
1187

Samedi 18 mars 2023 ((rezonodwes.com))–

La révolte de Goman datant de 1807 à 1820 est vue comme le chapitre le plus légendaire de l’histoire de la Grand’anse. Elle était porteuse d’un message qui contestait l’ordre voulant établir par l’oligarchie et charrie toute la revendication des masses cultivateurs exclus dans la sphère de production par les élites  après leur participation dans la guerre de libération du pays. Le nombre d’années qu’a duré la lutte donne matière à réfléchir. La majorité des interrogations se portent sur la tactique utilisée pour tenir tête aussi longtemps face aux assauts répétés des  Forces gouvernementales envoyées pour faire échec au projet des insurgés de la Grand’anse. 

Si d’un côté, la tactique des révoltés est sujette à l’étude; de l’autre côté, la part active de la commune de Pestel dans le mouvement est aussi scrutée pour ainsi déterminer ce que Pestel a réellement apporté pour permettre à la révolte de tirer certains profits. 

À la lumière de certains historiens, Pestel est étudiée comme la garnison militaire la plus importante ou comme un point de ralliement entre Goman et ses alliés. Ces quelques lignes qui suivent sont pour développer davantage ce point vue. 

 Goman et son parcours militaire 

Goman, la figure principale de la révolte de la Grand’anse  est souvent présentée comme un mercenaire ou un chef de bande. Ces étiquettes lui sont collées pour la simple bonne raison que son mouvement a porté un coup fatal à la politique agraire de Pétion jugée favorable à l’élite économique du pays. 

Goman, qu’on le présente comme un chef de rebelles, a un parcours d’un militaire révolutionnaire. Selon les données historiographiques, il était un esclave au canton des Irois qui serait né en Afrique, plus précisément au Congo. Affranchi par le général André Rigaud, il deviendra un soldat-Volontaire à la Légion de l’Égalité du sud, ce corps qui a dû rivaliser avec les Métropolitains de la Grand’anse opposés à la mise en application de l’Accord du 04 avril 1792. 

Sur le champ de bataille, le jeune soldat a gagné ses épaulettes; il est promu officier. Plus tard, on le retrouve chef des insurgés (1802), chef du deuxième bataillon et lieutenant-colonel de la 19ème brigade cantonné à l’Anse d’Hainault (1807) et Général de brigade nommé par édit du roi Henry 1er. 

Goman s’est présenté comme un héritier de l’idéal dessalinien, lequel projet se base sur la justice sociale c’est-à-dire le droit de tout et chacun à un morceau de terre. 

Vexé de la politique agraire mise en place par le président Pétion, Goman a pris les armes dans la Grand’anse. Pestel a été une zone très considérée eu égard à son relief offrant une allure de garnison militaire favorable et stratégique. 

Étant officier militaire enrôlé dans l’armée du Général Rigaud, Goman pourrait être l’un des éléments de ce corps qui a combattu sur le front de Pestel en sachant que c’est là où ont eu lieu la majorité des batailles de grande envergure opposant Rigaud aux Blancs de la Grand’anse. Probablement, c’est au cours de ces moments qu’il a profité pour étudier l’avantage qu’offre le relief de la commune de Pestel dans les combats. Rappelons bien que toutes les batailles qui s’y  sont déroulées se sont soldées par des victoires au profit des troupes campées sur place. 

Pestel vue comme un fort naturel 

Pour parler de l’importance stratégique de la commune de Pestel dans le mouvement insurrectionnel de Goman, Thomas disait d’elle qu’elle est un fort naturel. Elle ressemble  à un fort parce qu’elle se forme d’un ensemble de montagnes imposantes difficiles à pénétrer entourant des vallons qui se confinent jusqu’à l’embarcadère du bourg. Sur ses monts inclinés, on peut facilement dominer toute la presqu’île des Baradères et l’entrée de Corail. Bien protégée par les Îles Cayemittes et son îlot tout juste situé en face, l’on ne peut pas la regarder depuis la rade tant qu’on n’y arrive pas. 

Pour être plus précis, nous prêtons la description que l’écrivain Semexant Rouzier a pu faire de Pestel dans son livre (1). En voici-la:

« La ville de Pestel est bâtie dans un vallon, élargi au Sud-Ouest, très étranglé à l’Est à l’entrée de la cité. Les montagnes sont hautes; ». 

