Changer le passé : passé objectif et passé subjectif

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Par Camille Loty Malebranche

Est-il vrai que l’on ne change pas le passé?

Il est deux modalités du passé, le passé que j’appelle objectif, qui n’est autre que l’histoire; le passé subjectif qui est l’univers de la représentation de soi par rapport à l’histoire et à ses engrammes et conséquences. Le passé subjectif est donc la part mentale et de conditionnement de l’imaginaire social, ethnique, bref, anthropologique des peuples et sociétés par l’histoire, le passé objectif. Le passé subjectif est le passé impondérable aux côtés du passé pesant des événements de l’histoire.

En vérité, à ressasser des truismes, certains oublient le devoir de recul intellectuel face aux choses qu’ils énoncent. Si je considère le lemme « passé », simple signifiant dans le langage courant, il devient un concept, c’est-à-dire un espace fécond pour l’herméneute, le philosophe mais aussi et surtout l’homme politique qui doit y puiser en tant qu’il réfère à l’histoire où se trouvent les germes des mentalités et réflexes du collectif à orienter et gouverner. Le positionnement général par des stéréotypes, fige les vocables dans un sens strictement connotatif et empêche la germination des idées et des actes susceptibles de les rendre préhensibles. Dans le cas du passé, le stéréotype qui veut qu’il ne peut être changé, aura gelé tout entendement et cloîtré dans une torpeur à logique unique, les avancées possibles de la psychologie et de la didactique pour l’éducation des peuples sinon traumatisés dans l’histoire, à tout le moins retenus dans des sortes de chaînes immatérielles au présent que continuent de leur voler leurs contempteurs malfaiteurs.

Changer le passé pour libérer le présent et bâtir le futur.

Au risque d’ébranler toutes les idées reçues et précisément pour les écrabouiller, j’affirme que le passé objectif, celui que nous étudions ou apprenons comme factuel et fatidique, car déterminant par son antériorité, notre actualité, notre présent, est une matrice modelable à son tour. Si la réalité n’est que représentation, une fois posée par l’action herméneutique de l’entendement, les peuples écrasés par les forces de l’histoire doivent apprendre à se représenter en nouveaux acteurs de l’héritage du passé et s’en servir pour vaincre. Le passé objectif qu’est l’histoire doit devenir subjectif par l’interprétation et l’action actuelle. Par exemple, les peuples colonisés, asservis au passé doivent savoir que le passé peut être l’un de leurs meilleurs alliés puisqu’ils n’ont pas fait le mal qu’ils subissent ni même leurs parents qui eux aussi, en la plupart des cas, ont subi la barbarie des criminels contre l’humanité, dont les descendants profiteurs osent encore s’essentialiser en supérieurs donneurs de leçon au lieu de montrer de la retenue devant les crimes de leurs ancêtres, pour s’engager à réparer la face réparable qu’est l’économie des nations ruinée par le colonialisme et l’esclavagisme. L’engramme colonial doit être exorcisé comme manque et compris comme contingence orchestrée par la déchéance d’une certaine humanité prédatrice, celle des métropoles si bas tombées en leur inhumanité sous-animale qu’elles l’ont étendue partout comme emblème de leur civilisation. Le passé subjectif est l’espace du regard serein et de l’émiettement du tissu langagier des agresseurs historiques et de certains de leurs descendants essentialistes qui usent encore des idées exterminatrices fondatrices de leur propre criminalité pour inférioriser et soumettre encore les peuples des suds broyés sous leur néocolonialisme, leur impérialisme, leur capitalisme meurtrier. Justement, le seul centre à admettre pour les peuples comme l’homme, est soi-même.

Les peuples agressés doivent renvoyer aux infériorisateurs essentialistes, leur glaviot fangeux d’arriérés, leur substance vide, si vide qu’il leur faille s’inventer une supériorité par le crime, l’horreur et la salissure.

Inventer un présent sain et un futur prometteur en instrumentalisant envers et contre les contempteurs, le passé que subjectivement, nous utiliserons désormais pour briser les non-sens de l’histoire où la représentation ontologique des hommes et des peuples leur fut expropriée et l’est encore aujourd’hui par les rois prédateurs, les néocolonialistes, impérialistes ou les oligarchies.

Les amis de la libération doivent refaçonner le passé par leur propre représentation pour être souverains dans le choix et le projet du soi collectif. Que notre projection de nous-mêmes parte désormais du passé subjectivé par notre propre entendement loin des murs de l’histoire qui servent aux immondes essentialistes, lesquels évoquent le présent avec les armes prédatrices du passé objectif pour continuer de piller et d’asservir les peuples qu’ils n’en finissent pas d’écraser par les structures financières mais aussi herméneutiques de leur propre être stigmatisé, péjoré… Là, il ne s’agit pas seulement d’un rapport au passé, car si le passé objectif, l’histoire, est le factuel événementiel, le passé subjectif non créé par les agressés de l’histoire, n’est autre que l’héritage autopunitif des péjorations ontologiques façonnées par les agresseurs en tant qu’imaginaire servile chez leurs proies. Changer le passé subjectif c’est se voir autrement dans toute la vérité de son humanité; c’est nécessairement combattre et conspuer les dégénérés pour qui la seule condition qui soit, est celle du prédateur. Défaire la dialectique du prédateur et de la proie, où en fait, le soi disant maître est le pire des déshumanisés, le corrupteur qui étend sa propre corruption mentale, sa misère existentielle, son misérabilisme de sous-homme déchu à sa proie.

Opérer une anamnèse libératrice en transformant l’histoire – notre passé objectif et ses conséquences néfastes sur le mental et l’imaginaire – c’est changer le passé ténébreux en le portant à la lumière de la projection présente qui conquiert le futur pour faire l’avenir. Pour ceux que le passé objectif a écrasé, c’est de la saveur glorieuse du juste triomphe par l’autoréhabilitation mentale de tout un pan de leur être, celui du passé rendu subjectif, chose de leur humanité libérée qui peut s’en servir comme expérience lucide dans leur marche présente vers le devenir digne projeté.

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
Lire l’original de l’article sur le blog Intellection

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