Toujours est-il, il écrit à propos : 

«Sur la ville, le roc escarpé semble, d’un côté, un mur lisse fait de main d’homme car les pierres s’entrelacent les unes sur les autres. En haut, s’élèvent les murailles de la redoute.  Il n’en reste plus aujourd’hui que des vestiges d’un petit fort appelé « Fort Réfléchi ». Le sommet de l’escarpement s’incline un peu vers la Baie des Cayemittes et la Presqu’île des Baradères qu’il domine.» 

Faut-il voir, à partir de cette description, combien il était facile à Goman d’organiser la guérilla mettant en déroute l’armée gouvernementale du président Alexandre Pétion. Les montagnes ainsi que les grottes et ses vastes plantations dont est peuplée la commune ont donné un élan favorable au déroulement des combats. Les troupes se sont retranchées dans ces zones quand aura pénétré l’armée gouvernementale et les attaquent  par surprise afin de les mettre en déroute. À la faveur de cela, la bataille a dû durer treize ans. Ainsi, jetons un coup d’œil sur les différentes scènes qui ont jalonné la lutte à Pestel. 

Pestel et sa place dans la révolte 

En lisant ces faits historiques, on pouvait voir que Jérémie, Anse d’Hainault, Abricots, Bonbon étaient des lieux où la révolte de Goman avait gagné en intensité. C’était dans ces lieux où les batailles les plus importantes se sont déroulées. Pourtant, Pestel importait beaucoup plus  puisqu’elle avait servi de garnison militaire pour Goman et ses troupes.Eu égard à cela, on présente Pestel comme un véritable fort naturel. C’est justement cette partie qui sera développée. 

Ce n’est qu’après sa rébellion contre le pouvoir d’Alexandre Pétion et une première déroute à Jérémie qu’il a opté pour faire de Pestel son point de ralliement ou son quartier général en quelques sortes. 

Sur ce point, nous remontons l’information selon laquelle c’est à Pestel que le lieutenant-colonel de la 19ème brigade savait recevoir les émissaires envoyés par le roi Henry Christophe et les munition by ce frère s embarqués depuis le Môle Saint Nicolas. Des renseignements oraux voulaient faire croire que c’était au pied du Fort Réfléchi construit de toute évidence avant 1804 où les tête-à-têtes se sont tenues entre Goman et les émissaires. 

L’autre raison pour laquelle Pestel importait beaucoup pour Goman, c’est parce que la première commune à franchir pour pouvoir pénétrer sur Jérémie et ses environs. Lorsqu’on lit Thomas Madiou, nous sommes informés qu’il y avait à l’époque deux voies d’accès pour accéder à la Grand’anse. On pouvait emprunter soit par la route menant des Nippes, soit par la route de Plymouth. 

Dans la foulée, on a vu qu’il y avait des troupes de l’armée gouvernementale qui s’étaient campées sur les deux principales voies d’accès à la Grand’anse de façon à attaquer en même temps les insurgés. Une fois qu’elles ont pénétré Pestel, elles pouvaient progresser facilement sur Jérémie où le mouvement s’est intensifié et a créé plus de représailles. 

Comprenant la tactique envisagée par les forces militaires adverses, Goman a disposé les portails d’entrée des camps de résistance. Ainsi, il a placé des troupes le long des routes empruntées par les soldats de l’armée gouvernementale, plus particulièrement aux entre forts de Plymouth et au camp de Lesieur, situé sur la frontière des Baradères d’avec Pestel. Sa tactique a donné du fil à retordre quant aux pénétrations des troupes adverses. 

Dans certaines mesures, le plan de Goman a marché si bien qu’il était difficile pour Pétion de mater mouvement dans la Grand’anse. Il est rapporté que les troupes avaient pris la peine de franchir Pestel avant de gagner les rives de Jérémie pour livrer bataille à Goman. 

Comment les événements se sont déroulés ? 

Officiellement, Goman entre en rébellion contre le gouvernement d’Alexandre Pétion le 04 février 1807. 

À Pestel, la bataille a débuté en Juillet 1808 lorsque Laclotte débarque à la tête d’une Compagnie dénommée Volontaires Nationaux et a  tenté de mater le mouvement. C’était en vain. Elle sera poursuivie le 23 mai 1810 quand le général Jean Louis Métellus sorti de Léogane parviendra sur l’habitation de Desriveaux, où l’a joint le général Francisque à la tête de sa colonne; ils se sont portés  tous deux sur l’habitation Vandribiche, Fond de Plymouth là où s’est localisé la troupe de Goman. Les troupes gouvernementales avaient un certain Benoît comme guide.

Pour la troisième fois depuis que les hostilités sont lancées, le 10 juin 1810 le Général André Rigaud débarquait dans la Grand’Anse avec objectif de mater la révolte(5). Étant informé du rôle que joue Pestel dans la bataille, le Général Rigaud y a pris position et a encerclé Pestel. C’est ainsi qu’il a ordonné au Général Bruny Leblanc qui commandait l’Arrondissement de l’Anse à Veau de couvrir avec deux colonnes les embarcadères de droite et de gauche des Etroits (localité située à proximité de « Les Basses »), c’est-à-dire depuis la Rivière Salée ( 4ème section des Baradères) jusqu’à la deuxième section de Pestel. Parallèlement, le Général Métellus couvrait le terrain qui s’étendait sur Pestel et Corail. En dépit de cela, la troupe de Goman a dû résister sur tous les fronts. 

Ne voulant pas se positionner en faveur du pouvoir de Pétion, le Général Henry reçut l’ordre d’aller contenir la commune et débarqua en mars 1811 à Pestel (6). Quand il y mit les pieds, il dut faire face à une grande résistance des troupes dirigées par Goman. Après autant de batailles, il parvient à déloger Goman et ses troupes dans le bourg. Le général Henry n’a pas pour autant abouti à son objectif. Goman reprit sans tarder le contrôle de Pestel qu’il ne voulait pas lâcher au regard de son importance géographique après s’être refoulé dans les montagnes. Il continuera les représailles jusqu’à sa capture. 

Pétion est mort en 1818 sans parvenir à mettre un terme à la révolte des cultivateurs de la Grand’Anse. Son compère Jean Pierre Boyer le remplace au pouvoir. L’année 1819 se révélait décisive pour le nouveau président dans cette lutte à mater la rébellion qui a gagné en terrain. Pour cela, il a instruit l’armée à agir pour en finir avec.

Cette fois-ci, la responsabilité de pacifier la commune de Pestel avait été confiée au Général Francisque. Sous ses ordres, il y avait 1 200 hommes aidés par le commandant Laclotte et quinze (15) chasseurs de Pestel (7). Ils parcourent toutes les montagnes à la recherche de Goman et de ses soldats. Ils ont incendié le bourg de Pestel. 

C’est à la suite de cette attaque que le mouvement a pris fin à Pestel. Le Général gagne les mornes et se réfugie  jusqu’à Grand Doco (en bas du Pic Macaya), son fief qu’il a lui-même construit. Ce fut le dernier assaut mené à Pestel par les troupes gouvernementales. Une fois que le Gouvernement s’est emparé de Pestel, les troupes de Goman ne pouvaient plus alimenter en munitions. C’était de fait l’échec du mouvement.

Cause de l’échec du mouvement 

Le suicide du roi Henry Christophe suivi de l’effondrement du Royaume du Nord explique largement la mise en déroute du mouvement de Goman dans la Grand’anse. Son armée ne sera plus en mesure d’être alimentée en munitions. Pestel qui servait de point d’approvisionnement n’aura plus toute son importance d’autrefois. 

En plus, on a noté que c’est à partir du moment où l’on a utilisé les hommes sur place par les troupes gouvernementales dans la poursuite des insurgés et a accordé des faveurs ou des parcelles à certains paysans de la commune de Pestel que l’on a finalement maté la révolte. Sur ce, on parle du côté réactionnaire du mouvement. 

Tout compte fait,la révolte de Goman a fait découvrir que le territoire de Pestel est favorable à la tactique guérilla grâce à ses montagnes inclinées vers la mer et ses vallons coincés entre des mornes. 

James Saint Germain

Sociologue 

Références bibliographiques 

 1. ROUZIER, Sémexant : Dictionnaire géographique et administratif universel d’Haïti illustré ou guide général en Haïti. Vol. I, II, III et IV Imprimerie Breveté Charles Blot, Toronto, 1892. 

  1. DORSAINVIL, J.C: Histoire d’Haïti: à l’usage des candidats au Certificat d’études primaires : d’après le Manuel d’histoire d’Haïti. 

3.Texte de Myrtha Gilbert, courte biographie de Goman sur le https://gomanakawo.wordpress.com/biographie/

4. MADIOU, Thomas: Histoire d’Haïti. Tome (1807_1811 ) 

5.MADIOU, Thomas: Histoire d’Haïti. Tome (1811_1818)

6.MADIOU, Thomas: Histoire d’Haïti. Tome (1819-1826)

7. ROBIN, Énélus: Abrégé de l’histoire d’Haïti. Se, 1874. 

8. Dictionnaire biographique des personnalités politiques de la République d’Haïti (1804-2014) 

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.